Créée en 2018, la start-up tunisienne DrillSERV était initialement un projet d’exploration des ressources en eau en Tunisie. Les cofondateurs Ahmed Aouiti et Hamza Essayeh se sont alors aperçus qu’il y avait un grand problème d’accessibilité des données concernant les nappes aquifères, et qu’ils n’avaient aucune information en temps réel.
En 2021, ils ont alors lancé le prototype de leur application Ilma. A l’aide de capteurs déposés directement dans les puits, leur solution permet de suivre les nappes phréatiques et de prévenir les risques de surexploitation des nappes. Ahmed Aouiti, ingénieur en géosciences, revient sur le fonctionnement de sa solution.
Techniques de l’Ingénieur : Comment fonctionne votre solution de suivi des nappes phréatiques ?
Ahmed Aouiti : Notre projet Ilma, qui signifie « eau » en maltais, est composé de deux entités. D’abord, une partie hardware avec des capteurs que l’on place directement dans le puits du client et une DS box pour transférer les données vers l’application. Ensuite, une partie software qui est donc l’application mobile Ilma et qui permet de visualiser les données en temps réel et notifier au client s’il y a un risque de surexploitation de la nappe. Ainsi, si l’application remarque un risque d’épuisement, elle alerte le client et, si elle a accès à la pompe, elle peut la désactiver automatiquement. Notre solution permet également de prévoir les ressources d’eau disponibles sur court et long terme.
A quels besoins répond votre solution ?
Aujourd’hui en Tunisie, la disponibilité totale en eau est d’environ 400 mètres cubes par habitant et par an, ce qui est inférieur à la limite de 1000 mètres cubes par habitant. Le pays est en pénurie d’eau et il est nécessaire d’avoir une gestion plus efficace de nos nappes phréatiques.
Grâce à notre solution, nos clients peuvent décider de stopper l’utilisation d’un puits avant que la nappe ne s’épuise, en utilisant par exemple des puits de réserve ou en creusant un autre forage. Cela restreint le risque d’arrêts non programmés de l’activité dans les usines par exemple, ce qui peut causer des pertes d’argent de plusieurs milliers d’euros selon les industries.
Du côté des agriculteurs, notamment dans les régions côtières comme en Sicile, notre application Ilma permet aussi d’éviter le risque d’intrusion marine. C’est le surpompage qui créé cette contamination de l’eau douce par l’eau de mer et qui a un effet néfaste sur les cultures. Avec notre solution, les agriculteurs sont alertés si leur puits est surexploité et ils peuvent s’arrêter avant. En France par exemple, où les nappes sont relativement proches du sol, les nappes phréatiques se rechargent notamment grâce à l’eau de pluie. Si on pompe trop, la nappe n’a plus le temps de se recharger, et même l’eau de pluie ne suffira plus. La nappe s’épuise et il faut creuser un nouveau forage, ce qui coûte cher.
A qui s’adresse votre solution ?
Nos clients sont des agriculteurs, des industries en eau, produits agroalimentaires, produits laitiers etc. Depuis l’année dernière, nous avons vendu notre solution à 127 clients en Tunisie. Nous essayons également de nous lancer sur le marché africain avec une filiale à Niamey au Niger, avant de nous introduire sur le marché méditerranéen. En effet, avec le changement climatique, des pays comme l’Espagne ou l’Italie vont souffrir très prochainement de pénurie d’eau.
Votre solution est-elle efficace pour lutter contre le stress hydrique ?
Elle permet d’éviter le gaspillage, la surexploitation et de mieux gérer les ressources. En revanche, elle ne peut pas être une solution au stress hydrique car le réel problème, c’est le changement climatique. Nous parlons là d’une question majeure et toute l’humanité doit intervenir, sans ça, il y aura de plus en plus de pénuries d’eau.
Quels sont vos projets avec DrillSERV ?
Notre solution fonctionne sur le big data, donc pour que nos prévisions soient de plus en plus précises, nous souhaitons collecter davantage de données. Ensuite, nous voulons développer notre start-up grâce à la commercialisation de notre solution sur le marché tunisien, mais aussi via une levée de fonds qui nous permettra d’améliorer notre solution, d’investir en R&D, de recruter du personnel fixe… Et enfin, nous pourrons exporter notre solution vers les marchés internationaux.
Est-il facile d’innover en Tunisie ?
Depuis la révolution de 2011, et plus précisément depuis la loi de 2018 relative aux startups, l’Etat propose des aides financières et des avantages fiscaux aux entrepreneurs pour réaliser leurs projets dans l’innovation. Cela étant, il reste compliqué d’avoir accès aux financements et il y a peu d’opportunités. De notre côté, nous avons reçu une aide de l’Etat en 2019, mais pour le reste nous fonctionnons sur nos économies. C’est pour cela que nous organisons notre propre levée de fonds.
Propos recueillis par Alexandra Vépierre
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