Techniques de l’Ingénieur : Il y a eu par le passé cinq épisodes d’extinction de masse. Elles se définissent notamment par la disparition d’au moins 75% des espèces animales et végétales sur terre et dans les océans. Selon ces critères, peut-on estimer que nous sommes effectivement en train de vivre un nouvel épisode d’extinction des espèces ?
Maxime Pauwels : Non, il serait trop prématuré de parler de cela actuellement. Aujourd’hui, le nombre d’extinction des espèces ne correspond pas. Par exemple, on considère que 1% des vertébrés ont disparu. On est loin des 75%. A minima, nous pourrions être au début d’un phénomène d’extinction de masse, mais il est encore trop tôt pour en être certain. Aujourd’hui, les espèces ne sont pas fatalement amenées à disparaître. Estimer que nous sommes actuellement dans un épisode d’extinction de masse serait très fataliste. Je préfère être optimiste.
Si le vivant ne fait pas face à une extinction de masse, ne serait-il pas envisageable de considérer que nous sommes face à un phénomène d’un type nouveau ?
Il faut comprendre qu’en fait, les espèces disparues ne sont pas aussi nombreuses qu’il pourrait sembler. Mais attention à bien comprendre aussi ce que signifie taux d’extinction : il s’agit de la vitesse de disparition. Il est vrai qu’aujourd’hui des espèces disparaissent plus vite que la normale. Par ailleurs, pour de nombreuses espèces, nous constatons un déclin démographique clair. La dynamique est mauvaise. Pour distinguer extinction et déclin démographique, je préférerais parler de crise de la biodiversité.
Comment devrions-nous donc interpréter le déclin actuel des espèces ? Est-ce que l’homme peut faire quelque chose pour ralentir, endiguer ou inverser ce phénomène de déclin ?
Le déclin est une marche vers l’extinction. Si une espèce n’a de cesse de décliner, elle disparaîtra. C’est pour cela que l’UICN [l’Union internationale pour la conservation de la nature, NDLR] répertorie les espèces en déclin, qu’elle classe menacées d’extinction. Cela permet de veiller dessus et d’identifier les situations problématiques. Et il est clair qu’à l’Anthropocène [terme débattu par la communauté scientifique pour désigner la nouvelle ère géologique dans laquelle les activités de l’homme ont une influence significative sur l’écosystème, NDLR], notre espèce joue un rôle dans l’accélération du processus.
Pour la plupart, sinon toutes les espèces en déclin, il est possible d’identifier au moins une cause liée aux activités humaines. Mais tant qu’une espèce n’a pas disparu, si on peut identifier la cause de son déclin, on peut aussi essayer de l’endiguer. Le discours scientifique ne permet pas d’affirmer que le déclin d’une espèce se soldera forcément par son extinction. Autrement, réfléchir à la préservation des espèces serait absolument inutile. Par ailleurs, certains programmes de conservation ou de protection ont prouvé leur efficacité. Ça a été notamment le cas pour le rorqual commun, dont la population est en expansion depuis l’interdiction de la chasse commerciale.
« L’idée que nous nous dirigeons vers une extinction massive n’est pas seulement fausse, c’est une recette pour la panique et la paralysie » déclarait Stewart Brand dans le magazine américain Aeon en 2015. Partagez-vous son avis ?
D’un point de vue purement scientifique, l’idée d’une actuelle sixième extinction de masse des espèces ne me semble pas fondée. Cependant, cette expression a peut-être l’avantage d’être efficace du point de vue de la communication. Peut-être qu’en termes de psychologie sociale, cette expression est efficace pour marquer les esprits, mais j’en doute. Sur le fond, la communauté scientifique est d’accord pour parler de l’accélération du déclin des espèces, mais se divise sur le fait de parler d’une sixième extinction de masse. Cette terminologie est peut-être plus militante que scientifique.
Au XVIIIème siècle, le biologiste et académicien des sciences Georges-Louis Leclerc de Buffon avait conceptualisé l’idée selon laquelle le vivant serait composé d’alternances entre phases d’extinction et de renouvellement. Cette idée est-elle toujours recevable aujourd’hui ? Si oui, ne permettrait-elle pas de relativiser les conséquences de l’Anthropocène sur les différents écosystèmes ?
Au cours de l’histoire, le vivant a connu des phases d’expansion, de crise et de stagnation, ce n’est pas faux. La biodiversité est actuellement plus riche qu’elle ne l’était il y a 500 millions d’années. Cependant, elle l’est moins qu’il y a quelques siècles. L’actuelle forte phase de déclin est contraire à la tendance. Les cinq extinctions précédentes ont effectivement été suivies de radiations évolutives après déclin, mais ces phénomènes se sont produits sur des millions d’années. Le rapide déclin que connaissent les espèces aujourd’hui leur laisse un temps bien trop court pour s’adapter. Bien que les scientifiques ne sachent pas combien de temps est nécessaire à une adaptation, il n’est pas spontané, jamais inférieur à plusieurs générations, qui peuvent correspondre à plusieurs décennies pour les espèces à temps de génération long.
Actuellement se déroule à Madrid la COP 25 sur les changements climatiques. Pensez-vous que ce type d’événements est nécessaire à la défense des espèces en déclin ?
Les COP sont nécessaires. Il est juste dommageable que les engagements soient rarement contraignants. Les décisions prises sont souvent assez légères. En revanche, la COP actuelle se focalise uniquement sur le changement climatique. C’est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant. Il existe une autre COP, moins médiatisée [la « COP biodiversité » dont la 15ème édition se tiendra en Chine en 2020, NDLR]. Les médias devraient mettre davantage l’accent dessus. Ensuite, il faut que les politiques jouent leurs rôles. Les scientifiques sont là pour alerter sur ce qui se passe, mais pour que les choses changent, il faut que des décisions fortes soient prises.
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