La corrosion, phénomène par lequel les composants et les structures métalliques perdent leur fonctionnalité en raison de l’interaction avec l’oxygène, l’eau et le sel du milieu environnant, est un phénomène presque toujours ignoré par la plupart des gens. C’est tout à fait normal, car, à moins d’être propriétaire d’un bateau, par exemple, on n’a généralement pas l’occasion d’en ressentir les effets au quotidien, du moins pas directement.
*Adaptation de l’article du Prof. Gareth Hinds publié dans Science in Parliament, Vol. 80, No. 3, Winter 2024, p17.
Le Prof. Gareth Hinds, National Physical Laboratory (Royaume-Uni), est Président de la WCO (World Corrosion Organisation – Organisation mondiale de la corrosion), et ancien président de l’Institut of Corrosion (Royaume-Uni)
En réalité, la corrosion impacte chacun d’entre nous, bien plus que nous ne le pensons. Plusieurs études détaillées ont montré que le coût moyen de la corrosion pour l’économie mondiale s’élève à environ 3,4 % du PIB**, et cela principalement en raison de l’augmentation des coûts de maintenance et d’inspection, du remplacement des composants défectueux et des temps d’arrêt opérationnels imprévus[1].
Pour la France, cela représente un coût total d’environ 100 milliards d’euros ; une perte financière dont la répercussion se traduit sous la forme d’une hausse des prix des biens et des services, sans oublier les désagréments supplémentaires liés aux retards de transport, aux interruptions d’approvisionnement, à la pollution environnementale et aux risques liés à la sûreté et à la sécurité.
Ne restons cependant pas sur ce constat. On estime que ces coûts pourraient être réduits jusqu’à 35 % si l’on mettait en œuvre les pratiques de contrôle de la corrosion connues et prévues[1]. Cela permettrait à la France d’économiser plus de 35 milliards d’euros chaque année. Il convient de noter que ces économies potentielles représentent plus que le déficit de l’assurance maladie prévu en France pour 2025[2].
Alors, pourquoi une telle réticence, tant dans le secteur public que privé, à profiter de ces énormes économies ?
Tout d’abord, le public n’est pas suffisamment sensibilisé à l’impact économique majeur de la corrosion et à l’importance de stratégies de gestion efficaces. Le plus souvent, les propriétaires d’actifs qui sont conscients du problème ont tendance à considérer la protection contre la corrosion comme un coût inévitable plutôt que comme un investissement.
Puis, il faut essayer de trouver un compromis entre court terme et long terme. Les grands projets d’infrastructures, généralement, mettent en jeu des équipes d’investissement et des équipes opérationnelles. Les premières sont incitées à construire l’actif dans les délais et au moindre coût, laissant les secondes se débattre avec les problèmes de maintenance qui en découlent une fois l’actif en service. Cela se traduit souvent par des coûts du cycle de vie de l’infrastructure, nettement plus élevés que ceux qu’ils auraient dû en être si une stratégie appropriée de gestion de la corrosion avait été intégrée dès la phase de conception.
Enfin, la plupart des professionnels de la corrosion ont tendance à se limiter au domaine technique qui les concerne, sans se sentir réellement concernés par les systèmes financiers et de gestion plus vastes. Cette mise à l’écart n’incite pas les directions à définir des stratégies de gestion de la corrosion, pas plus qu’à créer des opportunités ou prendre des décisions commerciales en la matière, dont elles tireraient profit.
La première étape pour résoudre ces difficultés est de sensibiliser le grand public, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles l’Institut de la corrosion britannique (Institute of corrosion, ICorr)[3] a organisé en 2024 une discussion avec le Comité britannique parlementaire et scientifique sur ce sujet. Il est juste de dire que tous ceux qui ont assisté à la réunion ont été frappés non seulement par l’ampleur de l’impact économique de la corrosion, mais aussi par le fait que tant de personnes sont dans l’ignorance complète du problème.

