Le vendredi 12 février paraissait dans la revue Science un article intitulé "Stockage miniaturisé de l'énergie : un procédé de fabrication compatible avec l’industrie, adaptable aux supports flexibles". Co-auteur de cet article, Christophe Lethien, Enseignant/Chercheur IEMN-IRCICA-Telecom Lille, a répondu à nos questions à propos de cette avancée dans le domaine industriel du stockage de l'énergie.
Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous revenir sur la mise au point de ces dispositifs de stockage et les difficultés que vous avez rencontrées ?
Christophe Lethien : Mon collègue Patrice Simon travaille depuis 2010 avec Yury Gogotsi sur la mise au point de ces dispositifs. C’est en 2013 après une discussion avec Patrice que je lui ai proposé de faire des couches minces de carbure métallique (TiC) par pulvérisation à l’IEMN.
Nous avons été confrontés à trois difficultés bien distinctes. D’abord, la nécessité de contrôler les contraintes et la conductivité électronique des couches minces de TiC dès lors que l’on a essayé de faire des épaisseurs supérieures à 3 µm (contrôle des paramètres de dépôt lors de la croissance par pulvérisation).
La seconde difficulté a été de contrôler l’interface TiC/carbone poreux lors du traitement thermique par chloration pour avoir une couche adhérente sur le substrat.
Dernier défi : Faire une structure interdigitée par gravure avec des épaisseurs de TiC supérieures à 5 µm.
Cela fait quelques années que la recherche s’est penchée sur le développement de micro-dispositifs de stockage de l’énergie directement sur des puces électroniques. Peut-on parler de rupture technologique en ce qui concerne le dispositif que vous avez développé ? En quoi se démarque-t-il des dispositifs précédemment développés ?
Effectivement, il s’agit d’une rupture technologique avec des procédés de fabrication collective de microsupercondensateurs à l’échelle du wafer. Les procédés sont reproductibles et le contrôle de tous les paramètres de dépôt et de chloration nous permettent vraiment d’obtenir des performances remarquables à la fois en densité d’énergie et de puissance.
De plus, nous utilisons des matériaux peu couteux (carbure de titane, silicium) au contraire de certains dispositifs publiés dans la littérature à base de métaux nobles ou d’oxydes de métaux nobles (or, oxyde de ruthénium, oignons de carbone) qui ne sont pas compatibles avec un transfert technologique vers des lignes de production de l’industrie du silicium (contamination, toxicité, cout prohibitif des matériaux).
Expliquez-nous en quoi la méthode de fabrication de ce dispositif est adaptée aux contraintes de l’industrie ?
Elle utilise des wafers de silicium (démonstration ici sur des wafers de 3 pouces de diamètre – dimension « compatible » laboratoire). Le dépôt de carbure de titane est effectué par pulvérisation cathodique DC, une méthode très répandue dans l’industrie de la microélectronique et qui permet de faire des couches minces sur des grandes surfaces. La gravure des structures interdigitées des microsupercondensateurs est réalisée par gravure sèche ICP/RIE, méthode de gravure plasma elle aussi disponible industriellement. La chloration des couches de TiC pour fabriquer le carbone microporeux est effectuée dans un four tubulaire. De cette façon, tout a été pensé pour assurer ce transfert industriel.
Ce dispositif obtient le meilleur rapport énergie surfacique/puissance surfacique à ce jour. Pouvez-vous revenir sur cette performance et la mettre en perspective par rapport aux innovations préexistantes à ce niveau ?
Le matériau est extrêmement adhérant sur le substrat avec une taille de pores de carbone poreux contrôlée très précisément (à 0.1 nm près). Le procédé est très reproductible. Le procédé de gravure Laser utilisé par R.Kaner est très séduisant mais les microsupercondensateurs à base de graphène présentent une faible capacité surfacique. Pour augmenter leur performance, ce même groupe a proposé de coupler ce graphène obtenu par laser avec du dioxyde de manganese.
