Avec l'aide du CEA-List, la start-up aiHerd a développé un outil de surveillance des vaches laitières basé sur de la vidéo et du traitement de l'image utilisant des algorithmes d'intelligence artificielle. Quentin Garnier, le fondateur de cette entreprise, nous explique son fonctionnement.
Quentin Garnier est vétérinaire, spécialisé en médecine de troupeau, et a exercé durant plusieurs années son métier dans des élevages. Passionné d’innovations et de high-tech, il s’aperçoit que des technologies émergentes, reposant sur le traitement de l’image, pourraient aider les éleveurs dans la conduite de leur troupeau, notamment pour suivre la santé des vaches. En 2018, en partenariat avec le CEA-List, il commence à développer un outil de monitoring à destination des élevages laitiers, basé sur de la vidéo et de l’intelligence artificielle, puis crée sa start-up en 2020. Cette année, il vient de débuter la commercialisation de sa nouvelle technologie. Entretien avec le fondateur de aiHerd.
Techniques de l’Ingénieur : Décrivez-nous le fonctionnement de votre technologie ?
Quentin Garnier : Dans un premier temps, des caméras sont installées au plafond de l’étable, espacées tous les 15 mètres, afin d’avoir une vision complète de l’endroit où logent les vaches. Nous procédons ensuite à une contextualisation de cet espace et de ses différentes zones : couchage, alimentation, traite, abreuvement, aire d’attente…
La deuxième étape fait intervenir des algorithmes d’intelligence artificielle qui détectent tous les animaux dans l’image, à une fréquence de cinq fois par seconde. Plusieurs points sur leur corps sont identifiés afin de recréer un squelette virtuel des animaux. Chacun d’entre eux est projeté dans un environnement 3D, il s’agit d’une sorte de jumeaux numériques de la ferme.
Les vaches sont identifiées grâce aux différentes taches présentes sur leur pelage. Cette identité numérique est reliée à l’identité réelle de l’animal grâce à une puce RFID (Radio Frequency Identification) que chaque vache porte à l’oreille et qui est reconnue grâce à des lecteurs présents sur des portiques. Presque tous les élevages possèdent déjà ce type d’équipement, notamment ceux qui possèdent un robot de traite. Régulièrement, les animaux sont réidentifiés en les comparant à une galerie d’images de chaque animal.
La dernière étape consiste à l’analyse comportementale. Nous réalisons des statistiques générales et nous utilisons notamment des séries temporelles de chaque animal, comprenant notamment des courbes qui traduisent le temps passé à manger, à boire, à être allongé, à se déplacer, à être en interaction avec d’autres vaches. Nous parvenons ainsi à interpréter l’activité de ces animaux aux comportements stéréotypés, et ainsi à envoyer des alertes aux éleveurs.
Que parvenez-vous à détecter à partir de ce traitement de l’image ?
Nous nous concentrons sur les événements zoologiques et les pathologies qui ont le plus d’impact sur les résultats technico-économiques de l’élevage. Notre technologie identifie les chaleurs à partir de trois signaux. Tout d’abord, en observant l’augmentation de l’activité de l’animal, qui se mesure notamment par sa distance parcourue, qui progresse de l’ordre de 30 à 50 %. Ensuite, les hormones sécrétées par la vache vont attirer les autres animaux du troupeau, mais elle aussi davantage attirée par eux. L’algorithme mesure donc cette attractivité. Enfin, des comportements spécifiques sont scrutés comme les chevauchements, les interactions… En combinant toutes ces informations, nous sommes en mesure d’identifier à quel moment une vache est en chaleur.
La plupart des pathologies ont un impact comportemental. Notre système est capable d’identifier les boiteries, qui font souffrir les animaux et provoquent des baisses de production. Il observe que ces vaches passent plus de temps couchées et se lèvent moins que d’habitude. Il analyse aussi le comportement sur le plan cinématique avec des vaches qui se déplacent moins vite, ont plus de difficultés pour se retourner, ou pour accélérer. Nous développons aussi notre algorithme pour mesurer la dimension morpho-cinétique pour observer des animaux qui vont se dandiner, afin de compenser une de leurs pattes qui les fait souffrir.
Nous identifions aussi les vaches ayant des mammites. Étant donné qu’elles ont un inconfort au niveau de la mamelle, elles ont tendance à changer plus fréquemment de position lorsqu’elles sont couchées. D’autres signaux faibles sont aussi analysés, mais je ne peux pas vous les dévoiler pour des raisons de secret industriel.
Quels sont les avantages de votre technologie ?
Aujourd’hui, les vaches sont les animaux les plus connectés de la planète, devant les humains. La plupart d’entre elles sont équipées de colliers avec des détecteurs. Ce sont généralement des accéléromètres, mais cette technologie a ses limites. Grâce à nos caméras et notre traitement de l’image, nous sommes capables d’observer beaucoup plus de choses et nos analyses sont plus spécifiques. Autre avantage : les animaux ne sont équipés d’aucun dispositif, puisque tout le système est déporté au plafond de l’étable. Notre technologie fonctionne tout de même lorsque les vaches sortent pâturer, à condition qu’elles soient présentes au moins la moitié du temps dans le bâtiment.
À quel stade se trouve votre projet ?
Nous avons levé tous les verrous technologiques pour faire fonctionner notre système et nous avons commencé à le commercialiser. En parallèle, nous poursuivons notre R&D afin d’améliorer notre algorithme. Le nombre de données collectées est très important et pour l’instant seule une toute petite partie est analysée. Nous développons notre technologie pour qu’elle soit en mesure de détecter les vêlages, nous améliorons l’algorithme pour encore mieux détecter les mammites, et nous souhaitons dans le futur analyser de manière plus globale le bien-être des animaux, par exemple en identifiant les marqueurs du stress chez l’animal.
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