Interview

Un nez électronique qui analyse l’haleine et dépiste des maladies

Posté le 6 mai 2020
par Nicolas LOUIS
dans Innovations sectorielles

L’IMT Lille Douai développe un nez électronique, conçu à partir de capteurs en polymères, qui réagit aux molécules organiques de l'haleine. Jean-Luc Wojkiewicz, enseignant-chercheur, nous présente cette technique d'analyse et de diagnostic de certaines pathologies.
Crédit photo : IMT Lille Douai

Au début des années 70, Linus Pauling, un chercheur américain, a démontré le lien entre la composition des gaz dans l’haleine d’une personne et l’état métabolique de son corps. Plus précisément, les composés organiques volatils (COV) présents dans l’air expiré peuvent fournir de précieux renseignements sur l’état de santé d’une personne et la présence éventuelle d’une pathologie. Cette technique d’analyse présente l’avantage d’être non invasive pour le patient et facilite le diagnostic des maladies à un stade précoce. Grâce aux avancées technologiques, des travaux de recherche sur le développement de nez électroniques imitant le système olfactif humain se développent à travers le monde. Certains outils sont à un stade avancé, à l’image du Na-Nose conçu en Israël ou encore du Aeonose aux Pays-Bas. En France, l’Institut Mines-Télécom Lille Douai est engagé dans un programme de recherche pour concevoir son propre nez électronique afin de diagnostiquer l’insuffisance rénale et certains cancers. Rencontre avec Jean-Luc Wojkiewicz, enseignant-chercheur à l’IMT Lille Douai.

Techniques de l’Ingénieur : Comment fonctionne votre technologie ?

Jean-Luc Wojkiewicz, enseignant-chercheur à l’IMT Lille Douai : Nous développons des capteurs capables de détecter la présence de COV dans l’haleine. Ils sont conçus en polymères car ces macromolécules réagissent avec les COV et agissent à température ambiante. Ils présentent également l’intérêt d’être réversibles, c’est-à-dire qu’une fois après avoir réagi avec une molécule organique de l’haleine, ils reviennent à leur état initial. On peut aussi les travailler en solution, ce qui nous permet de les imprimer sur un substrat flexible facilement intégrable dans des systèmes électroniques miniaturisés. Avec un litre de solution, il est possible d’imprimer des centaines de millions de capteurs. Nous travaillons sur le diagnostic de l’insuffisance rénale et avons réalisé des prélèvements d’haleines sur 50 patients à l’aide de techniques de chimie analytique classique. Au total, 400 COV différents ont été identifiés, et notre objectif est d’en sélectionner 10 comme étant les plus caractéristiques de cette maladie. Étant donné que nous avons besoin d’une dizaine de capteurs pour mesurer chaque COV, le nez électronique sera constitué d’une centaine de capteurs. L’ensemble sera miniaturisé et la taille de l’outil ne dépassera pas celle d’un téléphone portable.

Comment est réalisée la mesure des molécules organiques dans l’haleine ?

Les techniques de chimie analytique classiques mesurent très précisément la quantité de chaque COV mais se révèlent longues et coûteuses. Nos capteurs nous permettent d’obtenir une réponse globale que nous traitons ensuite à l’aide d’algorithmes pour établir un diagnostic de la maladie. Les polymères utilisés présentent tous la caractéristique d’être dopés afin d’offrir une très grande conductivité électrique. Nous mesurons indirectement la présence d’un COV à travers leur capacité à s’opposer au passage du courant électrique.

Un système de mesure a été conçu en laboratoire pour tester les capteurs électroniques /IMT Lille Douai

Prenons l’exemple de l’ammoniac qui est l’un des COV permettant de mesurer l’insuffisance rénale. Nous utilisons 11 capteurs différents avec pour polymère de base la polyaniline que nous associons à différents matériaux comme du chitosan ou du dioxyde de titane et chacun réagit à la présence de l’ammoniac.

Des capteurs électroniques sont imprimés sur un substrat flexible /IMT Lille Douai

Nous mesurons la conductivité électrique de chaque capteur et après traitement nous obtenons dans un premier temps une matrice avec un nuage de points. Nous développons ensuite des algorithmes spécifiques pour distinguer les patients sains de ceux qui sont malades. Nous avons identifié qu’une concentration en ammoniac supérieure à 1,6 ppm est caractéristique de la maladie et que celle inférieure à 1,1 ppm correspond à une personne saine.

À quelle phase de votre projet en êtes-vous ?

Nous avons réalisé des tests en laboratoire en reconstituant une haleine artificielle à l’aide d’une bouteille et mené un essai clinique sur 5 patients au CHU de Lille. Cela nous a permis de valider notre procédé technologique mais, pour l’instant, nous avons seulement mesuré la présence de l’ammoniac dans l’haleine alors qu’il est nécessaire de détecter une dizaine de COV supplémentaires pour diagnostiquer l’insuffisance rénale. Nous allons poursuivre nos travaux jusqu’en 2022 afin de finaliser le concept. Nous faisons également partie d’un programme de recherche européen, Interreg « Pathacov », sur le cancer du poumon, avec le CHU de Lille. Dans ce cadre, nous allons mener des essais cliniques sur 1 500 patients. À terme, nous souhaitons commercialiser un nez électronique simple, portatif et offrant un résultat immédiat. Il sera commercialisé à moins de 1 000 euros et permettra de réaliser des analyses à un coût quasi nul car les capteurs en polymères sont réversibles. Même si le résultat des analyses a tendance à se modifier avec le temps à cause d’un taux d’humidité de l’haleine de 90 % et du vieillissement des capteurs, nous développons des algorithmes afin de corriger la dérive des mesures observées.

Propos recueillis par Nicolas Louis


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