L’attention se focalise actuellement sur les risques géopolitiques et sur l’inflation, à juste titre. Le besoin de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de sécuriser l’approvisionnement en énergie ne peut néanmoins pas être reporté. Dans un rapport publié fin 2022, le cabinet de conseil McKinsey a rappelé le besoin d’agir rapidement en ce sens dans le monde entier, tant pour des mesures de court terme que pour des actions coordonnées de long terme. Il pointe en particulier les différences de modalités entre régions du monde pour que soit mise en œuvre une transition énergétique la plus ordonnée possible.
La prise de décision dans le secteur de l’énergie doit être d’autant plus rapide que les process sous-jacents dans ce secteur évoluent lentement. Et la tendance est encore loin des objectifs de décarbonation. Dans le monde, la part des énergies renouvelables est certes passée de 9 % à 13 % entre 2011 et 2021 dans la consommation globale d’énergie primaire. Mais, simultanément, les énergies fossiles sont restées dominantes (82 %) et elles ont augmenté en valeur absolue puisque la consommation mondiale est passée de 521 à 595 exajoules. En conséquence, en 10 ans, les émissions de CO2 dues à l’énergie ont augmenté de 5 %. Les engagements pris à la COP27 par les pays sont encore insuffisants : selon le GIEC, les politiques actuelles mèneraient à un réchauffement planétaire moyen de 2,4°C à 3,5°C d’ici 2100, bien loin du 1,5°C souhaitable. Selon McKinsey, l’écart entre ces deux scénarios revient à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 2,4 Gt CO2e par an. Soit un effort correspondant à une baisse de 7 % des émissions mondiales du secteur de l’énergie en 2021, tous les ans !
Des pays logés à différentes enseignes
Pour atteindre ce niveau de baisse, McKinsey évalue que les capacités éolienne et solaire photovoltaïque installées chaque année devraient tripler, en passant d’environ 180 GW ces dernières années à plus de 520 GW la prochaine décennie. Le niveau d’accélération est différent selon les régions du monde. Le facteur multiplicateur pour le solaire photovoltaïque va de 1,4 au Japon à 11 en Afrique, l’Europe étant à 3,7. Pour l’éolien, on va de 1,8 en Chine à 16 pour l’Afrique, l’Europe étant à 2,3.
La capacité de chaque pays à engager cet immense chantier dépend de trois conditions selon McKinsey : l’accès à des ressources naturelles sur son territoire (soleil, vent, eau, terrains, minéraux, etc.), la capacité de son économie et de son industrie à être moins dépendantes des énergies fossiles et le cas échéant de leur importation, la possibilité d’engager de forts investissements et de les tenir sur la durée, le temps d’en récolter les fruits (réduction des dépenses d’exploitation, amélioration de la résilience, baisse des coûts). À l’aune de ces critères, on peut distinguer cinq catégories de pays :
- les pays riches et dont l’approvisionnement en énergie est sécurisé, comme l’Australie, l’Arabie Saoudite, les États-Unis, le Canada, la Suède ou la France. Comptant pour 8 % de la population mondiale et 22 % des émissions de gaz à effet de serre, ils ont les moyens de mettre en œuvre une transition tout en restant exportateurs d’énergie ;
- les pays riches plus exposés à des risques d’approvisionnement qui doivent augmenter leur production domestique pour être moins dépendants d’importations et « verdir » leurs industries. Il s’agit par exemple de l’Allemagne, de l’Italie, du Japon, de l’Espagne, de la Pologne, d’Israël ;
- les grands pays aux économies fortement carbonées que sont la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud. Avec 37 % de la population mondiale et 40 % des émissions de gaz à effet de serre, leur défi est immense pour trouver un équilibre entre croissance de la demande en énergie et décarbonation de leurs moyens de production ;
- les économies en cours de développement disposant d’importantes ressources naturelles utiles à la transition énergétique, tels le Brésil, les Philippines, le Mexique, l’Égypte ou l’Argentine ;
- les pays en cours de développement dont l’économie repose beaucoup sur l’agriculture et qui sont fortement exposés aux bouleversements climatiques. Des pays d’Afrique, d’Asie du Sud-est et les nations insulaires sont très concernées, avec des moyens d’action limités.
Cette analyse de McKinsey se concentre trop sur les moyens de production d’électricité et semble oublier que la baisse de la demande d’énergies – par efficacité et sobriété – réduirait le niveau de l’effort pour décarboner la production. Néanmoins, elle liste plusieurs types d’action qui aideraient tous les pays à progresser. Il s’agit tout d’abord de rendre physiquement possible le développement des énergies renouvelables, en donnant plus facilement accès à des terrains, en faisant évoluer les réglementations y compris pour utiliser de nouvelles technologies (batteries, hydrogène), en sécurisant les chaînes d’approvisionnement des ressources stratégiques (minéraux, composants électroniques, etc.) par du recyclage et des partenariats de long terme, et en investissant dans les solutions connexes (efficacité énergétique, hydrogène, captage-utilisation-stockage du CO2, mobilité électrique, etc.). En second lieu, les incitations économiques doivent réduire le recours à de nouveaux moyens utilisant les énergies fossiles, et des mécanismes de compensation (coût de l’énergie, changement de compétences) doivent être mis en place pour aider les populations impactées par la transition. Enfin, McKinsey rappelle que le cadre global des institutions (privées et publiques) doit soutenir la transition, notamment par des mécanismes de marché adaptés et la généralisation d’un prix du carbone.
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