Les projets de villes intelligentes se multiplient à travers le monde. Deux modèles sortent du lot pour leur… excès. Ceux reposant sur l’exploitation excessive des données personnelles comme aux États-Unis et ceux instaurant une surveillance ciblée en Chine. Entre les deux, l’Europe tente de placer son modèle reposant sur le respect de la vie privée.
Le marché́ mondial des investissements liés aux villes intelligentes devrait dépasser les 2 000 milliards de dollars dans le monde en 2026, selon le rapport « Marché des villes intelligentes : croissance, tendances, impact du Covid-19 et prévisions (2023- 2028) » du cabinet d’analystes indien Mordor Intelligence.
« La prise de conscience croissante et l’importance accordée à un environnement sain avec une consommation d’énergie minimale stimulent rapidement la croissance du marché. L’exploitation de nouvelles technologies telles que les nanotechnologies, l’IA, l’Internet des objets (IoT), le cloud et les données ouvertes sont les moteurs de la croissance du marché mondial », peut-on lire dans le rapport « Smart City Market Size, Share, Growth Report 2030 » de Zion Market Research.
L’Amérique du Nord est la région qui génère le plus de revenus au niveau mondial. L’Asie-Pacifique est le second marché à forte croissance. Entre les deux, l’Europe tente de trouver sa voie sans se référer à ces deux imposants marchés souvent décriés pour leur excès.
À l’ouest, les smart cities créées dans de nombreuses villes (Los Angeles, San Francisco, Santa Cruz, Seattle, Austin, Toronto…) allient modélisation algorithmique, optimisation de la gestion des grandes fonctions urbaines, mais aussi police prédictive…
Big Brother
Ce modèle est décrié́ pour son usage massif de données personnelles, récoltées et exploitées par des acteurs privés. « Le projet de ville de futur de Google à Toronto est bluffant d‘un point de vue technologique, mais c’est l’archétype du quartier entièrement automatisé et aseptisé », souligne Jacques Priol (président fondateur du cabinet CIVITEO) qui a travaillé pour la ville de Toronto.
À l’est, la Chine et ses smart cities sont autant de zones hypersurveillées. À titre d’exemple, 45 000 caméras d’Hikvision (l’un des principaux fournisseurs de solutions IoT au monde, mais surtout un poids lourd de la surveillance, version Big Brother) ont été déployées en 2018 dans la ville de Xi’an. Ces investissements d’environ 125 millions de dollars visent à concrétiser les projets de surveillance Skynet et Sharp Eyes.
L’Europe ne veut pas de ces excès (ne parlons pas non plus des projets gigantesques du Moyen-Orient…). D’où des projets diamétralement opposés à ceux des villes américaines. Par exemple, la France compte un peu plus de 300 projets de smart city. Ils ont été créés aussi bien dans des métropoles que dans de petites et moyennes villes, y compris en territoire rural.
Leur point commun ? Selon le scoring du cabinet Xerfi concernant les programmes initiés par les 100 premières villes françaises, « les élus se tournent vers les projets aux effets les plus tangibles pour les populations. Ils privilégient des solutions innovantes pour améliorer par petites touches les services publics du quotidien au détriment des mégaprojets tout connectés ».
Des POC et encore des POC
Car le soufflé est un peu retombé malgré un foisonnement de technologies plus ou moins matures et la volonté des gros industriels de disposer de « terrains de jeu » pour mener des expérimentations dont certaines sont financées à hauteur de 80 à 90 % par l’Europe ou les régions. Mais beaucoup de projets ne dépassent pas le stade du POC (proof of concept).
« Il y a un écart énorme entre ce qu’on nous avait annoncé il y a 4-5 ans (la smart city serait la diffusion extrêmement rapide de projets pilotés par la data) et ce qui se passe aujourd’hui. Des milliards d’euros avaient été annoncés. Nous en sommes très loin, car décider de passer d’un mode de gestion traditionnelle des services urbains – ce qui n’a rien de péjoratif – à un mode géré par les outils numériques, c’est d’abord une décision politique », souligne Jacques Priol.
« Forte de sa législation sur la protection des données personnelles et d’une stratégie de régulation du numérique, l’Europe veut croire, avec quelques autres pays du globe, à l’émergence d’un modèle de ville dans lequel intelligence rime avec intérêt général, bien-être des habitants, souveraineté technologique et production de biens communs », peut-on lire dans le rapport de l’Ifri, principal centre indépendant de recherche, d’information et de débat sur les grandes questions internationales.
Rédigé par Jacques Priol, cité plus haut, et Joé Vincent-Galtié consultant au sein du même cabinet, ce rapport rappelle qu’en Europe, « les projets de territoire intelligent se déploient obligatoirement en conformité avec le RGPD. L’un des principes fondateurs du règlement est celui du consentement à la collecte des données personnelles ».
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