D’un point de vue théorique, selon cette étude (Shaaner et al) dont fait écho par exemple le magazine Sciences et avenir (« Usa : éolien et solaire peuvent fournir 80% de la demande en électricité »), il faudrait multiplier de façon massive le volume de stockage pour parvenir au graal des 100%. L’étude montre l’impact de différents volumes de stockage (3, 6, 12, 24 heures et 2, 4, 8, 16 et 32 jours) sur le niveau de solaire + éolien alors possible (page 13).
Autre stratégie possible : surdimensionner la puissance solaire et éolienne installée, et produire en excès. Si un niveau de surproduction de 50% est accepté, alors il est possible de parvenir à 99,63% de solaire + éolien (moitié, moitié). Pour les 0,37% restants (ce qui correspond à 32 heures), accepter quelques coupures d’électricité est une option possible. Accepter un niveau de perte de 10 ou 20% permet déjà d’optimiser significativement le niveau de solaire + éolien. Atteindre un niveau de 50% n’est pas forcément souhaitables compte-tenu de l’impact paysager des parcs éoliens et solaires.
Dans le cas d’un mix uniquement basé sur le solaire (0% d’éolien), le niveau maximal envisageable est de 93,86%, ceci en acceptant une surproduction de 50%. Le solaire est en général mieux accepté que l’éolien, pour des raisons paysagères. Un mix ¾ solaire et ¼ éolien permet d’atteindre les 98,74%, ceci en acceptant une surproduction de 50%.
Une troisième stratégie est possible : muscler les réseaux électriques pour favoriser les effets de lissage entre régions éloignées. Mais, contrairement à la solution reposant sur le stockage batterie, recourir à des lignes électriques pose un problème d’acceptation paysagère et n’élimine pas la dépendance envers plusieurs métaux.
Il est enfin possible de choisir la solution du back-up thermique, tout en recourant à un combiné des trois autres solutions. La consommation de gaz fossile est alors modeste, bien inférieure à 20%, ce qui est compatible avec les objectifs climatiques de l’ONU visant à limiter l’ampleur du réchauffement anthropique. Un back-up reposant sur des centrales nucléaires est difficilement envisageable compte-tenu des aspects cinétiques (ramp-up) et économiques : construire une centrale nucléaire est coûteux et cela n’a de sens que si son facteur de capacité est élevé.
Le coût d’installation d’1 GW de centrale à gaz est environ 10 fois plus faible que celui d’1 GW de nouveau nucléaire EPR. Ces centrales thermiques ne seront utiles que de façon très ponctuelle. Elles deviendront inutiles quand le coût des batteries aura été divisé par un facteur d’environ 20 comparativement au coût actuel. Le coût des batteries lithium s’est effondré d’un facteur 5 entre 2010 et 2017.
L’équipe de l’ICE a analysé 36 années de données météorologiques américaines (de 1980 à 2015) afin de comprendre les barrières géophysiques fondamentales à la fourniture d’électricité avec seulement l’énergie solaire et éolienne.
Dès 2012, NREL avait publié un rapport suggérant que les États-Unis pourraient couvrir 80% de leurs besoins en énergie éolienne et solaire, avec divers degrés de dispatchabilité, une combinaison de production conventionnelle flexible et de stockage et des investissements dans les réseaux.
En avril 2017, « l’Initiative sur les politiques climatiques » a publié un autre rapport novateur intitulé « Flexibilité, Le chemin vers des réseaux électriques à faible émission de carbone et à faible coût ». Le groupe a montré que le coût maximum de ce système basé sur l’énergie renouvelable est aujourd’hui compétitif par rapport à un système basé sur le gaz avec un prix du carbone de 50 $ la tonne. D’ici 2030, il sera compétitif même sans intégrer un prix du carbone. Le chercheur Amory Lovins, fondateur du Rocky Moutain Institute, a répondu à une question d’importance stratégique dans un article publié récemment dans la revue Energy Research & Social Science: « Qui peut remplacer plus rapidement la production d’électricité à partir de combustibles fossiles – l’énergie nucléaire ou les énergies renouvelables modernes? Contrairement à un mythe persistant basé sur des méthodes erronées, les données mondiales montrent que l’électricité renouvelable augmente la production et économise du carbone plus rapidement que l’énergie nucléaire ne l’a jamais fait. »
Une guerre de communication ?
