L’hydrogène est un gaz extrêmement léger qui possède une très faible densité volumique à la pression atmosphérique. Deux techniques sont principalement utilisées pour réduire son volume et le stocker efficacement. La première, la plus courante, consiste à le comprimer à 700 bar, et la seconde à le transformer en liquide en le refroidissant à très basse température (-252,87°C). Depuis quelques années, une autre méthode, par voie chimique, connaît un regain d’intérêt et consiste à héberger le gaz au milieu de molécules de liquides organiques porteurs d’hydrogène. D’abord appelé Organic Liquid Hybrides, ce procédé est à présent plus connu sous le nom de LOHC pour Liquid Organic Hydrogen Carrier.
Avec Valérie Meille, sa collègue de IRCELYON (Institut de recherches sur la catalyse de Lyon), Isabelle Pitault, chercheuse au LAGEPP (Laboratoire d’automatique, de génie des procédés et de génie pharmaceutique) travaille sur cette technologie depuis une quinzaine d’années. « Le stockage de l’hydrogène sous pression ou liquide nécessite de fabriquer des réservoirs spéciaux, très coûteux et qui ne sont pas encore complètement fiables aujourd’hui, analyse la chercheuse. Les molécules d’hydrogène ont la particularité de se diffuser dans tous les matériaux et on n’a pas encore réussi à concevoir des matériaux totalement étanches. À long terme, il peut se produire des pertes si on laisse de l’hydrogène sous pression ou liquide dans un réservoir. L’avantage du procédé LOHC est qu’il est possible d’utiliser toutes les infrastructures pétrolières déjà existantes pour le stockage, car les molécules porteuses de l’hydrogène ont les mêmes propriétés que le pétrole. »
Une réaction d’hydrogénation pour stocker l’hydrogène
Le couple de molécules toluène/méthylcyclohexane a longtemps été utilisé pour mettre en œuvre ce procédé. Concrètement, le toluène est la molécule de départ, que l’on associe à de l’hydrogène grâce à une réaction d’hydrogénation, dans des conditions que l’on peut qualifier de douces puisque l’hydrogène est comprimé à 30 bar, à des températures comprises entre 90 et 150 degrés. Cette réaction donne naissance à une molécule de stockage appelée méthylcyclohexane et a la particularité d’être exothermique. L’énergie libérée peut ainsi être valorisée en couplant cette première étape avec par exemple un réseau de chaleur. Pour « déstocker » l’hydrogène emprisonné, une réaction chimique de déshydrogénation est nécessaire. Celle-ci se déroule à pression atmosphérique, mais nécessite une température très élevée de 320 degrés.
« Il faut beaucoup d’énergie pour libérer l’hydrogène, c’est pour cela que ce procédé ne s’est pas développé, explique Isabelle Pitault. Si vous avez de l’énergie disponible à proximité avec la présence d’une aciérie ou d’un cimentier, cette contrainte peut être levée. Sinon, il est nécessaire de brûler une partie de l’hydrogène, ce qui représente une consommation de 25 % de ce gaz. Mais si l’on compare ce besoin énergétique avec les deux autres méthodes, cette consommation est presque équivalente puisque la compression de l’hydrogène nécessite 20 % de l’énergie interne mobilisée et celle pour fabriquer de l’hydrogène liquide 30 %. Une différence se situe au niveau de l’étape durant laquelle ce besoin énergétique est nécessaire. Pour l’hydrogène sous pression ou liquide, ce besoin se situe au moment du stockage tandis que pour le LOHC, c’est au déstockage. »
Pendant de nombreuses années, ce procédé a fait l’objet de critiques, car les molécules utilisées sont dérivées du pétrole. Aujourd’hui, ces critiques n’ont plus lieu puisque plusieurs études démontrent qu’il est possible de synthétiser le toluène à partir de la biomasse, notamment la lignine. Par ailleurs, les molécules utilisées ne sont pas détruites à chaque stockage/déstockage, car elles servent uniquement de réservoirs pour accueillir l’hydrogène. « On peut prendre l’image d’une batterie ; vous n’allez pas la jeter après la première décharge, s’exclame la chercheuse. Certes, certaines molécules utilisées ont tendance à se dégrader au fur et à mesure des cycles, mais il est possible de les resynthétiser en usine sans avoir besoin de s’approvisionner à nouveau. Le cycle peut donc être vertueux. »
Des usines en construction en Allemagne et aux Pays-Bas
À partir du début des années 2000, un autre couple de molécules est fréquemment utilisé, notamment par l’entreprise allemande Hydrogenious : le dibenzyltoluene/perhydrodibenzyltoluene. Ces molécules sont fabriquées par de grands groupes chimiques tels que Sasol et Arkema et sont issues du toluène. Elles servent à fabriquer des fluides caloporteurs capables d’assurer des échanges de chaleur, mais peuvent aussi être utilisées pour le procédé LOHC. Le couple toluène/méthylcyclohexane présente l’inconvénient de devoir réaliser une réaction en phase gazeuse lors de l’étape de déshydrogénation, puis la mise en œuvre d’un système de séparation et de purification de l’hydrogène, qui se révèle gourmand en énergie. L’intérêt du couple dibenzyltoluene/perhydrodibenzyltoluene réside dans le fait que l’étape de déshydrogénation n’est pas confrontée à cette problématique puisque la molécule conserve en permanence son état liquide.
Depuis le début des années 2010, le procédé LOHC connaît un nouvel essor en Europe, surtout à travers la société Hydrogenious. L’entreprise construit en ce moment des usines à Hambourg et aux Pays-Bas dans le port de Rotterdam afin de stocker de l’hydrogène saisonnier issu d’énergies intermittentes (photovoltaïque, éolien). En Asie, la société japonaise Chiyoda se sert de ce système depuis plusieurs années pour transporter de l’hydrogène entre le Japon et Brunei. En Chine, la société Hynertech dépose de multiples brevets et a pour ambition d’alimenter des voitures équipées de piles à combustible. « Le point négatif de leur projet est que l’étape d’hydrogénation est réalisée dans une usine et celle de déshydrogénation dans des stations-service, ajoute Isabelle Pitault. Ceci nécessite de nombreux transports en camion entre les différents sites. »
La chercheuse considère que le procédé LOHC a de l’avenir pour le stockage stationnaire de l’hydrogène et la mobilité de type camion. S’agissant des voitures, les constructeurs se sont déjà engagés sur la voie des moteurs électriques et le stockage en batterie. « Selon moi, il est plus avantageux d’installer un électrolyseur dans une station-service pour produire de l’hydrogène puis de réaliser la réaction d’hydrogénation sur place. La chaleur dégagée lors de cette première étape peut alors servir à alimenter un quartier en chauffage. La réaction de déshydrogénation est ensuite réalisée dans le véhicule. Il convient alors de l’équiper de deux réservoirs, l’un accueillant les molécules chargées en hydrogène et l’autre permettant de les récupérer après le déstockage. Si le véhicule est équipé d’un moteur thermique à hydrogène, la chaleur nécessaire lors de la déshydrogénation peut provenir du moteur. Un tiers de la chaleur produite par ce dernier suffit à cette réaction. Par contre, si le véhicule est équipé de piles à combustible, il est alors nécessaire de brûler environ 25 % de l’hydrogène pour réaliser la réaction de déshydrogénation. »
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