Un matériau qui reste verrouillé en emmagasinant de l’énergie mécanique et que l’on peut déverrouiller sur commande. Derrière cette trouvaille, on découvre le potentiel des matériaux auxétiques dont l’étude ne fait que commencer.
A l’instar des aigles qui peuvent garder leurs serres fermées sur leurs proies sans faire travailler leurs muscles, des chercheurs ont mis au point des matériaux qui stockent de l’énergie mécanique en adoptant une position « verrouillée » et qui peuvent ensuite la relâcher sur commande. Leurs travaux constituent une approche originale des matériaux auxétiques.
Les matériaux auxétiques sont des matériaux dont le coefficient de Poisson est négatif. Cela signifie que lorsque l’on les étire, ils deviennent plus épais perpendiculairement à la force d’étirement. Cette propriété, qui s’explique par leur structure interne, se retrouve tant au niveau microscopique dans des molécules simples ou des cristaux par exemple que dans des structures macroscopiques – certaines mousses ou fibres notamment. Ces matériaux présentent des capacités supérieures pour absorber l’énergie, amortir les chocs et résister à la fracture. Leur étude est assez récente et ils sont surtout utilisés comme antichocs (emballages, armures, protège-genoux etc.).
Les scientifiques de l’Université Queen Mary de Londres et de l’Université de Cambridge les abordent d’une autre manière. Leurs travaux, publiés dans Frontiers in Materials, proposent des outils pour créer des matériaux et des structures imprimables en 3D aux propriétés élastiques prometteuses.
Adoucir les angles
Dans leurs applications actuelles, les matériaux auxétiques sont conçus avec des angles vifs pour que le matériau, lors d’un choc, se replie rapidement et efficacement sur lui-même, augmentant ainsi localement la densité de matière. Il assure de la sorte un blindage léger ainsi qu’’un amorti du choc. Le problème est que ces angles concentrent les forces et engendrent une fragilité du matériau qui se casse facilement après quelques chocs. Dans le cas d’une armure, c’est peu gênant puisqu’elle est généralement prévue pour être changée après un impact de balles. Mais pour d’autres applications, cette fragilité est un réel frein. Les chercheurs ont donc ici conçu des matériaux aux courbes lisses qui répartissent les forces et permettent des déformations répétées sans altération du matériau ; le matériau peut alors servir pour stocker de l’énergie ou pour des applications nécessitant des changements de forme. Parmi les applications envisageables : le remplacement de certains appareils ou de robots par un matériau intégrant en lui-même l’intelligence du mouvement désiré. Les chercheurs pensent notamment à des outils de préhension qui serait ainsi particulièrement économes en énergie pour l’industrie. Ces matériaux pourraient aussi servir à résoudre certains problèmes d’adaptation aux variations de température. En effet, les matériaux se dilatent et se contractent sous l’effet de la température et ces changements de formes empêchent certaines applications. En travaillant avec des matériaux auxétiques, on pourrait inventer des structures qui s’adaptent aux différentes variations en faisant évoluer leurs structures internes de manière réversible.
Ces matériaux ont été imaginés pour des processus de fabrication additive laissant beaucoup de liberté dans les formes et permettent notamment la création de structures lattices – c’est-à-dire des structures en treillis de type nid d’abeille.
Les outils pour le faire
Grâce à ces travaux, les chercheurs ont développés des outils de calcul et de conception qui peuvent servir bien d’autres recherches. Et leur système de verrouillage à clips (voir illustration) n’en est qu’une démonstration parlante. Derrière cet objet, les chercheurs ont dû travailler sur la répartition des forces et des contraintes au sein du matériau afin de créer des structures lattices légères, dynamiques et résistantes à la fatigue. En s’inspirant de systèmes naturels qui se composent de structures articulées délocalisant les forces plutôt que de les concentrer dans de petites zones, les chercheurs peuvent assembler des éléments unitaires élastiques par l’intermédiaire de charnières en forme de S, permettant des structures en 2D ou 3D auxétiques, réglables localement et présentant plusieurs états stables de répartition des forces. Cet assemblage permet, par exemple, des déformations élastiques réversibles macroscopiques de l’ordre de 30 % alors que la déformation intrinsèque des matériaux utilisés est de 6 %. Les chercheurs en ont tiré un modèle semi-analytique des déformations qui prédit les propriétés mécaniques des structures avec moins de 5 % d’erreur. Ces outils de modélisations sont transposables pour des conceptions 3D complexes, pour des matériaux imprimables divers tels que métaux, céramiques, polymères.
Par Sophie Hoguin
Bonjour,
Vous parlez dans cet article de l’application actuelle des structures auxétiques en absorption des chocs, en soulignant qu’elles sont adaptées à des chocs uniques. Pensez-vous que ce soit une mauvaise piste en tant que matériau de protection pour des chocs multiples à basse intensité, mais unique en cas de choc violent, par exemple pour un casque de vélo qui s’affranchirait du problème de la fatigue inhérent aux mousses peu déformables?
Je vous remercie d’avance pour vos éclairages, et pour cet article instructif.
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