Moteurs, ordinateurs, smartphones, satellites, appareils électroniques, médicaux… les aimants sont partout autour de nous. Ces dernières années, la demande en nouveaux matériaux magnétiques n’a cessé d’augmenter. Traditionnellement, les aimants sont conçus à partir de matériaux inorganiques comme le néodyme et le samarium, mais leur processus de fabrication se révèle coûteux en énergie, car ils nécessitent d’être chauffés à très hautes températures, autour de 600 degrés. De plus, ils sont fabriqués à partir de matériaux aux ressources limitées car présentes uniquement à certains endroits du monde comme la Chine et nécessitant d’importants procédés d’extraction. Des chercheurs du CNRS, de l’université de Bordeaux et de l’ESRF (European Synchrotron Radiation Facility) viennent de concevoir un nouvel aimant moléculaire, léger, facile à fabriquer et aux propriétés magnétiques quasi égales à celles des aimants traditionnels. Leurs travaux viennent d’être publiés dans la revue Science.
Qu’ils soient inorganiques ou conçus à partir de molécules organiques, les aimants possèdent tous des moments magnétiques, que l’on appelle également des spins au niveau atomique, et qui leur permettent d’acquérir des propriétés d’aimantation. Plus les spins sont proches les uns des autres, comme c’est le cas dans les aimants traditionnels, et plus les aimants possèdent un fort pouvoir d’aimantation. Par contre, dans le cas des aimants moléculaires, les spins étant séparés par des molécules organiques, leur densité magnétique est intrinsèquement moindre.
Une forte augmentation des interactions magnétiques entre spins
« En 2018, nous avons réalisé un premier travail de recherche et conçu un aimant organométallique à l’aide de la pyrazine, une molécule organique qui a la particularité de pouvoir se réduire et donc de posséder un spin. Nous l’avons associé à du chrome, un métal de transition, et réussi à fabriquer un matériau magnétique dont les spins communiquent entre eux de manière efficace », explique Rodolphe Clérac, directeur de recherche au CNRS, au Centre de Recherche Paul Pascal à Pessac. « Dans ce nouveau travail de recherche, grâce à un procédé chimique relativement simple à réaliser, nous avons réussi à partir du matériau synthétisé en 2018, à réduire toutes les pyrazines, déjà liées avec le chrome et ainsi augmenter de façon très importante les interactions magnétiques entre spins. »
Alors que jusqu’ici, la plupart des aimants moléculaires ne fonctionnent qu’à une température inférieure à -200 degrés Celsius (°C), ce nouvel aimant conserve ses propriétés à une température pouvant atteindre 242°C. Dans la littérature scientifique, il existe bien deux exemples d’aimants moléculaires capables de fonctionner à température ambiante mais qui ne possèdent pas d’effet mémoire. Cette propriété est reliée à ce qu’on appelle le champ coercitif et permet de quantifier la durée pendant laquelle l’aimant va conserver son aimantation, par exemple son état 1 ou 0. Elle est très importante, car elle permet le codage d’informations durant une durée déterminée et est à la base, par exemple, de la fabrication des disques durs traditionnels. « Nous avons réussi à augmenter l’effet mémoire de ce nouvel aimant moléculaire de 25 fois comparé aux précédents aimants de ce type conçus. Son champ coercitif est à présent au même niveau que celui des aimants traditionnels avec une valeur de l’ordre du tesla. »
Seule différence entre ce nouvel aimant moléculaire et ceux traditionnels : l’amplitude de l’aimantation. Elle est en effet beaucoup plus grande chez les aimants inorganiques, car la densité des moments magnétiques (spins) est beaucoup plus élevée. Elle dépasse généralement les 5 g/cm³ et peut même atteindre 9 g/cm³ alors que la densité de ce nouvel aimant est comprise entre 1 à 2 g/cm³, ce qui en fait un aimant beaucoup plus léger.
Contrôler la propriété physique d’un matériau à partir de la chimie
Dans le futur, ce nouvel aimant pourrait donc servir à la fabrication d’objets technologiques dont le poids joue un rôle important, comme par exemple les satellites ou les smartphones. « Nos travaux se situent dans le domaine de la recherche fondamentale et consistent à contrôler la propriété physique finale d’un matériau à partir de la chimie. Je ne doute pas que ce nouvel aimant trouve des applications et viendra se positionner en complément des aimants traditionnels. »
Ce travail de recherche va se poursuivre, les chercheurs tentant à présent de cumuler d’autres propriétés à cet aimant moléculaire. Par exemple, en le rendant commutable c’est-à-dire en activant ou désactivant ses propriétés magnétiques à partir d’un stimulus extérieur comme la lumière, la température ou un champ électrique… Autre voie de recherche : lui faire conserver ses propriétés d’aimantation tout en le rendant capable d’être un bon conducteur électrique et ainsi être utilisé dans le champ de l’électronique moléculaire.
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