Le chercheur Mark Jacobson (Stanford) a proposé en février 2018 trois stratégies pour parvenir à un mix électrique 100% renouvelable. L’étude est disponible depuis le site de Stanford University. Contacté par voie électronique ce scientifique californien n’est pas enthousiaste à propos de l’étude Shaaner et al, dont le climatologue pro-nucléaire Ken Caldeira fait partie des quatre co-auteurs. Techniques de l’ingénieur publie ici en intégralité son commentaire, avec son aimable autorisation :
« Non, je ne suis pas d’accord avec cette étude. Dans une étude que nous avons publié la semaine dernière nous contredisons ce qu’ils affirment. Un système 100% éolien, hydraulique et solaire peut alimenter non seulement le secteur de l’énergie électrique, mais tous les secteurs énergétiques (électricité, transport, chauffage / refroidissement, industrie, agriculture / foresterie / pêche) et pas seulement pour l’Amérique du Nord mais aussi pour les 20 régions du monde examinées et sous 3 scénarios de stockage différents dans chaque cas. Notre étude diffère de la leur de la façon suivante:
- Ils ignorent les énergies renouvelables à l’exception du solaire et du vent; à savoir hydro et géothermique existantes. De notre côté nous avons comptabilisé ces dernières.
- Ils ne tiennent pas compte de la réponse à la demande, ils supposent donc qu’il est impossible d’inciter les gens, par exemple, à faire fonctionner leur lave-vaisselle et leur lessive la nuit en leur offrant de meilleurs taux nocturnes. Nous avons expliqué cela.
- Ils ne parviennent pas à électrifier tous les secteurs énergétiques, leurs profils de demande pour un futur système d’énergie renouvelable sont donc incorrects, car le chauffage / refroidissement électrifiés, par exemple, augmente l’électricité nocturne pour la chaleur (coïncidant avec le vent) et le refroidissement diurne (solaire) et le transport électrifié crée une énorme charge flexible qui peut être décalée dans le temps.
- Ils ne tiennent pas compte du stockage de chaleur ou de froid et supposent que le stockage d’électricité est une boîte noire, alors qu’en réalité il est souvent lié à l’énergie hydroélectrique et à l’énergie solaire concentrée (stockage thermique à base de sels fondus ndlr), qui sont beaucoup moins chères que les batteries.
- Ils ne parviennent pas à projeter des charges à 2050 ou à les réduire de 42 à 58%, comme c’est le cas avec un système Wind Water Sun (WWS) à 100% (voir le document ci-dessus).
- Leur jeu de données sur le vent est à la mauvaise hauteur – 50 m, alors que les hauteurs des moyeux des éoliennes sont toutes maintenant de 80 à 120 m. Notre étude modélise les vents à une hauteur de moyeu de 100 m.
- Une autre différence est que nos champs de vent, par exemple, sont à une résolution de 30 secondes. Ils utilisent une résolution d’une heure.
Dans l’ensemble, il s’agit d’un exemple classique d’auteurs qui tentent de publier une étude portant sur un problème particulier (la dépendance temporelle des ressources solaires et éoliennes par rapport à la demande) pour affirmer que cela s’applique à autre chose.
Non seulement leur étude est beaucoup plus simple que les études de base d’il y a 8 ans, qui ont montré que les énergies éolienne, solaire et hydraulique en Californie pouvaient, à elles seules, correspondre à la demande avec 99,8% de sources sans carbone mais il existe au moins 30 articles publiés dans des revues à comité de lecture qui sont beaucoup plus détaillés que ce nouveau document et montrent qu’il est possible de faire coïncider la demande et l’offre avec les seules énergies renouvelables à travers le monde. »
Jean-Gabriel Marie
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