L’idée est tellement simple qu’il fallait juste y penser : recouvrir les routes d’ombrières solaires photovoltaïques. Le projet de « serpent solaire » (Solar Serpent) a été pour la première fois présenté lors de la conférence « Toward a Just Metropolis » de l’UC Berkeley (University of California) le 18 juin 2010. Et de nombreuses fois depuis, suscitant partout un fort enthousiasme du grand public.
Le serpent est un squamate, du latin squama, écaille. Les panneaux solaires constituent les écailles de cette route nouvelle génération qui serpente au gré du relief. Les ophidiens sont des animaux qui muent : ils changent de peau. Une belle métaphore de la révolution énergétique qu’il nous faut mener pour construire une société vraiment durable.
En juin 2011, un an après la révélation du concept de Måns Tham, la Belgique inaugurait le premier serpent solaire du monde au niveau d’une voie de TGV. Ceci pour un coût d’investissement de 15 M€ et une puissance installée de 4 MW, soit de 3,8 €/W. Le même projet, compte tenu de la chute vertigineuse des coûts du solaire PV entre 2010 et 2015, coûterait aujourd’hui entre 2 et 2,5€/W. Ce reptile solaire belge a également permis de « faire les gros titres de la presse internationale » souligne l’entreprise Enfinity sur son site officiel.
La même approche est également appliquée au niveau des parkings, avec des ombrières solaires : c’est par exemple ce qu’a fait l’aéroport de Montpellier à un coût de 8 M€ pour 4,5 MW, soit 1,8 €/W (2014). Le même projet coûterait aujourd’hui (2016) moins d’1,5 €/W. Au Liban, un « serpent solaire » a été installé sur la rivière qui traverse Beyrouth (« Beirut River Solar Snake », BRSS), ce qui a comme conséquence positive de réduire l’évaporation de l’eau.
Les cellules photovoltaïques du serpent ont un rendement optimal, ce qui constitue un énorme avantage comparativement aux routes solaires où les cellules PV sont placées au sol : Solar Roadways aux USA, SolarRoad aux Pays-Bas et Wattway en France (6€/W). En effet, le serpent ne subit pas d’ombrage et beaucoup moins de salissure. Il est possible d’orienter correctement ses écailles vis-à-vis du soleil, il bénéficie d’un refroidissement aérien qui optimise le rendement photovoltaïque, et personne ne vient l’écraser, ce qui augmente considérablement sa durée de vie. Chaque euro investi permet ainsi de produire beaucoup plus d’électricité à un coût bien plus faible.
L’intérêt écologique est évident : moins d’activité minière et industrielle polluantes car moins de consommation de matière première par unité d’électricité produite. Dont l’élément argent, le seul élément du photovoltaïque véritablement limitant, selon le MIT (rapport « The Future of Solar », 2015), si la filière était développée à l’échelle de dizaines de TW à l’échelle mondiale. Mais d’autres intérêts majeurs découlent de cette approche particulièrement pertinente.
Durée de vie et maintenance des routes
La toiture solaire protège la route des agressions météorologiques.
Selon les sites et les sources, le coût d’une autoroute 2 x 2 voies et d’une largeur roulable de 11 mètres coûte en France entre 5 et 25 millions d’euros du kilomètre, le haut de la fourchette concernant les milieux montagnards. Auquel s’ajoute des frais d’entretien annuels de 70.000 à 100.000 € par kilomètre. Pouvoir protéger une infrastructure aussi coûteuse a donc un intérêt majeur.
Il y a en France 7850 km d’autoroutes à péage, 1100 km d’autoroutes non concédées par l’état, 11 800 km de routes nationales, 383.000 km de routes départementales et 550.000 km de routes communales. En retenant une hypothèse de 85.000€/km, la maintenance des 8950 km d’autouroutes coûte 23 milliards d’€ en 30 ans. Dans l’hypothèse (bas de la fourchette) d’un coût d’investissement de 5 M€/km, elles pèsent 45 milliards d’€.
