Interview

Synsys : une prothèse innovante et connectée au plus proche de la marche

Posté le 21 octobre 2024
par Alexandra VÉPIERRE
dans Innovations sectorielles

Après un développement d’une dizaine d’années, l’entreprise Proteor a lancé sa prothèse Synsys en 2022. Capable de reproduire la plupart des mouvements naturels de la jambe, la prothèse connectée a la particularité de reposer sur un système genou-cheville-pied.
Nicolas Piponniau, responsable R&D chez Proteor / PROTEOR

Repérée lors des Jeux Paralympiques[1] pour avoir appareillé différents athlètes, l’entreprise Proteor est spécialisée en prothèses, orthèses et composants orthopédiques pour le grand public. L’entreprise s’établit autour de 3 grandes activités : la conception et fabrication de prothèses ou d’orthèses sur mesure ; la conception et fabrication des composants nécessaires à la construction des dispositifs médicaux orthopédiques ; le développement de logiciels utilisés par les orthoprothésistes pour fabriquer les appareils orthopédiques. En 2022, elle a lancé la prothèse innovante et connectée Synsys.

Ingénieur de formation, Nicolas Piponniau est le responsable du développement de nouveaux produits chez Proteor et a participé activement à la conception de Synsys. Il revient sur les particularités de cette prothèse.

Techniques de l’Ingénieur : En quoi consiste le projet de prothèses Synsys ?

Nicolas Piponniau : C’est un projet ambitieux dont le nom vient de la contraction entre synergie et système. Lorsque l’on fournit une solution pour une personne amputée fémorale, il faut fournir une solution de genou, de cheville et de pied. Ce qui existe sur le marché aujourd’hui, ce sont majoritairement des genoux prothétiques auxquels on associe un pied prothétique avec des éléments de connectique entre le genou et le pied. Avec Synsys, on a pris le problème de manière systémique et on a développé directement un système genou-cheville-pied.

Ensuite, “synergie” car notre volonté était de coller au plus près de la biologie, de la biomécanique de la marche d’une personne valide. Lorsqu’une personne valide marche, elle relève la pointe du pied quand il n’est pas en contact avec le sol. Or bien souvent, les prothèses ne permettent pas ce mouvement, ce qui implique une certaine rigidité du pied et un risque de trébuchement. Pour donner une image un peu triviale, c’est comme si on marchait continuellement avec des chaussures de ski, donc s’asseoir ou descendre des escaliers devient complexe. Avec Synsys, nous avons réussi à reproduire ce mouvement coordonné entre le genou et la cheville, ce qui permet de mieux s’adapter aux situations de descentes de pentes ou d’escaliers.

Comment a été développée la prothèse ?

En 2015, nous avons reçu le soutien de la Direction générale de l’armement (DGA) pour les projets dits RAPID : régime d’appui à l’innovation duale. “Duale” signifie qu’on couvre le militaire et le civil. Le soutien de la DGA nous a permis une approche de développement ouverte et de fédérer un écosystème autour du produit. On a entre autres travaillé avec les Arts et Métiers à Paris via l’Institut de biomécanique humaine Georges Charpak (IBHGC), et le Centre d’étude et de recherche sur l’appareillage des handicapés (CERAH). D’abord, il y a eu une grosse étape de recherche au niveau biomécanique pour définir les critères de performance du produit. La partie technique et produit était plutôt gérée par Proteor et nos partenaires de recherche nous ont aidés pour la partie clinique et biomécanique afin de développer un concept selon les normes des dispositifs médicaux.

Synsys colle au plus près de la biomécanique de la marche d’une personne valide / PROTEOR

A quels challenges techniques avez-vous été confrontés ?

Je parle souvent du triptyque “pas de bruit, pas de jeu, pas de fuite” pour expliquer ce que nous cherchions à obtenir. Pas de bruit car aucune personne appareillée n’a envie de faire du bruit lorsqu’elle se déplace. Pas de jeu car s’il y a le moindre jeu au niveau des articulations, même de quelques centièmes de millimètres, la personne va immédiatement le ressentir au niveau de son moignon et c’est désagréable. Enfin, nous avons affaire à des dispositifs mécatroniques à base d’hydraulique dans lesquels on utilise de l’huile. Pour simplifier, on utilise des vérins hydrauliques pour le genou et pour la cheville. Or, contrairement à certains domaines d’activité, on n’a pas le droit de perdre une seule goutte d’huile, sinon ça modifierait le fonctionnement du produit sur toute sa durée de vie qui est de l’ordre de 5-6 ans. C’est un vrai challenge parce qu’il n’y a pas beaucoup de domaines d’activité où le zéro fuite est demandé. Enfin, il y a aussi la question du poids. Synsys pèse 3,2 kg mais ça été une bagarre régulière pour maîtriser le poids du produit.

