Issue du CEA Saclay, la start-up Posithôt a développé un générateur capable de produire des positons sans utiliser aucune source radioactive. Il permet de réaliser des analyses de défauts dans des matériaux avec une précision qui se situe au niveau atomique. Entretien avec son fondateur.
Un positon est une particule élémentaire de même masse qu’un électron, mais de charge opposée. En 2005, Jean-Michel Rey est nommé chef de projet au sein du CEA Saclay et a pour mission de construire un appareil capable de produire un faisceau intense de positon de basse énergie. Son travail s’inscrit dans le cadre de la préparation d’une expérience de physique fondamentale, maintenant installée au CERN (Conseil européen pour la recherche nucléaire) et appelée l’expérience GBAR (Gravitational Behaviour of Antihydrogen at Rest). Sa finalité est la mesure de la constante gravitationnelle (l’accélération en chute libre) de l’antimatière sous l’effet de la gravité. Après avoir réussi à faire la preuve de concept d’un appareil, il identifie qu’il peut se substituer à ceux utilisés dans des laboratoires de recherche pour réaliser des analyses de défauts dans des matériaux, à la différence qu’il n’emploie aucune source radioactive pour produire des positons. En 2015, il crée une start-up afin de développer cette technologie. Aujourd’hui, il est sur le point de la mettre sur le marché. Rencontre avec le fondateur de Posithôt.
Techniques de l’Ingénieur : Quel est le principe technologique de votre procédé ?
Jean-Michel Rey : Il consiste à envoyer un faisceau de positons dans la matière, à l’image d’un microscope électronique, sauf que l’on remplace les électrons par des positons. Ces particules d’antimatière induisent des phénomènes physiques différents de ceux que l’on obtient avec la matière. Ainsi, chaque positon est repoussé par l’ensemble de la matière et va donc se piéger dans les défauts qui proviennent de l’absence locale d’un noyau d’atome. Et au bout d’un moment, ils vont tous interagir avec les électrons, et disparaître par le phénomène d’annihilation, qui correspond à la disparition de l’énergie de masse et sa transformation en énergie lumineuse ou photonique. Lors de la production de ces photons, nous analysons leur spectre énergétique et l’on en déduit des informations sur la taille des défauts et leur densité dans la matière. Cette technique s’appelle la spectrométrie d’annihilation de positons, souvent abrégée par l’acronyme PAS pour Positron Annihilation Spectroscopy. Il s’agit d’une forme de métrologie, très mature sur le plan de la science fondamentale, car les travaux sur la caractérisation par PAS existent depuis une vingtaine d’années.
Quels sont les avantages de votre technologie ?
Elle est très précise, car grâce à l’analyse des absences de matière à l’intérieur de la matière, nous obtenons une résolution ultime correspondant à la taille de l’atome. Il existe d’autres techniques capables de descendre à ce niveau de résolution, mais elles sont destructives. C’est le cas de la microscopie électronique en transmission ou de la sonde atomique tomographique.
Notre technologie est non destructive pour la matière à condition que les profondeurs d’analyse ne dépassent pas 700 à 1 000 nanomètres. Nous sommes donc relativement proches de la surface, mais cette épaisseur est suffisante pour identifier des fissurations naissantes en mécanique, celles qui progressent le plus vite, et dont la dangerosité est maximale.
Aujourd’hui, la technique d’analyse la plus utilisée pour observer des endommagements conduisant aux fissures de surface s’appelle le ressuage, mais nécessite la présence d’un opérateur qualifié possédant un niveau de certification pour la mettre en œuvre. Notre technologie génère un pic d’annihilation facile à identifier dont l’analyse est entièrement réalisée par traitement numérique, et ne demande aucun opérateur, cela évite toute erreur d’interprétation liée à l’humain.
Il existe actuellement dans le monde six laboratoires de recherche qui pratiquent la spectrométrie d’annihilation de positon à partir de réacteurs nucléaires de recherche, et une cinquantaine utilisant des sources radioactives à base de sodium 22. Posithôt est la seule société à savoir produire des positons à partir d’un générateur non radioactif de sa conception, et donc à être capable d’utiliser ce procédé pour l’industrie.
Quelles sont les applications potentielles ?
Notre vocation est de rendre accessible cette technologie au plus grand nombre, c’est-à-dire aux laboratoires de recherche et aux industriels, qui ont un besoin fort en développement de matériaux.
Le champ d’application est extrêmement vaste et concerne presque tous les matériaux innovants ou à fonctionnalité innovante. Plus concrètement, notre technologie est applicable aux matériaux soumis à des sollicitations dans les domaines électriques, thermiques, mécaniques, voire photoniques. Nous répondons aux besoins de calibration de ces matériaux, soit à priori soit à postériori. Nous sommes capables de caractériser leurs densités de défaut, ainsi que les fonctionnalités qui leur sont attachées, leur durabilité et leur capacité de tenir ou non les intensités auxquelles ils sont soumis. Tout cela, avec une précision qui se situe au niveau atomique, et donc avec une marge d’erreur excessivement limitée.
À quel stade se trouve votre projet ?
Depuis 2015, date de création de notre société, notre principal travail a consisté à construire un équipement industriel, et notamment à réduire son encombrement. À l’origine, son poids dépassait plusieurs centaines de tonnes, et à présent il se limite à environ 40 tonnes, et est transportable par containers. Il répond aux directives de sécurité de l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire), qui est en train de valider le dossier de sécurité.
En parallèle, nous avons signé des contrats de codéveloppement pour exploiter notre procédé dans le secteur industriel, essentiellement avec l’armée française et l’aéronautique militaire, mais nous ne sommes pas autorisés à en parler. Nous avons aussi travaillé avec le CNES, qui nous a demandé de tester des matériaux utilisés pour le lanceur spatial Ariane 5. Nos interlocuteurs soupçonnaient des défauts, mais la technique du ressuage n’avait rien donné. Grâce à notre procédé, nous avons réussi à démontrer des débuts d’endommagements liés à des niveaux de sollicitation en fatigue, et identifié des amorces de fissuration qui commençaient à rentrer en profondeur.
En février, nous allons mettre en service un générateur sur le site de Paris Saclay. Il a été financé par la région Île-de-France, dans le cadre de l’appel à projet Innov’up Leader du PIA4 (Programme d’investissements d’avenir n° 4). Nous allons réaliser des prestations de service avec cet équipement et le dupliquer pour le vendre à des centres de recherche et à des industriels.
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