Le toit solaire peut s’étendre au-delà de la bande roulable, d’où une largeur retenue ici de 16 mètres. Ce qui, avec une longueur de 8950 km, correspond à une surface de 143 kilomètres-carrés. En retenant la même densité de puissance que la centrale solaire de Cestas (300 MW sur 2,6 km2, 115 W/m2), les autoroutes françaises, a elles seules, permettraient d’installer une puissance solaire PV d’un peu plus de 16 GW. Soit 2 fois et demi la puissance PV totale actuellement en place en France. Et on peut considérablement augmenter la mise en intégrant les routes nationales.
Sur la base de l’expérience belge susmentionnée, on peut retenir un coût d’environ 2,5€/W (tout compris) pour une centrale solaire en toiture d’autoroute, contre 0,8 €/W pour du PV classique au sol. Mais le surcoût d’1,7€/W peut être compensé par l’augmentation de la durée de vie de l’autoroute et la réduction de son coût de maintenance. 16 GW à 1,7€/W ce sont 27 milliards d’€. C’est 60% du coût d’investissement de l’autoroute. Autrement dit si la toiture solaire augmente d’un facteur 1,6 la durée de vie de l’autoroute, alors le coût de la structure porteuse est compensé. Et comme cette toiture diminue copieusement les frais de maintenance annuels l’équation économique devient encore plus favorable. Et c’est pas fini…
Qualité de l’air
La pollution de l’air en France, pays où le parc automobile est fortement dieselisé, coûte chaque année plus de 100 milliards d’euros. Deux fois plus que le tabac. Les autoroutes, dont le débit est très elevé, sont des sources majeures de pollution. Des routes de qualité, c’est-à-dire non dégradées par les agents météorologiques, ce que permet le serpent solaire, conduisent à une réduction de la consommation des véhicules de 7% selon une étude danoise. Grâce à une baisse de la résistance au roulement.
Le serpent solaire protège par ailleurs du vent, qui, lorqu’il est de face ou latéral, conduit également à augmenter de manière significative la consommation des véhicules. La résistance de l’air augmente avec le carré de la somme vitesse du véhicule + vitesse du vent. Un vent même de seulement 20 km/h s’opposant à un véhicule voulant maintenir sa vitesse à 110 km/h conduit à un très copieux surcoût énergétique.
L’effet d’îlot urbain est atténué grâce à notre ophidien photovoltaïque. Le fait de rouler à l’ombre conduit à une baisse des besoins en climatisation, et donc à une diminution de la consommation en carburants pétroliers. Et aussi à une diminution du risque de surchauffe du moteur. Si la France est principalement concernée durant la période estivale, une bonne partie de la population mondiale, de l’Egypte au Brésil en passant par l’Arabie Saoudite et l’Inde, vit dans des régions qui sont ensoleillées et chaudes toute l’année.
Un serpent solaire au niveau des 35 kilomètres du périphérique parisien aurait un intérêt pour la santé de l’ensemble des riverains : la pollution particulaire a un en effet des conséquences particulièrement graves lors d’un temps d’exposition long. Celui des automobilistes est bien plus court. Et ce sont ces derniers la source de la pollution. Pollueur, payeur. De nombreux constructeurs proposent par ailleurs aujourd’hui des véhicules dont l’air de l’habitacle est contrôlé. Comme par exemple la Tesla X avec son mode « Bioweapon ». Mais aussi la Renault Zoé 100% électrique.
Des systèmes de filtration de l’air du même type que ceux qui équipent le tunnel du Mont-Blanc dans les Alpes (Autoroutes et Tunnel du Mont Blanc, ATMB) pourraient d’ailleurs être installés dans le tube intestinal du serpent et fonctionner avec l’électricité photovoltaïque. 90% des particules sont éliminées avec ce système.
