La loi AGEC va contraindre les centres VHU à contractualiser avec des éco-organismes ou des systèmes individuels pour poursuivre leurs activités.
L’Indra, Industrie Nationale de Déconstruction et de Recyclage Automobile, est une entreprise, créée en 1985, et aujourd’hui leader de la filière française du recyclage automobile. Depuis sa création l’Indra s’est attelée à regrouper un maximum de démolisseurs indépendants et s’efforce de classifier la provenance des véhicules qui sont traités.
Reprise en 2008 par Renault et Suez, l’entreprise possède aujourd’hui 3 centres de traitement VHU, sur les 330 qui sont regroupées dans le réseau Indra.
Olivier Gaudeau, Directeur des affaires publiques de Indra Automobile Recycling, a expliqué aux Techniques de l’Ingénieur quelles évolutions ont, depuis la réglementation européenne en 2012, marqué la filière de traitement des VHU. Avant l’entrée en vigueur effective de la loi AGEC, dans environ 18 mois.
Techniques de l’Ingénieur : La loi AGEC pour l’automobile, prévue initialement pour entrer en vigueur début 2024, n’est toujours pas appliquée. Pourquoi ?
Olivier Gaudeau : Effectivement. C’est quelque chose sur lequel nous travaillons depuis des années, et qui met beaucoup de temps à sortir. Aujourd’hui, les textes sont quasiment tous finalisés, sauf en ce qui concerne un arrêté relatif aux données des filières à responsabilité élargie des producteurs. Ce dernier précise quels types de données les filières REP doivent reporter, et comment le faire. L’arrêté est sorti en 2022, alors que l’annexe relative aux VHU n’avait pas à ce moment été produite. Depuis, le ministère[1] et l’Ademe travaillent dessus, et cette annexe devrait être publiée avant la fin de l’année, ce qui entraînera peut-être une révision de l’arrêté.
Au-delà de cette incertitude, les principaux acteurs et parmi eux les metteurs en marché ont déjà décidé de la solution qu’ils souhaitent mettre en place, à savoir des éco-organismes – qui vont représenter moins de 10% des mises en marché – ou des systèmes individuels, via lesquels les producteurs confieront le traitement des VHU à des prestataires comme l’Indra par exemple.
Seul un éco-organisme a pour le moment reçu l’agrément. Les marques, de leur côté, développent des systèmes individuels. Quelle est la stratégie derrière ce choix ?
C’est exact. Le premier éco-organisme, Recycler Mon Véhicule, a été agrémenté il y a 2 mois environ. En consultant le site internet de RMV, on peut ainsi découvrir quels sont les metteurs en marché qui y adhèrent. On peut donc considérer que tous les metteurs en marché qui ne sont pas dans cette liste vont mettre en œuvre un système individuel.
En ce qui nous concerne, Renault a confié à l’Indra le soin de l’aider dans la mise en œuvre de son système individuel. In fine, l’Indra sera prestataire du système de Renault, pour accompagner la marque dans la lourde tâche qui consistera à atteindre les objectifs édictés par le dispositif réglementaire actuel.
En tout état de cause, les metteurs en marché sont devant un choix : soit ils mutualisent, soit ils partent en système individuel.
Au vu de ce qui nous attend dans les mois à venir avec la mise en place du règlement européen, la vision de l’Indra est la suivante : il est logique que les metteurs en marché s’organisent pour essayer d’organiser notamment les flux de matière. En effet, les règlements européens vont les contraindre à incorporer des matières recyclées dans leurs véhicules, en commençant par les polymères. Il apparaît donc logique que les constructeurs aient la volonté de piloter le flux de matière, pour capter la matière et la faire passer par un certain nombre de process définis avec des partenaires, pour être certain de disposer d’une matière recyclée apte à être incorporée dans différents équipements automobiles, en tenant compte de leur cahier des charges.
Au-delà du système individuel que Renault développe avec la collaboration de l’Indra, allez-vous contractualiser avec d’autres systèmes individuels ?
Il est tout à fait possible pour un prestataire de contractualiser avec plusieurs systèmes individuels. Nous avons même le cas d’un acteur qui s’apprête à contractualiser à la fois avec un éco-organisme et avec un système individuel.
De notre côté, nous sommes en contact avec une dizaine de metteurs en marché, que nous aidons à monter leur dossier pour l’obtention de leur agrément en système individuel.