Quels matériaux sont utilisés pour Synsys ?

On utilise des matériaux destinés à l’aéronautiques : des aluminiums de série aéronautique, des alliages de titane, du carbone, tout ce qui est composite. Donc on est sur des matériaux assez pointus. Néanmoins, nous n’avons pas la puissance de feu de l’aéronautique. Quand on parle de série dans le domaine du dispositif médical, on parle de quelques centaines à quelques milliers de pièces. Donc on est moins intéressant aux yeux des revendeurs face à des clients plus lourds comme l’aéronautique.

Votre prothèse est connectée, qu’est-ce que cela implique ?

Notre prothèse peut se connecter par Bluetooth à deux types de logiciel. Le premier est un logiciel sur ordinateur pour l’orthoprothésiste. Il lui permet de réaliser le réglage des paramètres pour adapter la prothèse à la façon de marcher et à la vitesse de la personne. Le deuxième est une application sur portable destinée à l’utilisateur. L’appli permet de donner des informations sur son activité, sa vitesse, le nombre de pas qu’il fait par jour. Mais le paramètre inédit est la possibilité de régler la hauteur du talon. Sur les prothèses traditionnelles avec un pied rigide, les personnes sont un peu condamnées à avoir la même hauteur de talon. Avec Synsys, il est possible d’ajuster la prothèse à la hauteur de sa chaussure et la cheville va s’adapter. Ainsi, quand il achète des chaussures, le patient peut réaliser les réglages pour bien équilibrer la prothèse puis prendre en photo ses chaussures pour enregistrer les paramètres. Il est même possible de marcher pieds nus, ce qui n’existe pas habituellement.

Comment ont évolué les prothèses ces dernières années ?

Cela fait un petit moment que les prothèses électroniques ont fait leur apparition. Il y a également des travaux de recherche pour motoriser les prothèses. Aujourd’hui, on est sur des prothèses mécatroniques passives, donc on n’amène pas d’énergie dans la marche, mais on voit que des laboratoires de recherche et des startups investissent le terrain des prothèses actives qui amènent de l’énergie à l’utilisateur. D’autre part, les technologies autour des nouveaux matériaux et l’impression 3D permettent aussi de faire évoluer les solutions techniques.

Lors des jeux paralympiques, Proteor a accompagné plusieurs athlètes. Comment s’est déroulée la collaboration ?

Ce sont nos orthoprothésistes qui suivent les athlètes parce que les dispositifs doivent être totalement sur mesure. Prenons l’exemple d’Abel Aber, qui était notre athlète en paracanoë. En temps normal, il marche avec une prothèse fémorale mécatronique – pas Synsys parce qu’il est très actif donc il a besoin d’un produit plus dynamique, à savoir notre genou Quattro. Pour concourir, il n’a pas du tout utilisé cette solution. Il a eu besoin d’un appareil de sport avec un siège complètement adapté à sa forme et à sa pratique pour optimiser au mieux la transmission de sa puissance dans le canoë. C’est un travail de sur mesure poussé à l’extrême pour optimiser au mieux l’appareil. Et c’est le cas dans la plupart des parasports : il faut s’adapter très finement et très précisément à l’activité de l’athlète pour faire la différence. En athlétisme, les sportifs utilisent des lames de course qui sont complètement adaptées à la biomécanique de la personne, à sa façon de se propulser, à sa performance, à son poids. Ce ne sont pas des équipements qu’on utilise dans la vie courante.

Est-ce que les innovations faites en parasport influent sur les prothèses pour le grand public ?

Oui, complètement. Par exemple, la forme de la patte de guépard pour les lames de course a aidé à développer des pieds prothétiques à restitution d’énergie. Donc le fait d’amener le composite dans les pieds prothétiques pour la vie courante est totalement lié au sport.

Quels sont vos projets ?

Nous souhaitons rester quelques années sur le marché avec Synsys et faire du développement incrémental pour proposer de nouvelles versions de cette prothèse. Nous voulons explorer les nouvelles technologies qui existent pour gagner en légèreté, pour mieux compenser, rendre les prothèses moins chères, réutiliser les pièces etc. Ce domaine-là est fascinant car on a l’impression que ce n’est jamais fini, qu’il y a toujours de nouvelles activités à aller chercher, à compenser pour mieux s’adapter. On réfléchit à comment être plus intuitif, plus réactif, en réfléchissant aux capteurs, aux fonctions qu’on peut embarquer. C’est une chance de pouvoir travailler avec des biomécaniciens, des médecins, des kinés, des orthoprothésistes et des patients tout en utilisant du matériel de pointe. Nous réfléchissons donc à de nouvelles solutions mécatroniques mais aussi mécaniques.

Propos recueillis par Alexandra Vépierre


[1] 2024


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