Le léviathan solaire rend en outre possible la séquestration du CO2. La concentration en CO2 est naturellement plus élevée dans un tunnel. Måns Tham propose d’aspirer cet air enrichi et de l’envoyer vers de petits bassins adjacents où sont cultivées des micro-algues. Le CO2 est la molécule-clé de la photosynthèse. C’est exactement ce qu’avait fait Greenfuel, une start-up du MIT, en utilisant l’air riche en CO2 sortant d’une centrale à charbon alimentant le campus. La structure porteuse du serpent solaire peut d’ailleurs être en bois, matériaux qui constitue un puits de carbone.
« J’ai déjà fait des esquisses pour un serpent solaire au dessus du périphérique » a indique Måns Tham, joint par voie électronique, et interrogé sur la faisabilité de la mise en place d’un tel écosystème dans une grande ville française. Ce Suèdois particulièrement créatif a travaillé en 2010-2011 dans une agence d’architecture parisienne.
Qualité de l’eau
Le serpent solaire empêche l’eau de pluie de ruisseler sur les routes. « La pollution d’origine routière, liée aux émissions du moteur à l’échappement, à l’usure des véhicules, de la chaussée et des équipements de la route, constitue une pollution chronique qui affecte directement l’environnement de proximité via les eaux de ruissellement et les dépôts atmosphériques secs et humides » souligne une étude publiée dans la revue Vertigo. « Les milieux impactés sont les hydrosystèmes superficiels et/ou souterrains, l’atmosphère, les sols et les végétaux qu’ils supportent. » Là encore, les conséquences économiques sont lourdes.
Grâce au serpent solaire non seulement l’eau n’est plus polluée, mais en plus elle peut être collectée, stockée, et ainsi être utile pour les activités agricoles du voisinage. Avec en outre une contribution à la réduction des risques d’inondation.
Réduction de la pollution sonore et sécurité routière
Le serpent solaire a encore une autre qualité : il empêche la propagation des ondes acoustiques. La pollution sonore peut lourdement affecter la santé et la qualité de vie des riverains des routes. Avec des conséquences physiques et/ou psychologiques (stress, dépression, violence conjugale, fatigue, arrêts de travail) pour les hommes et les femmes qui les subissent. Le coût économique est lourd. Les nuisances sonores ont également un impact sur la biodiversité. Certaines espèces d’oiseaux y sont par exemple très sensibles.
Protégeant du soleil et de la chaleur, et ainsi de la fatigue au volant, la peau du serpent peut vous sauver la vie ! Il évite de plus les éblouissements ainsi que l’usage des essuie-glaces. Empêchant la pluie de tomber sur la route, il prévient les aquaplanings mortifères ainsi que l’accumulation de neige verglaçante. L’hélio-reptile peut ainsi éviter de nombreux morts et blessés chaque année. Un tué sur la route coûte 1,2 million d’euros, selon l’Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière (2007).
Un support à l’innovation
En continuité de la dynamique lancée par Emmanuel Macron, Ministre de l’économie, des bus électriques autonomes (sans chauffeur), équipés d’un pantographe (ce qui permet de réduire de façon massive la taille de la batterie), pourraient ainsi être guidés par le serpent solaire et traverser la France entière. Le low-cost est bien sûr apprécié des voyageurs, et rouler sous une aile solaire qui capte en direct l’énergie de notre étoile permet de vivre l’expérience Solar Impulse des aventuriers suisses Bertrand Piccard et André Borschberg.
Des superchargeurs de type Tesla pourraient également être installés au niveau des aires de repos, en symbiose avec le serpent photonique, afin d’offrir de l’électricité photovoltaïque gratuite (avec éventuellement un soutien de l’état) aux véhicules électriques pratiquant le covoiturage de type BlaBlaCar.
Avec le serpent solaire, plus besoin d’installer de lampadaires pour l’éclairage (il suffit d’installer les lampes directement sous la peau du serpent), ni de supports de panneaux de signalisation routière, ni même de pylones de lignes à haute tension (y compris HVDC). Une économie appréciable pour RTE et ERDF.