Chaque metteur en marché a ses spécificités, que ce soit au niveau des types de véhicules mis en marché, de leur poids sur le marché, du lieu de production de leurs véhicules… Les problématiques ne sont pas du tout les mêmes selon les constructeurs, et la façon dont nous allons mettre en place le traitement et le recyclage de certaines matières peut donc varier.
Les centres VHU se préparent à l’entrée en vigueur de la loi AGEC depuis longtemps. Cela a-t-il un impact visible sur la filière ?
Pour le moment, pas vraiment. Après, cela pousse certains centres de traitements de véhicules hors d’usage à se poser des questions, notamment sur la place qu’ils occuperont dans la filière lorsque la loi entrera en application. Il y a de l’inquiétude, notamment chez les acteurs qui se sentent un peu juste en termes de respect de la réglementation. Concrètement, cela fait une quinzaine d’années que la filière s’est organisée et est soumise à la réglementation européenne. Elle s’est donc petit à petit mise en mouvement, avec des transformations colossales, sur les pièces issues de l’économie circulaire, sur l’informatisation des centres, les investissements en matière de stockage des véhicules, l’imperméabilisation des sols, les dispositifs de systèmes de dépollution, de démontage… C’est d’ailleurs en grande partie grâce à cela que la France dispose sur le traitement des VHU d’une des meilleures filières d’Europe, voire la meilleure, avec un reporting, qui même s’il est déclaratif, s’avère être un outil performant.
Dans quelle mesure l’entrée en vigueur va-t-elle aussi constituer un défi pour les constructeurs automobiles ?
Les constructeurs vont devoir structurer de véritables filières avec des partenaires et pour y parvenir, il vaut mieux que ces derniers soient moteurs, en tant que metteurs en marché, dans la mise en place de ces filières, plutôt que d’avoir un rôle d’acheteurs de matières, sans aucune certitude de trouver ce qu’ils cherchent sur le marché. C’est une des grandes manœuvres en cours, qui va consister pour les constructeurs à capter de la matière, sans en être réellement le propriétaire, puisque la matière appartient au dernier détenteur du véhicule hors d’usage, donc soit les centres VHU, soit les broyeurs… Qui n’auront aucune obligation de leur céder les matières en question.
Ensuite, à partir du moment où un acteur du secteur décide de se constituer en système individuel, en tant que metteur en marché, il sait qu’il va devoir reporter sur sa marque. Ainsi, tous les objectifs à atteindre – taux de collecte, de recyclage, de réutilisation, récupération des fluides frigorigènes… – se mesureront au regard de la marque en question. Cette segmentation par marque constitue selon moi le plus grand défi de la filière. Cela veut dire qu’il faut mettre en place des outils de reporting pour chaque acteur, ce qui permettra de faire remonter les informations des centres VHU vers les marques. Cela va nécessiter une adaptation importante des systèmes d’informations des centres VHU.
De notre côté, nous avons demandé aux éditeurs de logiciels concernés de se regrouper en groupes de travail pour adresser cette problématique.
Comment l’Indra se positionne, à l’interface entre les constructeurs et les centres VHU ?
Depuis le départ nous défendons une position claire : nous sommes pour un marché qui reste libre. Nous sommes dans un rôle de courroie de transmission, entre d’un côté les constructeurs et de l’autre la filière VHU.
Nous avons nous même un réseau des centres VHU, environ 330, dont trois qui nous appartiennent. Nous avons pour objectif d’ici la fin de l’année prochaine d’en acquérir 7 de plus, pour arriver à 10. L’objectif derrière cette stratégie est d’être plus présents dans la filière, pour mieux comprendre comment elle fonctionne, mais aussi pour faire face à l’arrivée massive d’acteurs étrangers, américains et d’Europe du Nord notamment.
Nous voulons donc être plus présents dans la chaîne de valeur pour être en mesure de défendre la profession.
Comment évaluer le risque, pour certains centres VHU, de ne pas être en mesure de contractualiser avec un système individuel ou un éco-organisme ?
Un centre VHU qui respecte la réglementation sera fortement courtisé par les éco-organismes et les systèmes individuels. Ce qui ne sera pas le cas des 1700 centres actuellement en activité. A l’heure actuelle, je dirai qu’à peine un millier de centres VHU respectent la réglementation.
Concrètement, que peut-on reprocher aux 700 centres que vous évoquez qui ne respectent pas la réglementation ?
