Adopté à l’été 2020, un règlement sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne dessine les contours de la taxonomie. En matière d’énergie, deux objectifs environnementaux sont principalement en jeu : l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. Au cœur de la bataille : le nucléaire et le gaz, qui divisent les Etats membres. La Commission européenne sous pression a repoussé une fois de plus sa décision définitive sur ces deux sources d’énergie. Le projet de « Communication de la Commission », avec la première partie de la taxonomie, contient un abandon partiel de la part des autorités de l’Union européenne (UE). Compte tenu des nombreuses objections et commentaires des capitales nationales, des membres du Parlement européen et d’autres groupes d’intérêt, ces questions seront clarifiées dans un corpus juridique distinct à la fin de l’année… Désamorçant le débat sur les nouvelles règles présentées par Bruxelles fin mars.
Qu’est-ce que la taxonomie ?
D’abord, comment fonctionne cette taxonomie ? L’acte délégué de juin 2020 dispose que la vertu environnementale d’un investissement soit mesurée à l’aune de plusieurs critères : atténuation du changement climatique, qui consiste principalement en la réduction des effets de gaz à effet de serre, et l’adaptation au réchauffement climatique. S’y ajoutent, la protection des ressources et des écosystèmes marins, la transition vers une économie circulaire, la lutte contre les pollutions ambiantes et la défense des écosystèmes et de la biodiversité.
Pour être classifiée « verte », une activité doit ainsi remplir deux principales conditions : « avoir une contribution positive significative » à au moins l’un des objectifs et « ne pas avoir d’impact négatif majeur » sur les autres objectifs.
Des « critères d’évaluations techniques », fondés sur des études scientifiques et des avis d’experts (EU Technical Expert Group on Sustainable Finance ; Platform on Sustainable Finance), en précisent les enjeux. Si la performance n’est pas au rendez-vous, les activités ne pourront pas prétendre à une qualification verte. En outre, ces critères sont amenés à être redéfinis et durcis au cours du temps, afin de suivre la trajectoire prévue par l’Union Européenne. Et les critères se veulent ambitieux.
Les secteurs peuvent aussi contribuer de manières différenciées à l’atteinte des objectifs. Trois façons de « contribuer significativement » à l’atteinte des objectifs sont envisagées :
- via l’activité elle-même et de ses performances (installer des panneaux solaires) ;
- comme activité habilitante, c’est-à-dire en permettant indirectement à une activité vertueuse d’atteindre des objectifs ;
- enfin, comme « activité de transition », c’est-à-dire une activité avec à court terme un impact non positif (voire négatif) mais qui permet d’assurer l’atteinte des objectifs sur le long terme.
Nucléaire et gaz naturel
Ce sont ces catégories qui ont créé débat et bataille rangée autour de l’inclusion dans la taxonomie du nucléaire et du gaz naturel. Attendue pour décembre 2020, la taxonomie voit depuis sa mise en œuvre reportée. Et, alors que la Commission européenne devait présenter son avis définitif fin avril, un nouveau report est prévu : nouvelle date, fin 2021.
Autour du nucléaire, la ligne de démarcation est toujours la même : une majorité d’Etats membres, Allemagne et Autriche en tête sont bien décidés à en finir, donc il est hors de question d’inclure cette énergie dans la taxonomie. Néanmoins, une bonne demi-douzaine d’autres Etats, dont la France et la Pologne – le Royaume-Uni est désormais hors-jeu –, veulent continuer à l’utiliser.
Les partisans du nucléaire rappellent que cette énergie est la première source décarbonée du mix électrique de l’UE (42 % en 2019), et permet donc bien d’aller vers l’objectif de neutralité carbone en 2050. Sans surprise, pour le gaz naturel, la répartition entre pays pour et contre l’inclusion de cette source d’énergie est quasiment inversée. Chaque pays défend en réalité sa manière et sa trajectoire pour atteindre l’objectif de neutralité carbone à terme.
En mars dernier, la CE a proposé une version révisée, avec de nombreux aménagements sur la question du gaz naturel, qui y serait désormais intégré à certaines conditions (notamment en remplaçant des centrales charbon par des centrales au gaz lorsqu’elles sont moins émettrices de gaz à effet de serre). La CE y inclut aussi l’hydrogène à certaines conditions ainsi que des batteries…
En réponse aux propositions de la CE, dans une lettre datée du 19 mars adressée à la Commission européenne et rendue publique jeudi 25 mars, sept chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE, dont Emmanuel Macron, sont montés au front en faveur du nucléaire. Alors que le gaz fossile était inclus dans la taxonomie présentée en mars, le nucléaire est toujours mis à l’écart.
Les leaders de la République tchèque (Andrej Babis), de la France (Emmanuel Macron), de la Hongrie (Viktor Orban), de la Pologne (Mateusz Morawieck), de la Roumanie (Florin Cîtu), de la Slovaquie (Igor Matovic) et de la Slovénie (Janez Jansa) ont donc décidé de réagir via une lettre commune.
« Nous sommes convaincus que toutes les technologies neutres ou à faible teneur en carbone qui contribuent à la neutralité carbone… devraient non seulement être reconnues par l’UE, mais également soutenues activement », déclarent les cosignataires avant d’ajouter : « C’est particulièrement le cas du nucléaire, dont le développement est l’une des priorités phares du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom), contraignant les institutions de l’UE à le mettre en avant ».
C’est d’ailleurs dans le cadre du Traité Euratom, qui s’impose à tous les Etats membres et surtout à la Commission Européenne dont l’un des rôles est d’être la gardienne des Traités européens, que Bruxelles a confié à son Centre de recherche européen (le JRC, en initiales anglaises) le soin de rédiger un rapport évaluant la possibilité d’intégrer le nucléaire dans la taxonomie, donc de bénéficier de financements privilégiés. Et le JRC a conclu en faveur du nucléaire, déclenchant l’ire des ONG environnementales.
Ce 21 avril, les Premiers ministres slovaque, tchèque, bulgare, roumain, maltais, grec et chypriote avaient réclamé à Bruxelles de reporter sa proposition de taxonomie verte, afin de finaliser un dossier contenant le nucléaire et le gaz… Bruxelles ne les a pas suivis.
Le débat sur le nucléaire et le gaz naturel va donc continuer à être houleux et la France, qui présidera l’Union au premier trimestre 2022, lorsque Etats membres et Parlement pourront présenter des objections à la proposition de la Commission, sera aux premières loges.
A la veille de la présentation par Bruxelles du nouveau report de décision sur le nucléaire et le gaz naturel, les syndicats français se sont aussi mobilisés. L’intersyndicale FNME-CGT, CFE CGC Énergies, FCE-CFDT et FO Énergie et Mines, représentative du secteur énergétique français des Industries Électriques et Gazières (IEG), vient d’écrire à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen pour lui demander d’inclure l’énergie nucléaire et le gaz dans la taxonomie européenne et de ne pas priver l’Union européenne d’atouts majeurs dans la réussite de la neutralité carbone en 2050, qui est le cœur du Green Deal porté par la présidente de la Commission européenne.
Et les syndicats de rappeler dans un communiqué que « la taxonomie conditionnera en effet l’accès aux financements et donc les investissements pour de nombreuses années. Puisque le nucléaire est une énergie stable, pilotable et bas carbone, considérée comme centrale par le GIEC pour limiter le réchauffement climatique, et le gaz un outil efficace de décarbonation, la taxonomie européenne doit impérativement respecter la neutralité technologique et le consensus scientifique. »
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