« Sentir le danger »… est-il possible que, derrière l’expression populaire, se cache une certaine forme de vérité scientifique ? Il était jusqu’à présent communément admis que l’on pouvait être effrayé par une odeur – comme celle, caractéristique, du tétrahydrothiophène, pour déceler d’éventuelles fuites de gaz – uniquement après que l’information soit traitée par notre cerveau. Pourtant, un groupe de scientifiques de l’université Rutgers, dans le New-Jersey, a fait une découverte pour le moins surprenante : en étudiant le fonctionnement du système olfactif d’un panel de souris, les chercheurs se sont rendus compte que la réaction de peur pouvait arriver au niveau sensoriel, au tout début de la chaîne de perception, avant même que le cerveau n’ait l’opportunité d’associer odeur… et danger potentiel.
L’étude, publiée dans le magazine Science, laisse entendre que « l’apprentissage de la peur » n’impliquerait pas uniquement certaines zones du cerveau, mais que le système nerveux pouvait être extrêmement sensible aux stimuli menaçants, et que cet apprentissage pouvait « affecter les signaux allant des organes sensoriels aux aires du cerveau concernées », selon John McGann, professeur en neurobiologie comportementale et en neurobiologie des systèmes à l’université Rutgers.
John McGann, épaulés par Marley Kass et Michelle Rosenthal, toutes deux étudiantes, sont parvenus à leurs fins en conditionnant un premier groupe de souris, associant systématiquement une odeur spécifique à un choc électrique à la patte. À la grande surprise des neurobiologistes, cette odeur pouvait engendrer chez les individus du groupe de souris conditionnées une réponse jusqu’à quatre fois plus intense des neurones olfactifs, avant même que le message ne soit acheminé aux neurones du cortex cérébral.
L’observation fut rendue possible en se ménageant un minuscule hublot d’observation percé… dans le crane des petits rongeurs, sous anesthésie. Les souris étaient génétiquement modifiées, afin de permettre aux neurones olfactifs de synthétiser un composé nommé synapto-pHluorine, ayant la propriété de s’accrocher aux vésicules renfermant les neurotransmetteurs et de devenir fluorescent lorsqu’il est relâché dans une synapse, comme l’explique le journaliste Guillaume Jacquemont. « Ainsi, plus les neurones olfactifs envoient d’influx, plus le nombre de neurotransmetteurs relâchés est grand et plus la fluorescence observée dans le bulbe olfactif est importante », ajoute-t-il.
Cette étude nous donne quelques pistes sur l’influence des souvenirs traumatisants sur nos sens, souvenirs allant jusqu’à modifier le fonctionnement des neurones sensoriels, décloisonnant ainsi le siège de la peur du seul cerveau. Elle pourrait également nous aider à mieux comprendre les mécanismes impliqués dans certains troubles de l’anxiété, comme les stress post-traumatiques, où le sentiment de peur et d’appréhension subsiste bien que le danger ne soit plus présent. En première ligne, ces stress post-traumatiques vécus par certains soldats de retour de mission, qui peuvent être déclenchés par le bruit pétaradant ou l’odeur d’un pot d’échappement.
Prochaine étape : déterminer si le processus de conditionnement rendant les souris hypersensibles à certaines odeurs « menaçantes » peut être inversé, ce qui pourrait constituer un premier pas vers de nouveaux traitements thérapeutiques de la peur et des troubles de l’anxiété.