Décryptage

Synergie recherche et industrie au Japon : témoignage d’un jeune chercheur

Posté le 5 janvier 2009
par La rédaction
dans Informatique et Numérique

[Interview] Denis Guimard
Les nanotechnologies occupent une place de plus en plus importante dans le domaine des télécommunications et de l’optoélectronique. Denis Guimard, chercheur actuellement dans un laboratoire japonais nous livre sa perception de la recherche au Japon et des différences majeures avec la France.

Denis Guimard travaille actuellement dans un laboratoire de photonique de Tokyo en étroite collaboration avec l’industrie.

Pourquoi avoir choisi un laboratoire japonais pour effectuer votre post-doc ?

Après ma thèse, je voulais élargir mon domaine de compétences et acquérir une expérience à l’étranger dans la fabrication de matériaux semiconducteurs par un procédé en phase vapeur, utilisé couramment dans l’industrie.Une opportunité s’est présentée au Japon à l’Université de Tokyo et je l’ai saisie. Je travaille depuis sur la croissance de nanostructures III-V par la technique de MOCVD (Metal Organic Chemical Vapor Deposition) pour la fabrication de diodes lasers. J’ai la chance de travailler dans un groupe leader en photonique qui me permet d’aborder des aspects de R&D dans le cadre d’une forte collaboration avec l’industrie.De plus, au défi scientifique s’ajoutait le défi humain, lié aux différences culturelles. Je peux dire que cette expérience aura été extrêmement riche et formatrice à tous les niveaux. La manière de travailler au Japon est très différente de celle que l’on connaît en Europe : l’esprit d’initiative y est perçu différemment et les rapports hiérarchiques paraissent souvent rigides au premier abord. On doit donc s’adapter tout en gardant ce qui fait notre différence. C’est un équilibre permanent à trouver. Le point le plus important est le respect profond du travail et de l’effort : les résultats priment sur tout le reste.

Quelles recherches menez-vous actuellement ? Quels en sont les enjeux, les applications et les potentialités industriels ?

Ma principale activité concerne la réalisation de lasers à boîtes quantiques pour les télécommunications optiques par la technique de MOCVD. L’intérêt de cette technique est qu’elle permettrait de réduire fortement le coût de fabrication de ce type de dispositifs. Nous avons démontré récemment la réalisation de tels lasers et nous travaillons désormais à leur amélioration. Un brevet a notamment été déposé. Le but est de remplacer les lasers à puits quantiques, actuellement commercialisés pour les réseaux à fibres optiques. Le marché est donc énorme.Ce projet est réalisé en étroite collaboration avec Fujitsu et QD Laser Inc., une spin-off de Fujitsu et d’un groupe d’investissements, Mitsui. Cette compagnie est l’aboutissement d’une collaboration étroite entre l’Université de Tokyo et Fujitsu. Elle a reçu notamment un prix pour l’innovation, décerné par le Wall Street Journal, en 2006.

Quelles différences majeures percevez-vous entre la recherche en France et au Japon ?

La première différence est que la recherche est bien mieux considérée au Japon. Le Japon a bâti sa puissance sur la R&D, la recherche est donc considérée comme une nécessité. Même au plus fort de la crise économique que le Japon a connue à la fin des années 90, les budgets de recherche ont été maintenus. En France, les budgets de recherche, dans le public et surtout dans le privé, ont tendance à dépendre des aléas de la conjoncture économique. La deuxième différence majeure est la forte imbrication des recherches publiques et privées. Dans mon groupe, la moitié des gens sont en fait des chercheurs détachés de grands groupes japonais, comme Toshiba, NEC, Sharp et Fujitsu. La collaboration public-privé prend tout son sens au Japon et ceci ne se fait pas au détriment d’une recherche académique de qualité.L’environnement de recherche au Japon est donc très différent. Les budgets et moyens de recherche sont plus importants, les opportunités sont plus nombreuses et il y a une reconnaissance qui est très gratifiante à laquelle on est très peu habitué en France.

Comment envisagez-vous votre retour en France ?

Comme la plupart des chercheurs français à l’étranger, je souhaiterais revenir en France à terme, mais pas à n’importe quel prix. Les salaires et les conditions de recherche rendent le public peu attractif, et les opportunités dans le privé en R&D sont limitées. Je dois avouer que les situations de collègues chercheurs travaillant en France, ou du moins leurs tentatives de revenir en France, ne prêtent guère à l’optimisme. Tout dépendra des opportunités. Mais on essaie de gérer sa carrière en pensant à l’international, car là, nos cursus sont reconnus et demandés. Si j’avais dû raisonner en fonction du contexte français, je n’aurais certainement pas fait de thèse.Je suis persuadé cependant, du moins je l’espère, que la situation changera en France à terme, car un pays sans recherche appliquée, sans véritable R&D industrielle avec une forte collaboration avec la recherche académique, ne peut prétendre à un rôle majeur à l’avenir. L’Allemagne est encore un exemple à suivre dans ce domaine.