Une étude du CNRS confirme les importantes fuites de méthane de l’industrie pétrolière et gazière dans l’atmosphère. Les grands bassins de production mondiaux sont logiquement les plus émetteurs : une action internationale s’impose pour les supprimer et ainsi protéger le climat, même si les actions sur le CO2 restent prioritaires au regard des volumes concernés.
Pendant l’exploitation des gisements pétroliers et gaziers, et lors du transport du gaz dans les pipe-lines, il y a de nombreuses occasions de fuite du méthane (usure, maintenance, accident). Souvent minimisées voire niées par les industriels du secteur « Oil & Gas » (O&G), ces fuites dites fugitives font pourtant parfois l’objet de mesures qui montrent qu’elles sont très importantes.
Afin d’améliorer la connaissance à ce sujet, une équipe internationale de chercheurs menée par le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (IPSL, CNRS/CEA/Université de Saclay) a travaillé avec l’entreprise privée Kayrros pour analyser les données relevées quotidiennement par le satellite Sentinel 5-P et mises à disposition par l’Agence spatiale européenne. À son bord, un instrument de mesure troposphérique (baptisé Tropomi) permet, par analyse multispectrale, de réaliser un échantillon des fractions molaires de méthane, avec une résolution modérée de 5,5×7 km². Grâce à un traitement statistique des données sur deux années (2019 et 2020), les chercheurs ont ainsi pu identifier les méga-fuites, c’est-à-dire celles dépassant 25 tonnes par heure.
Nombreuses fuites de méthane encore sous-estimées
Les résultats de cette étude sont édifiants. Plus de 1 800 panaches de méga-fuites ont été identifiés dont les deux tiers sont attribuables à l’industrie O&G (exploitation et transport). Ils ont lieu principalement en Russie, au Turkménistan, aux États-Unis, au Moyen-Orient et en Algérie. Les panaches les plus grands peuvent venir de sites émettant plusieurs centaines de tonnes de méthane par heure, et s’étendent sur des centaines de kilomètres…
« On a ainsi montré que ces fuites de méthane sont bien plus nombreuses, plus fréquentes et plus grosses que les inventaires officiels ne le disent. Et elles durent parfois longtemps en périodes de maintenance lorsque les exploitants préfèrent laisser le “robinet” ouvert plutôt que de le fermer ou mettre en place un système de dérivation, explique Thomas Lauvaux, chercheur au CNRS. Pourtant, notre évaluation sous-estime encore ces émissions. En effet le satellite n’a pas pu fournir de données dans les zones équatoriales à cause des nuages, ni dans les hautes latitudes comme au Canada, ni pour les zones en mer. La grande zone d’exploitation du gaz de schiste dans le Bassin permien aux États-Unis n’a pas pu être prise en compte non plus car il y a tellement d’émissions diffuses de méthane que les panaches sont difficilement détectables ! ».
Quel enjeu pour le climat et l’économie ?
Selon les évaluations de l’étude, les méga-fuites représenteraient 8 à 12 % des émissions totales de méthane du secteur pétrolier et gazier qui sont estimées à 70 Mt. Forcément connues des exploitants, elles mériteraient d’être traitées pour éviter les effets de ce gaz sur le climat. Car le méthane a un pouvoir de réchauffement global (PRG) à 100 ans qui est environ 30 fois supérieur à celui du CO2. Mais sa durée de vie plus courte dans l’atmosphère fait qu’il a plutôt un PRG dépassant 80 à l’horizon de 20 ans.
« On estime que si on supprimait ces méga-fuites de méthane, on réduirait le réchauffement climatique moyen de 0,005 degré. Cela paraît peu mais c’est l’équivalent de l’impact des émissions de 20 millions de voitures en un an dans le monde ! Même si les émissions de CO2 restent le problème majeur à traiter, chaque effort sur le méthane aide à limiter le bouleversement du climat », ajoute Thomas Lauvaux. Les instances européennes et internationales ont d’ailleurs (enfin) perçu l’urgence de limiter les rejets de méthane. A l’issue de la COP26 à Glasgow fin 2021, une centaine d’États ont lancé un Observatoire international des émissions de méthane. La Commission européenne est en train d’élaborer un règlement.
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) avait déjà pointé le sujet dans un rapport en janvier 2021 et mis en ligne une base de données sur les émissions de méthane. Différents types de solutions sont mis en avant par l’AIE pour réduire les rejets de méthane comme l’utilisation de pompes et moteurs électriques dans les process industriels, le torchage du gaz et bien sûr la mise en place de systèmes plus fréquents de détection. Ces pistes d’actions sont théoriquement prises en compte par les entreprises du secteur O&G, notamment celles qui se sont regroupées dans un partenariat international dédié.
Néanmoins, pour que ces bonnes intentions ne soient pas que de l’affichage, les États doivent réguler et contrôler les entreprises dans ce domaine. Tout le monde aurait à y gagner. Selon les chercheurs, la valeur du gaz qui serait ainsi récupéré par les entreprises et la réduction des coûts sociétaux (qualité de l’air, santé, impacts climatiques) engendreraient des bénéfices élevés, de l’ordre de 6 milliards de dollars pour le Turkménistan, 4 Md$ pour la Russie et 1,6 Md$ pour les États-Unis. Ce message sera-t-il entendu ?
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