Les matériaux autoréparants font l’objet d’un vif intérêt scientifique depuis plus d’une décennie. Coupés en deux, ils sont capables de cicatriser spontanément lorsque les deux morceaux sont remis en contact. Leur développement à l’échelle industrielle se heurte cependant à plusieurs difficultés. Pour qu’ils se réparent à température ambiante, la mobilité des molécules constituant ces matériaux doit être suffisante pour générer le soudage macroscopique. Or, cette forte mobilité n’est pas toujours compatible avec des matériaux robustes, produits à grande échelle dans l’industrie. S’inspirant des propriétés des matériaux intelligents, une équipe de chercheurs de l’INSA de Lyon a développé, au sein d’un projet baptisé Pommade¹, un nouveau procédé de guérison sous stimulus, applicable sur une gamme de matériaux produits à grande échelle : les élastomères thermoplastiques (TPEs).
« Pour ce projet, nous avons décidé d’assumer le fait qu’un stimulus soit nécessaire pour déclencher la guérison, permettant d’élargir considérablement les possibilités en termes de nature de matériaux, et notamment d’aller vers des thermoplastiques plus durs, révèle Guilhem Baeza, maître de conférences HDR et chercheur au laboratoire Mateis. Les TPEs sont des polymères omniprésents dans notre quotidien : mousses, liant bitumineux, électroménager, bioplastiques, revêtement de sols… et les plus gros tirages sont réalisés pour l’industrie automobile. Ce sont notamment ces caoutchoucs, agréables au toucher, que l’on retrouve un peu partout dans l’habitacle et dans l’assemblage des tableaux de bord. Ils présentent le grand avantage de pouvoir s’écouler à température élevée, permettant une mise en forme facile et leur cicatrisation. En revanche, l’énergie thermique à température ambiante ne suffit pas à donner la mobilité moléculaire suffisante pour la guérison du matériau. Pour qu’elle s’opère, il faut lui apporter de l’énergie. »
Pour faire monter en température le matériau, les scientifiques utilisent la méthode du chauffage par induction. Elle consiste à incorporer des nanoparticules dans les TPEs et qui ont la particularité de répondre à un champ magnétique. Elles sont constituées de fer ou de magnétite (oxyde de fer : Fe3O4) et représentent entre 1 et 5 % du volume du matériau, ce qui rend possible la guérison sans changer de façon significative les propriétés mécaniques du matériau. Concrètement, la guérison consiste à appliquer un champ magnétique oscillant à très haute fréquence, de l’ordre de 1 mégahertz, sur les TPEs. Les nanoparticules présentes à l’intérieur vont alors chauffer et entraîner une mobilité des chaînes polymères. Celles-ci vont ensuite pouvoir s’écouler et ainsi permettre la cicatrisation.
Récupérer quasiment les mêmes propriétés de la pièce originelle
« Lorsque l’on coupe en deux un TPE dans lequel sont incorporées des nanoparticules, puis que l’on met en contact les deux parties, l’application du champ magnétique pendant une minute sur la fissure suffit pour récupérer l’intégrité de la pièce, explique l’enseignant-chercheur. Les propriétés de la pièce guérie sont alors quasiment identiques à celles de la pièce originelle. Certes, si l’on va loin dans la déformation (>100 %), on peut s’apercevoir que la guérison n’est pas parfaite, mais elle est largement suffisante pour la plupart des applications industrielles pour lesquelles les TPEs n’ont pas vocation à être déformés de façon trop importante. »
Une autre application de ce procédé est également envisagée et concerne le lissage de pièces imprimées en 3D. L’une des principales contraintes de cette technique de fabrication par dépôt de fils fondus se situe au niveau de sa vitesse d’exécution. Pour concevoir une pièce très lisse, sans défaut, un temps de fabrication très long est nécessaire, pouvant atteindre une journée entière pour obtenir une pièce de quelques dizaines de centimètres seulement. Ici, l’idée est de fabriquer rapidement le matériau, puis d’appliquer ce nouveau procédé a posteriori. « Cette technique existe déjà grâce à l’utilisation d’un traitement chimique, précise Guilhem Baeza. Elle consiste à diffuser des vapeurs d’acétone à la surface de la pièce pour faire s’écouler superficiellement le polymère et ainsi lisser sa surface. Nous avons démontré que notre procédé pouvait également être utilisé dans ce but, pour l’instant à l’échelle de quelques centimètres. En effet, comme le champ magnétique ne pénètre que sur 1 ou 2 mm, il est possible de rendre la surface liquide, et donc lisse, tout en gardant l’intégrité de la pièce. »
Ce nouveau procédé, adapté aux TPEs, a été récemment breveté et existe sous la forme d’un démonstrateur de laboratoire. Les chercheurs tentent à présent de poursuivre son développement en nouant des partenariats avec des industriels. L’un des projets futurs pourrait par exemple consister à réparer des pare-chocs abîmés. Un projet ANR (Agence nationale de la recherche) va également être lancé à la suite de ce travail de recherche, sur des aspects fondamentaux, pour comprendre la manière dont se comportent les nanoparticules et quantifier les effets de chauffage dans les TPEs.
¹ Le projet Pommade (Polymar Materials Induction Healing) est financé par l’Institut Carnot
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