Les matériaux adsorbants sont la pièce maîtresse des pompes à chaleur fonctionnant sur le principe de l’adsorption et de désorption de l’eau. Afin de produire du froid, ceux actuellement commercialisés ont besoin d’une température de 90 degrés pour résorber l’eau. Pour l’atteindre, il est donc nécessaire d’apporter une source de chaleur externe, mais qui consomme de l’énergie. Des scientifiques de l’Institut Charles Gerhardt Montpellier et de l’Institut de recherche KRICT en Corée du Sud ont élaboré un nouveau matériau hybride nanoporeux capable d’adsorber des quantités importantes d’eau et de les désorber à une température en dessous de 70 degrés. Cette innovation pourrait ouvrir la voie à de futures pompes à chaleur capables de produire du froid uniquement grâce au rayonnement solaire dans des pays chauds. Ce travail de recherche vient d’être publié dans la revue Nature Communications.
Les systèmes solaires thermiques basés sur un mécanisme d’adsorption et de désorption de l’eau fonctionnent à l’aide d’un matériau adsorbant. Ce dernier a la propriété de fixer à sa surface des atomes, des ions ou des molécules grâce à un transfert de matières de la phase gazeuse ou liquide vers la surface solide. Ce phénomène est plus ou moins réversible, c’est-à-dire qu’après avoir fixé l’eau dans ses pores, le matériau est capable de la libérer sous l’effet de la température et d’ainsi produire du froid. « Toute la problématique est de trouver un matériau qui adsorbe à la fois de grandes quantités d’eau tout en ayant la capacité à la libérer à basse température », analyse Guillaume Maurin, chercheur à l’Institut Charles Gerhardt Montpellier.
Des simulations numériques pour prédire les performances du matériau
Grâce à des outils de simulations numériques, les chercheurs de Montpellier ont dans un premier temps prédit un nouveau matériau hybride appartenant à la famille des Metal-Organic-Framework (MOFs). Ils sont formés par l’association d’un oxyde de métal et d’un ligand organique. Le nouveau matériau créé a été baptisé KMF-1 et est constitué de chaînes d’oxyde d’aluminium connectées par des cycles aromatiques formant des canaux microporeux. « La découverte de ce matériau a été réalisée in silico grâce à des outils numériques capables aussi de prédire ses performances d’adsorption, poursuit le chercheur. Au lieu de tester arbitrairement un nombre infini de matériaux, ces simulations nous ont permis de limiter leur nombre et de focaliser l’effort de recherche vers ceux que nous considérions comme les plus prometteurs et ainsi gagner du temps. »
L’institut de recherche en Corée du Sud est ensuite parvenu à faire la synthèse de ce matériau et a ensuite testé ses performances. Les simulations numériques se sont avérées exactes puisque les expérimentations ont démontré que le KMF-1 est capable d’adsorber de grandes quantités d’eau et de la désorber facilement à une température comprise entre 65 et 70 degrés. « Dans des pays chauds comme ceux du bassin méditerranéen et africain où la température de l’air peut monter entre 45 et 50 degrés, il est possible de concentrer les rayons du soleil afin d’atteindre cette température de désorption de 65 à 70 degrés, explique Guillaume Maurin. Grâce à ce nouveau matériau, nous allons être en mesure de produire du froid sans besoin énergétique supplémentaire. Ce niveau de performance n’avait jusqu’ici jamais été atteint. »
Le KMF-1 pourrait aussi servir à la fabrication de réfrigérateurs respectueux de l’environnement. Les systèmes frigorifiques à compression utilisent en effet tous des polluants comme les chlorofluorocarbones pour fonctionner. Ici, le fluide utilisé est totalement propre puisqu’il s’agit de l’eau. « Même si les normes en vigueur deviennent de plus en plus contraignantes, tous les fluides réfrigérants actuellement utilisés dans les réfrigérateurs restent nocifs pour la couche d’ozone et toxiques pour la santé. Notre nouveau matériau pourrait aussi offrir une alternative dans ce domaine d’application. »
Tester le KMF-1 sur des pilotes semi-industriels
Enfin, ce nouveau matériau possède également une capacité à produire de la chaleur. Ce phénomène se produit lors de la phase d’adsorption de l’eau, un mécanisme exothermique. Et il se répète au moment de la phase de désorption puisque la condensation de l’eau entraîne la production de chaleur. Le KMF-1 se révèle donc être un matériau potentiel pour faire fonctionner les pompes à chaleur.
Même s’il est très prometteur, le KMF-1 reste encore au stade de la preuve de concept. Pour l’instant, tous les tests ont été réalisés à l’échelle du laboratoire. L’étape suivante va consister à le produire en grande quantité, au moins à l’échelle du kilo, afin de le tester sur des pilotes semi-industriels. Ces études devraient durer entre 5 et 10 ans. « Nos collègues Coréens sont équipés de pilotes de laboratoire semi-industriels, ajoute le chercheur. Ils ont déjà validé l’aspect cyclabilité et régénération du matériau. Actuellement, ils envisagent déjà de faire des tests sur plus de 1 000 cycles, ce qui correspond à des temps d’utilisation réels de 2 à 3 années. Si nous obtenons une bonne transférabilité entre les pilotes de laboratoire et ceux industriels, nous pourrons ensuite envisager la commercialisation du matériau et son intégration dans des pompes à chaleur. »
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