Dans son livre Improbablologie et au-delà, Pierre Barthelemy explore avec humour et délectation ces petits bijoux de la science improbable, la science qui fait sourire. Et ensuite réfléchir (ou pas...). Cette chronique se penche sur une question apparemment saugrenue à laquelle des chercheurs ont pris le temps de donner une réponse : l’homme peut-il oui ou non marcher sur l’eau ?
Il serait injuste – et pour tout dire criminel – de ne pas évoquer l’étude qui, dans la catégorie « Physique », a reçu, jeudi 12 septembre 2013, la récompense suprême de la science improbable, à savoir un prix Ig Nobel. Publié en 2012 par PLoS ONE, ce travail d’une équipe italienne concentre en effet la quintessence de l’improbablologie : une question saugrenue, traitée avec le plus grand sérieux scientifique mais aussi une giclée d’humour potache et, surtout, une expérience qui fera se réconcilier avec la science tous ceux qui en ont été dégoûtés lors de leurs études.
Ladite question n’est pas loin de fêter ses deux mille ans : l’homme peut-il oui ou non marcher sur l’eau ? Si l’on met de côté les canulars d’Internet, un tel événement est, selon de rares témoignages écrits, arrivé une fois et une seule, sur le lac de Tibériade au début de notre ère. Difficile à croire, selon certains, car l’on sait que cet exploit n’est à la portée que de très peu d’animaux. Les plus connus sont les gerris, ces insectes improprement appelés « araignées d’eau », qui patinent gracieusement à la surface des étangs et des rivières. Mais ces bestioles trichent car, dotées de poils hydrophobes, elles profitent d’un phénomène connu sous le nom de « tension superficielle de l’eau », que ne peuvent pas exploiter des animaux plus massifs et à deux pattes.
Si l’on cherche un véritable exemple de bipède marchant sur l’eau, il faut se tourner vers le basilic commun. Ce petit reptile a obtenu de haute lutte le surnom de lézard Jésus, grâce à sa capacité à se redresser, sur ses pattes arrière et à sprinter sur l’eau barbe au vent… euh non, pardon, crête au vent. L’ennui, c’est qu’aucun humain n’a le coup de jarret de cet iguane, capable d’enchaîner huit foulées à la seconde. Homo sapiens est un balourd faiblard face à Jésus le lézard. Prenons le plus rapide d’entre nous, Usain Bolt : pour cavaler sur l’eau, l’athlète jamaïcain devrait ou bien multiplier sa vitesse par trois et dépasser les 100 km/h – difficile même avec les progrès constants de la pharmacopée sportive – ou bien se laisser pousser les pieds pour qu’ils totalisent une surface d’un mètre carré.
Fichu ? Heureusement non. La science a réponse à tout. Si l’on ne peut faire accélérerUsain Bolt ni lui greffer des pieds de canard géant, on n’a qu’à réduire son poids en baissant la gravité. L’équipe italienne primée par l’Ig Nobel a calculé qu’en divisant la gravité par cinq, il deviendrait possible de le faire marcher sur l’eau. Aussitôt dit, aussitôt fait. Grâce à un harnais relié par un câble à un astucieux système pneumatique délestant les participants d’une grande partie de leur poids, grâce aussi à une petite paire de palmes vert pomme, on a pu vérifier si, dans une ridicule piscine gonflable, la pratique rejoignait la théorie.
Et la réponse fut un oui magistral. Lorsque la gravité ne dépasse pas 22 % de la gravité terrestre, un humain peut sprinter sur l’eau sans couler. Pour y parvenir, le coureur est obligé de lever bien haut les genoux, ce qui donne l’impression grotesque qu’il pédale dans la soupe. Les chercheurs en ont conclu que, sur des astres relativement légers comme la Lune, Pluton ou les principaux satellites de Jupiter, l’homme pourrait bien, le jour où les voyages interplanétaires seront monnaie courante, jouer aux prophètes. À condition de trouver là-bas de l’eau sous forme liquide. Ce qui, pour le coup, tiendrait du miracle.
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