Des haies placées de chaque côté du serpent solaire permettront de le rendre complètement invisible dans le paysage tout en améliorant encore davantage son bilan carbone.
« Comme un arbre (solaire) dans la ville » (Forestier)
Les garagistes ne voient pas d’un très bon œil l’arrivée de la voiture électrique. Car elle demande très peu de réparations : beaucoup moins de pièces mobiles qu’avec un moteur thermique qui par ailleurs s’encrasse. De même, il n’est pas certain que le concept de serpent solaire, redoutablement efficient, séduise les producteurs de graviers, de bitumes, d’enrobés et de peintures routières, ainsi que les sociétés de maintenance des routes. En effet le serpent solaire conduit à réduire leur marché. En l’état actuel, l’obsolescence des routes est programmée. Mais le serpent solaire change l’équation !
Colas, filiale de Bouygues, a présenté lors de la COP21 à Paris (et aussi au Consumer Electronic Show de las Vegas, février 2016) le concept Wattway consistant à coller des panneaux solaires sur une route qui, au préalable, doit impérativement être recouverte d’un enrobé haute qualité neuf. Dans la rubique FAQ du siteWattwayByColas.com on peut en effet lire: « Les surfaces pouvant accueillir des dalles Wattway devront être enrobées et récentes. Elles ne devront pas présenter de fissures, d’orniérages, de déformations, ni contenir de l’amiante, et elles devront répondre à un cahier des charges technique et commercial. » Bref, Colas veut vendre de l’enrobé. Normal, c’est son business.
Par contre c’est le devoir de l’état français, qui fonctionne grâce à l’argent des contribuables, d’inscrire sa stratégie dans une perspective d’intérêt général et donc de développement vraiment durable (Charte de l’environnement, Constitution française). Et donc de ne surtout pas laisser ses choix influencés par les intérêts privés de grandes entreprises. Même si ces dernières sont des mécènes de la COP21.
Le concept de Solar Serpent porte non seulement la promesse d’une production solaire à haute efficacité et à impact surfacique nul, mais aussi de réduire de manière significative le coût des autoroutes en augmentant leur durée de vie et en réduisant les coûts de maintenance. Les gestionnaires d’autoroutes pourront ainsi baisser leurs tarifs, attirer davantage de clients et ainsi augmenter la rentabilité de leur investissement tout en réduisant son impact écologique et sanitaire. Grâce à l’efficience du serpent solaire les autoroutes pourraient même devenir gratuites les week-ends, un désir de la Ministre de l’écologie !
L’autoroute du soleil
Le bout du tunnel. Et si on commençait par l’autoroute dite « du soleil » pour monter cette superbe tente solaire ? Le serpent de la tentation ! Très empruntée lors des départs et retours de vacances estivaux, avec des embouteillages durant ces périodes, les automobilistes apprécieront l’ombre offerte par les cellules PV de ce Jörmungand des temps modernes. 1000 kilomètres de routes solaires vraiment écologiques ? C’est possible ! Il manque juste la volonté politique. Mais comme le dit si bien Al Gore, les politiciens, ils sont recyclables.
Solar Serpent, joli nom. Il apparaît sur la pyramide maya de Chichen Itza à l’équinoxe. Le sendero luminoso des mythes pré-incas de l’actuel Pérou. Un sentier…lumineux !
Le solaire PV sera la technologie centrale du mix électrique mondial de demain. Il est donc très important de ne pas commettre d’erreur stratégique dans ce domaine clé. Car cela serait alors comme donner un coup de poignard dans le coeur de la révolution solaire. Tout euro gaspillé dans une technologie inefficente c’est un euro en moins pour investir dans des solutions éco-intelligentes. Et les capacités d’investissement, comme par exemple en Inde, constituent le seul frein à l’énorme déferlante solaire qui ne fait que commencer.
Par Olivier Daniélo
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