Depuis 2012, les textes sont clairs et définissent un cadre réglementaire autour de l’activité des centres VHU. Douze ans plus tard, un certain nombre de centres n’ont pas fait le travail nécessaire pour s’adapter au cadre réglementaire. Dans le réseau Indra, nous avons incité les centres partenaires à entrer dans ce cadre réglementaire, tout en restant économiquement viable. Nous les avons accompagnés en développant des solutions aval de commercialisation de PIEC et de matières et des solutions visant à réduire la non-valeur ajoutée de leurs processus de prise en charge, stockage et traitement des VHU.
Je suis persuadé que les objectifs de demain sont toujours atteignables sans support financier des metteurs en marché. D’une part parce que nous sommes sur une filière, qui du point de vue des pièces issues de l’économie circulaire est en pleine croissance. Un centre VHU qui fait de la pièce issue de l’économie circulaire à l’heure actuelle connaît une croissance à au moins deux chiffres depuis quelques années. Tout cela vient largement compenser les coûts. On voit aujourd’hui que même si les volumes baissent, le chiffre d’affaires lié au marché des PIEC ne cesse d’augmenter. Cette dynamique positive permet de compenser les surcoûts liés à l’adaptation au cadre réglementaire qui est fixé depuis 2012 et aux objectifs de recyclage, du polypropylène ou du verre, par exemple, fixés pour les années à venir.
D’autre part, il y a aussi un potentiel de gain économique au niveau de l’organisation même des centres VHU. On va trouver deux types de centres VHU : ceux qui ont fait des efforts, depuis une dizaine d’années, pour se mettre au diapason des réglementations, gagner en productivité, rationaliser les flux… Chez Indra, nous avons une entité spécifique (ingénierie de déconstruction et recyclage automobile / re-source ingeneering solutions), que j’ai dirigée pendant plusieurs années, qui travaille sur ces sujets-là.
A côté de cela, il y a des centres VHU qui n’ont pas mis ces ingrédients en place. Selon moi, dans ce contexte, il est fort peu probable que les metteurs en marché subventionnent les centres VHU pour les aider à faire les aménagements nécessaires pour être dans le cadre réglementaire fixé.
Cela veut dire que certains centres vont exercer dans l’illégalité ?
Cette problématique va effectivement se poser. La réglementation européenne mise en place il y a 12 ans aurait pu être l’occasion, pour l’Etat, de lutter contre la filière illégale. Force est de constater que cela n’a pas été fait. Il y a encore aujourd’hui des acteurs qui ne font pas leurs déclarations Ademe depuis plusieurs années, et qui sont toujours agréés. Certains acteurs à la tête de centres VHU ont bien conscience que leurs centres, dans le cadre de la nouvelle réglementation, ne valent plus grand chose. Ce sont souvent des personnes qui approchent l’âge de la retraite, et qui vont, dans les mois à venir, arrêter leur activité. Il ne pourront pas céder leurs centres VHU, car personne ne voudra leur racheter, ils vont donc simplement monter un dossier de cessation de leur activité. C’est un cas de figure.
Pour les acteurs plus jeunes, pour qui la cessation n’est pas une option, il y a le risque de se retrouver aux portes de l’illégalité. S’il n’est pas impossible que certains metteurs en marché soient moins exigeants et acceptent de travailler avec des centres qui sont à la limite en termes de réglementation, cela constituera tout de même un gros risque pour le système individuel, et il apparaît peu probable que ce genre de pratique se développe.
Enfin, la profession a encore 18 mois devant elle pour se mettre à jour en termes de réglementation. Il existe donc encore à ce jour des solutions pour les centres VHU qui n’ont pas encore effectué les transformations nécessaires, mais il va leur falloir faire vite.
Quel est, aujourd’hui, le taux de VHU qui sont traités par la filière illégale ?
Personne n’est en mesure aujourd’hui de dire exactement combien de véhicules sont traités via des filières illégales en France. Ce chiffre est de toute façon probablement surestimé, car de nombreux vieux véhicules d’occasion sont exportés, en Afrique de l’Ouest notamment, et ne sont donc pas recyclés en France. Les chiffres concernant les taux de collecte, ou les VHU traités illégalement doivent donc être considérés avec prudence, puisque le gisement accessible réel de VHU est très compliqué à évaluer.
Aujourd’hui, le taux de collecte est calculé par l’administration en divisant le nombre de véhicules traités d’une marque pendant trois ans par le nombre de mises sur le marché pour ces mêmes années. Ce qui, on le comprend bien, ne reflète en rien le taux de collecte réel.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
[1] Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires
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