L’industrie agroalimentaire doit réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Une étude spécialisée montre le potentiel d’actions sur les procédés de transformation grâce à plus d’efficacité énergétique, d’électrification et de sources renouvelables.
L’alimentation en France représente un quart des émissions de gaz à effet de serre du pays. L’industrie agroalimentaire, premier acteur économique hexagonal avec plus de 15 000 entreprises et plus de 430 000 emplois, joue un rôle important pour arriver à décarboner ce secteur. Ce dernier, comme l’Ademe le dit, doit évoluer vers un modèle alimentaire plus durable et plus responsable. Non seulement il faut nourrir les populations, mais il faut le faire en produisant une alimentation saine, en préservant l’environnement, en réduisant le gaspillage alimentaire, en améliorant la gestion des déchets.
La décarbonation de l’industrie agroalimentaire (IAA) passe inexorablement par des changements sur les consommations d’énergie. Une étude récente d’Allice, alliance pour la décarbonation de l’industrie, analyse plus finement les potentiels sur certains procédés.
Focus sur les énergies thermiques
L’étude a été menée avec le Centre technique de la conservation des produits agricoles (CTCPA), le Centre d’études et de recherches économiques sur l’énergie (Ceren) et RMT Ecofluides. « Réalisée en une année, notre étude vient donner un appui technique aux entreprises du secteur des IAA qui doivent créer des feuilles de route de décarbonation, en respect de la loi Climat et résilience du 22 août 2021 » avance Lucille Payet, responsable scientifique d’Allice.
Un état des lieux a d’abord permis de montrer que le secteur des IAA représente 13 % de la consommation d’énergie de l’industrie en France. Il émet 80 % de ses gaz à effet de serre de manière indirecte (scope 3), à cause de la production agricole et des matières premières. L’étude s’est occupée des 20 % d’émissions restantes qui sont les émissions directes liées aux activités de transformation (scope 1) et les émissions indirectes dues aux énergies utilisées dans les procédés (scope 2).
« Certains sous-secteurs comme ceux du sucre et de l’amidon ayant déjà travaillé leurs feuilles de route de décarbonation, nous nous sommes concentrés sur l’industrie laitière et sur les autres IAA » précise Ilyas Gain-Nachi, ingénieur coordinateur de projets d’Allice. Dans ces deux sous-secteurs, appelés respectivement NCE 12 et NCE 14 dans la nomenclature, la consommation d’énergie finale est de l’électricité pour 35 % et 45 %. L’énergie thermique compte une faible part d’énergies renouvelables (4 %), un peu de vapeur achetée (6 % à 8 %), et surtout des énergies fossiles, principalement du gaz (38 % à 50 %).
L’électricité française étant largement décarbonée, l’étude a privilégié l’examen des consommations d’énergie thermique et particulièrement de la chaleur. « En regardant plus finement, on se rend compte que la majorité des consommations d’énergie thermique de ces deux sous-secteurs vient des procédés de transformation, principalement le séchage, la cuisson et le chauffage des liquides » ajoute Ilyas Gain-Nachi. Les experts d’Allice et leurs partenaires se sont donc focalisés sur des cas d’étude de ces procédés présentant un fort enjeu de décarbonation.
Trois leviers de décarbonation
Ainsi, ont été analysés des exemples de stérilisation/pasteurisation (différents types de traitements thermiques et conditionnements sur une chaîne de production de yaourt et dans une conserverie de légumes industrielle), de fours de cuisson en boulangerie industrielle, et de séchage de fruit avec utilisation de solaire thermique. Le nettoyage des cuves contenant des produits alimentaires a également été traité, car fort consommateur d’eau et d’énergie.
Trois leviers de décarbonation ont été chiffrés. Tout d’abord les gains d’efficacité énergétique par le lancement ou la poursuite d’actions sur les procédés (optimisation des pilotages de consommation, régulation avancée, récupération de chaleur, calorifugeage des réseaux, etc.). En appliquant plus ou moins les meilleures technologies disponibles, 3 % à 7 % des consommations d’électricité pourraient être économisés (soit 30 à 80 GWh nationalement) et 6 % à 17 % des consommations de combustibles (soit 360 à 1 130 GWh). L’efficacité énergétique pourrait ainsi éviter l’émission de 490 à 990 ktCO2/an des procédés des IAA (hors sucre et amidon). Même si le potentiel paraît peu élevé, ces actions constituent une première marche vers la décarbonation.
L’électrification est ensuite une solution pertinente quand elle vient en substitution de technologies utilisant des énergies fossiles. Il s’agit principalement de recourir à des pompes à chaleur, dont les niveaux de température (90-100°C) sont adaptés aux process agroalimentaires, ainsi qu’à des systèmes de recompression mécanique de vapeur. En déployant de telles technologies, ce sont un peu plus de 2 MtCO2/an qui pourraient être évitées.
Enfin, l’utilisation d’énergies renouvelables thermiques offre des possibilités réelles de décarbonation. L’étude d’Allice a considéré la biomasse solide, la méthanisation, le solaire thermique, la géothermie très basse énergie et l’hydrogène vert. Si cette dernière option est encore très dépendante de l’évolution de la filière H2, les autres solutions techniques sont plus matures. La méthanisation, notamment, a le plus fort potentiel, car bien des IAA disposent de déchets organiques à valoriser en biogaz. Le solaire thermique est aussi adapté à la production d’eau chaude ou de vapeur. Ces deux seules technologies permettraient de ne pas rejeter 1,5 MtCO2/an. Pour les autres solutions, des travaux supplémentaires sont nécessaires (R&D industrielle et démonstrateurs).
« Les procédés étudiés sont présents quasiment partout dans l’industrie agroalimentaire. Si certains grands groupes ont déjà lancé des actions de décarbonation, les plus petites entreprises s’interrogent encore fortement sur la façon d’agir. Notre étude, via des acteurs comme le CTCPA, leur apportera des pistes techniques à développer », conclut Lucille Payet.
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