En dépit d’une belle densité d’énergie, la densité de puissance chute très rapidement principalement à cause de l’épaisseur importante de MnO2 déposée. Les microsupercondensateurs que l’on réalise avec les chercheurs Toulousains et Amienois sont pourvus d’électrodes de carbone poreux de forte capacité surfacique permettant donc de maximiser la densité d’énergie. Il s’avère aussi que la densité de puissance est elle aussi très importante. La couche de carbure de titane sous jacente à la couche de carbone microporeux agit comme collecteur de courant et sa conductivité électronique a été optimisée favorisant donc une bonne densité de puissance.
Expliquez-nous quelles pourraient être les applications de ces microsupercondensateurs au niveau industriel ? quels secteurs seront principalement concernés ?
Ces microsupercondensateurs pourraient être utilisés comme source d’énergie complémentaire d’une microbatterie au sein de noeuds de réseau de capteurs sans fil miniatures. Il faut imaginer des petits points d’accès radiofréquence à l’image de petits smartphones ou petits points d’accès wifi intégrés dans un volume réduit (quelques millimètres cube) et permettant de capter une information à mesurer (température, analyse de gaz, présence….). Un réseau de multiples objets miniatures permettrait de cartographier une zone (site nucléaire pour pollution, analyse de gaz lors de guerre chimique, surveillance de départ de feu dans les forets…).
Ces microcapteurs communicants ont nécessairement besoin de sources d’énergie pour fonctionner et une microbatterie, couplée à nos microsupercondensateurs pourraient assurer la distribution d’énergie en toute circonstance. Se pose le problème de la rechargabilité…. En prélevant l’énergie dans l’environnement proche du capteur miniature (solaire, énergie lumineuse artificielle, gradient de température, vibration….), ces microdispositifs de stockage complémentaires pourraient être rechargés. Il est possible aussi d’imaginer des capteurs miniatures intégrés au sein de textiles intelligents pour surveiller les constantes vitales d’un être humain.
A plus long terme, même s’il se pose des questions d’éthique, on peut imaginer des petits objets miniatures (taille micrométrique) intégrant ces microsupercondensateurs (autonomie énergétique) et voyageant au sein du corps humain pour la délivrance locale de médicaments au plus proche d’une douleur par exemple.
Enfin, 6 laboratoires ont participé à ce projet. Pouvez-vous revenir rapidement sur la génèse de cette collaboration et la nécessité de ces collaborations dans l’innovation aujourd’hui ?
L’innovation se situe dans la maitrise complète du processus de fabrication par des acteurs qui ont travaillé en étroite collaboration pour proposer ces dispositifs performants. Patrice Simon, Pierre Louis Taberna (CIRIMAT) et Yury Gogotsi (Université de Drexel) travaillaient depuis 2010 sur ces carbones microporeux (carbone dérivé de carbure – CDC), principalement sous forme massive.
Suite à l’intégration de l’IEMN (mai 2012) au sein du RS2E (réseau français sur le stockage électrochimique de l’énergie), nous avons décidé avec Patrice Simon, en 2013, de travailler sur la synthèse de films minces de carbure métallique par pulvérisation cathodique.
Ces films minces déposés à l’IEMN ont ensuite été chlorés avec succès sur Toulouse par le LPCNO et le CIRIMAT qui ont aussi mesuré les performances électrochimiques et mécaniques. La gravure plasma des structures interdigitées a été réalisée à l’IEMN. Les analyses par microscopie électronique à transmission du TiC et des CDC ont été effectuées par Arnaud Demortière au LRCS à Amiens. Comme vous pouvez le constater, les compétences nécessaires à la fabrication et la caractérisation de ces microsupercondensateurs sont nombreuses et ne peuvent être maitrisées au sein d’un unique laboratoire : l’action collective que l’on a menée a permis d’obtenir ces résultats. Je tiens à préciser que c’est vraiment grâce au RS2E que ce type d’actions a pu être mis en place. On ne peut que s’en féliciter.
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