Les utilisations énergétiques représentent près de 85 % des émissions de gaz à effet de serre et, parmi celles-ci, le CO2 se taille la part du lion avec une contribution de 95 % [1]. Mais bien que partant d’un bon sentiment et malgré tous les ajustements qui ont été faits pour la rendre plus acceptable, la taxe carbone est un outil injuste et dangereux.
Tout d’abord, quelques ordres de grandeur : En 2004, les émissions mondiales de CO2 ont été de 26,6 milliards de tonnes (Gt). La France a contribué pour 0,39 Gt à ces émissions (1,5 %). À titre de comparaison les USA ont émis 5,8 Gt et la Chine 4,8 Gt. En 2004, un Français a émis 6,2 tonnes de CO2, un Américain 19,7 tonnes et un Chinois 3,7 tonnes. Au niveau mondial, l’émission moyenne était de 4,2 tonnes par habitant.
La réduction des émissions de CO2 doit se faire à l’échelle mondiale. Si la France cessait complètement, mais seule, d’émettre du CO2, il faudrait 15 mois pour que l’accroissement de la population mondiale efface la disparition de ces émissions. La première figure montre, pour la France, l’évolution des émissions globales de gaz à effet de serre, tous gaz confondus et la seconde l’évolution des émissions de CO2 par secteur d’activité. Les transports routiers et le résidentiel/tertiaire représentent, ensemble, presque 70 % des émissions de CO2 :
Quels sont les leviers ?
Il y a trois leviers possibles pour réduire les émissions de CO2 :
- La technologie : les voitures d’aujourdhui consomment et polluent beaucoup moins, à performances et service égal, que celles construites il y a 30 ans.
- Les pouvoirs publics, grâce aux lois, normes et autres instruments règlementaires. Le bonus-malus pour l’achat de voitures neuves en est un exemple.
- Le consommateur, qui est le décideur final. Il peut, par ses choix, plus ou moins émettre du CO2. Mais il est souvent plus guidé par le prix d’achat que par le coût de fonctionnement.
Il faut utiliser simultanément ces 3 leviers pour réduire les émissions de CO2 qui n’est pas, rappelons le, le seul gaz à effet de serre.
La taxe carbone : inefficace et injuste
La taxe carbone est injuste car elle va toucher principalement les personnes ayant les revenus les plus faibles. C’est le cas de celles obligées de prendre leur véhicule, souvent d’occasion et consommant beaucoup de carburant par rapport à l’équivalent neuf, pour se rendre à leur travail (habitants des banlieues et des campagnes).
De plus, les personnes à faible revenu sont souvent locataires et ne choisissent pas leur moyen de chauffage. S’il est au fioul ou au gaz, elles seront taxées. Que ce soit pour l’habitat ou les transports, beaucoup de personnes n’ont pas de solution de remplacement économiquement abordable.
Aussi, la taxe carbone est un permis de polluer pour les gens aisés. C’est l’équivalence des indulgences que l’on achetait il y a très longtemps pour effacer ses péchés. Le risque est grand que les gens pensent que puisqu’ils payent pour cela ils peuvent émettre du CO2 et aucun effort supplémentaire ne sera individuellement fait.
Le montant de la taxe étant faible, ils s’en tirent à bon compte. Pour les carburants, la TIPP représente un montant bien plus important que la taxe carbone et cette dernière sera noyée dans la taxe existante. Remarquons que la TIPP joue déjà un rôle important pour limiter l’usage de la voiture : si elle n’existait pas, le Français ferait beaucoup plus de kilomètres pour ses loisirs. Une augmentation importante du prix du baril de pétrole, comme celle qui s’est produite en 2008, peut par ailleurs rendre négligeable la taxe carbone sur les carburants.
La taxe carbone concerne principalement les transports et l’habitat. Elle va aussi toucher certaines PME avec le risque de disparition ou de délocalisation de leurs activités.
Heureusement l’électricité n’a pas été taxée puisqu’elle est produite, en France, pour 90 % sans émission de gaz à effet de serre (cf. éditorial de Pierre Bacher). De plus, cette industrie est déjà dans le régime à quotas de CO2. Il faut en effet ne pas confondre énergie et émission de CO2. Il n’y a aucune raison de taxer de l’énergie qui ne produit pas du CO2 : ainsi, il vaut mieux, pour un même usage, consommer 2 kWh de soleil que 1 kWh de pétrole si bien sûr le prix est approximativement à peu près le même.
L’optimum économique
Le CO2 non émis est celui qui est le moins cher. Le CO2 se négocie actuellement autour de 15 €/tonne, ce qui est un prix trop faible pour faire changer les habitudes, mais il est difficile de prendre une autre valeur sous peine de distorsion économique.
Mieux isoler une maison avec un peu de laine de verre ou baisser sa température de 1 °C lorsqu’on se chauffe avec du fioul ou du gaz naturel sont des actions qui permettent d’économiser du CO2 à un coût très bas. Ce n’est par contre pas le cas avec la promotion d’énergies renouvelables comme l’éolien (environ 40 €/tonne de CO2 évitée) ou le solaire (environ 600 €/tonne de CO2 évitée).
Pour ce qui est de la mobilité, il ne faut pas croire que les transports en commun sont la solution universelle. Ils ne concernent que certaines villes. Si l’on prend par exemple le cas de la capitale, ils sont saturés aux heures de pointe et ne pourraient pas accueillir beaucoup plus de voyageurs. De plus, dans la plupart des gares de banlieue, il est difficile, impossible ou coûteux de garer son véhicule pour prendre les transports en communs. La taxe carbone sur les carburants va donc toucher de plein fouet des usagers captifs, souvent modestes. Quant à la redistribution, l’argent d’aujourdhui reviendra peut être en partie demain. En attendant il faut l’avancer et voir son pouvoir d’achat diminuer.
La taxe carbone est d’autant plus injuste quelle va pénaliser des gens captif d’un système où ils n’ont pas les moyens d’investir pour émettre moins. À ce titre, le système du bonus-malus pour les voitures est beaucoup plus juste puisque l’on a le choix d’émettre beaucoup ou peu en toute connaissance de cause.
Références :
[1] CO2 emissions from fuel combustion, 2006, IEA, Paris
Lénergie, Edition 2007, DGEMP
Demain lénergie, C.Ngô, Dunod, 2009
Our energy future, Resources, alternatives, and the environment, C.Ngô et J.Natowitz, Wiley, 2009
Christian Ngô collabore aux rubriques Energies, Chimie/Agroalimentaire et Biotechnologies. Il a fait de la recherche fondamentale en physique nucléaire pendant presque 20 ans à l’Université d’Orsay et au CEA/Saclay. En mai 2008, il a créé Edmonium Conseil. Lire son blog.
Cet article se trouve dans le dossier :
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