« Nous déconseillons de substituer le bisphénol A dans les tickets de caisse par d’autres bisphénols», explique clairement Nicolas Bertrand, chimiste pour l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). L’association, qui se focalise sur les risques liés au travail, indique que les produits utilisés aujourd’hui pour remplacer le bisphénol A dans les tickets de caisse sont tout aussi dangereux pour la santé.
L’analyse d’une centaine de tickets – provenant de nombreuses enseignes – a révélé que, dans plus de 98% des cas, les éléments utilisés ne sont autres que de nouveaux bisphénols. Peu d’études ont été réalisées sur ces « cousins » du bisphénol A mais il y a fort à parier que leur structure similaire (deux phénols reliés entre eux par différentes molécules) soit à l’origine des effets similaires constatés.
« Le problème est intrinsèque aux tickets de caisse utilisés dans nos différents lecteurs de cartes bancaires » explique l’ingénieur de l’INRS. Ces tickets, dit « tickets thermiques », sont en effet recouverts de bisphénol A qui ont la particularité de changer de couleur lorsqu’ils sont chauffés. Pour éliminer ce produit il faut donc utiliser une molécule aux propriétés similaires. Et quoi de mieux pour remplacer un bisphénol qu’un autre bisphénol ? Ils se succèdent et se ressemblent, ne se distinguant que par la lettre qui évoque des fonctions chimiques liés aux deux phénols. Nicolas Bertrand rappelle les recommandations de l’INRS : « Des solutions existent pour changer de technologie d’impression. Le matriciel par exemple, ou l’impression jet d’encre, tout simplement ».
Simple mais coûteux, ajoute le chercheur. « L’impression à l’encre coûte plus cher, est plus lente et demande une réelle intégration technique et structurelle dans les postes de caisse. » Changer les rouleaux de papier des machines est en effet très simple. Changer les machines thermiques pour du jet d’encre ou du matriciel est nettement plus complexe.
Des bisphénols aux cœurs de deux polémiques bien différentes
Si les projecteurs sont braqués sur les bisphénols, ce n’est pas pour leur utilisation dans les tickets de caisse mais pour leur présence dans les contenants alimentaires. Ce qui peut d’ailleurs étonner, car le bisphénol A n’est présent qu’à l’état de trace dans les emballages alors qu’il est omniprésent sur les tickets de caisse.
Les bisphénols sont en effet utilisés de deux manières. Sur les tickets de caisse, ils sont utilisés tels quels pour leurs propriétés thermiques. Dans les barquettes alimentaires, et plus particulièrement à l’intérieur des boîtes de conserve, les industriels les utilisent en tant que monomères (des éléments que l’on assemble pour fabriquer des polymères, des plastiques). Une fois reliés entre eux, les monomères sont figés et inoffensifs. Le problème vient en fait des résidus de cette fabrication : Les molécules de bisphénol qui n’ont pas réagi sont diffusées petit à petit par le plastique vers le contenu de la boîte.
Désormais interdit pour transporter des denrées alimentaires, le bisphénol est peu à peu remplacé. Ici, comme pour les tickets de caisse c’est la substitution par de nouveaux bisphénols qui prévaut. Au grand dam de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (l’Anses) qui alertait déjà les industriels en 2011 : « En l’absence de données scientifiques complémentaires, l’Agence n’encourage pas à utiliser d’autres bisphénols comme solution de substitution au bisphénol A. »
Il faut dire que les polymères fabriqués à base de bisphénols ont l’avantage de posséder de bonnes propriétés de conservation des aliments à faibles coûts. Difficile de faire mieux, mais des alternatives existent d’ores et déjà. Une étude publiée en 2014 dans le Journal of applied polymer science par une équipe des universités de Malaga et de Séville présentait un nouveau matériau plus respectueux de l’environnement. Un matériau dérivé de la cutine, un polymère présent dans la peau de tomate. Déjà brevetée, l’invention aurait des propriétés de durabilité et de résistance comparables à celles des matériaux habituellement utilisés par le secteur des emballages alimentaires. Finalement, c’est peut-être la chimie biosourcée qui aura la peau des bisphénols.
Par Baptiste Cessieux
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