Des scientifiques développent un procédé qui s'inspire directement du biomimétisme pour fabriquer de l'ammoniac. En laboratoire, ils sont parvenus à dissocier des molécules de diazote grâce à des atomes de silicium, en utilisant très peu d'énergie. Il s'agit de la première étape décisive permettant la synthèse de l'ammoniac.
L’ammoniac (NH3) est le deuxième composé chimique le plus employé dans le monde, après l’acide sulfurique. Il est très utilisé par l’industrie agrochimique, pour produire des engrais notamment, ainsi par la pharmacochimie, pour fabriquer des médicaments. Sa synthèse consiste à faire réagir le diazote de l’air (N2) avec du dihydrogène gazeux (H2), via le procédé Haber-Bosch. Elle nécessite dans un premier temps de casser la triple liaison reliant les deux atomes d’azote et pour y parvenir, il est nécessaire de chauffer le diazote à haute température (500 degrés) et haute pression (200 bar). Résultat : environ 2 % de l’énergie dans le monde est consommée par le processus qui permet la synthèse de l’ammoniac à l’échelle industrielle. Au sein d’un projet nommé Ovation et financé par l’ANR (Agence nationale de la recherche), des scientifiques de l’institut FEMTO-ST, en collaboration avec ChimieParisTech, l’IS2M (Institut de Science des Matériaux de Mulhouse) et l’École Polytechnique de Montréal, sont en cours de développement d’un nouveau procédé à faible empreinte énergétique qui s’inspire directement du biomimétisme.
« Les plantes savent très facilement casser les molécules de diazote à température ambiante et à la pression atmosphérique, explique Frédéric Chérioux, directeur de recherche CNRS à l’institut FEMTO-ST. Elles possèdent des enzymes qui vont venir capturer les molécules de diazote à l’aide de complexes dont la distance entre les deux sites réactifs n’est que d’un nanomètre. Ensuite, elles y appliquent une différence de tension d’un volt. Étant donné qu’un champ électrique est égal à la tension divisée par la distance, le champ électrique délivré est considérable puisqu’il atteint le gigavolt par mètre, et cela permet de dissocier les molécules de diazote. Nous nous sommes directement inspirés de ce processus. »
Les chercheurs ont reproduit ces mêmes conditions en utilisant un microscope STM (Scanning tunneling microscope), encore appelé à effet tunnel, qui permet non seulement d’observer la matière à l’échelle atomique, mais aussi d’y réaliser des réactions chimiques de manière contrôlée. Ils ont constaté qu’en approchant une molécule de diazote d’un atome de silicium, ce dernier allait lui transférer un électron permettant de séparer les deux atomes d’azote. Pour parvenir à ce résultat, il est nécessaire d’appliquer une très légère énergie et de contrôler le processus en injectant un électron du silicium dans un endroit particulier des liaisons reliant les deux atomes d’azote, appelé orbitale antiliante, et qui a tendance à s’opposer à la stabilité de la molécule. « Dès que l’on commence à transférer l’électron, le processus se poursuit et finit par dissocier les deux atomes d’azote qui viennent ensuite se fixer à la surface du silicium, complète Frédéric Chérioux. Ce résultat est pour le moment au stade de la preuve de concept en laboratoire. »
Le procédé est réalisé à température ambiante et sous ultra-vide
Le principal avantage de ce procédé est la faible quantité d’énergie nécessaire pour parvenir à casser les liaisons des deux atomes d’azote. Il est en effet réalisé à température ambiante et sous ultra-vide, à 10-5 millibar, soit une pression 20 millions de fois moins élevée que celle actuellement utilisée dans le procédé actuel de synthèse de l’ammoniac Haber-Bosch.
Le concept mis en œuvre par les chercheurs est nouveau et fait partie d’un vaste champ multidisciplinaire appelé la science des surfaces et issu de la science des matériaux. « Il y a une dizaine d’années, le silicium était le sujet le plus publié au monde, mais personne n’a pensé à dissocier une molécule d’azote avec ce composé, déclare Frank Palmino, professeur à l’Université de Franche-Comté et responsable du groupe Nanosciences à l’institut FEMTO-ST. Le processus que l’on met en jeu est quantique et est totalement différent des réactions chimiques réalisées actuellement pour la synthèse industrielle de l’ammoniac. La partie la plus difficile à réaliser est d’être capable d’injecter des électrons dans une orbitale moléculaire de diazote à un endroit bien précis et avec une énergie bien précise. »
Pour fabriquer des molécules d’ammoniac, il est ensuite nécessaire de faire réagir les atomes d’azote avec des molécules d’hydrogène. Là encore, cette seconde étape est réalisée dans l’enceinte même du microscope STM. « D’un point de vue expérimental, nous pensons être parvenus à mettre en œuvre cette réaction, mais il nous manque des moyens matériels pour en apporter la preuve scientifique, ajoute Frank Palmino. Nous poursuivons ce travail de recherche et nous devrions démontrer que nous sommes parvenus à produire de l’ammoniac en utilisant la technique d’analyse par spectrométrie de masse. »
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