En France, le Cefracor, Centre Français de l’AntiCorrosion regroupe les acteurs français de la corrosion, mais la sensibilisation à la corrosion est une problématique mondiale et, à ce titre, elle doit être abordée au niveau international. C’est pourquoi le Cefracor comme l’ICorr adhèrent à la WCO (World Corrosion Organization ou Organisation mondiale de la corrosion)[4]. Plus encore, leurs membres ont présidé la WCO (Damien Féron entre 2019 et 2022 et Gareth Hinds de 2022 à 2025).
La WCO est une organisation non gouvernementale des Nations-Unies. C’est un organisme caritatif à but non lucratif dont la mission est de promouvoir l’éducation et les meilleures pratiques en matière de contrôle de la corrosion au profit de la société, en garantissant la conservation des ressources et la protection de l’environnement. Cette mission est particulièrement pertinente à la lumière des défis mondiaux tels que le changement climatique, la raréfaction des ressources naturelles et la pollution de l’environnement.
Les membres de la WCO sont des organisations du monde entier qui s’intéressent à la corrosion, y compris des sociétés professionnelles telles que le Cefracor, des instituts de recherche travaillant sur des technologies connexes et des entreprises émanant d’un éventail de secteurs industriels.
La WCO vise trois objectifs principaux
- Communiquer sur la façon dont les objectifs de développement durable des Nations-Unies (ODD)[5]peuvent être améliorés grâce aux meilleures pratiques en matière de protection contre la corrosion.
- Sensibiliser le public à l’importance de la lutte contre la corrosion par le biais de la Journée mondiale annuelle de sensibilisation à la corrosion, qui se tient chaque année le 24 avril, et à travers d’autres activités.
- Faciliter l’influence des décideurs politiques sur la prise en compte de l’utilisation durable des matériaux dans une économie circulaire.
Les 17 objectifs de développement durable des Nations-Unies représentent un élément essentiel du Programme de développement durable à l’horizon 2030[6], qui a été adopté par tous les États membres des Nations-Unies en 2015. La protection contre la corrosion jouera un rôle clé pour atteindre un certain nombre de ces objectifs, en particulier, ceux qui suivent :
- ODD 6 : Eau propre & assainissement
- ODD 7 : Énergie abordable & propre
- ODD 9 : Industrie, innovation & infrastructure
- ODD 11 : Villes et collectivités durables
- ODD 12 : Consommation & production responsables
- ODD 13 : Action pour le climat.
Par exemple, l’allongement de la durée de vie des installations et des infrastructures, grâce à la mise en œuvre de pratiques exemplaires en matière de gestion de la corrosion, peut réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre associées à la fabrication des matériaux et à la construction des composants, la demande de matières premières essentielles et le besoin d’intervention humaine tout au long de la vie des actifs ; elle permet aussi d’ assurer l’approvisionnement ininterrompu en eau potable et en énergie. Ainsi, durabilité et protection contre la corrosion sont intimement liées.

La WCO est étroitement liée aux Nations-Unies par l’intermédiaire de ses jeunes représentants aux Nations-Unies[7] basés à l’Université Lehigh de Pennsylvanie, États-Unis. Ces ambassadeurs dévoués contribuent à préconiser les meilleures pratiques en matière de contrôle de la corrosion et à promouvoir la sensibilisation à la corrosion au niveau mondial. La WCO travaille actuellement à la publication d’un livre blanc des Nations-Unies sur la corrosion pour soutenir ces objectifs, avec la participation des membres de l’ICorr.
La Journée Mondiale de Sensibilisation à la Corrosion, journée internationale affiliée à l’ONU et célébrée chaque année le 24 avril, constitue un autre élément clé de la mission de la WCO. Pour célébrer cette Journée, la WCO, en collaboration avec l’Association pour la Protection et la Performance des Matériaux (APPM, États-Unis)[8] et la Fédération Européenne de la Corrosion (EFC pour European Federation of Corrosion)[9], a coordonné une campagne de 24 heures sur les réseaux sociaux, le 24 avril 2024, qui a remporté un franc succès et sera renouvelée en 2025.
De la Nouvelle-Zélande à Hawaï, les sociétés membres à travers le monde entier ont publié sur les réseaux sociaux des messages relatifs à la corrosion à 8 heures, heure locale. Le thème général portait sur les structures iconiques et l’utilisation d’images associées était encouragée, bien que les personnes aient été libres de publier tout ce qui se rapportait à la corrosion. Les messages étaient liés à l’hashtag #CorrosionAroundTheClock et partagés pour renforcer la publicité de la Journée Mondiale de Sensibilisation à la Corrosion, générant ainsi plus de 8 millions d’impressions sur les réseaux sociaux.
L’objectif de ces activités est de faire passer le message de l’importance de la protection contre la corrosion au-delà de la communauté traditionnelle des spécialistes de la corrosion et davantage auprès du grand public. Des projets sont déjà en cours de discussion pour une campagne encore plus importante à l’occasion de la Journée Mondiale de Sensibilisation à la Corrosion 2025, en incluant cette fois les médias traditionnels, tels que la télévision et les journaux.

Une prise de conscience générale de l’importance de la corrosion peut contribuer à faire évoluer les mentalités dans les projets d’infrastructures, en ne prenant pas en compte uniquement les dépenses d’investissement et d’exploitation, mais aussi celles liées aux coûts du cycle de vie complet des installations. Cette approche est cohérente et opportune à l’heure où le monde évolue vers une économie circulaire en réponse aux défis liés à l’approvisionnement en matières premières, aux émissions de gaz à effet de serre associées à leur traitement et à leur fabrication, et aux pressions liées à la gestion des déchets. Une intégration plus efficace de la protection contre la corrosion dès la conception permettrait de réaliser des économies substantielles sur toute la durée de vie de l’actif.
Autrement dit, il pourrait être envisagé d’intégrer plus efficacement les meilleures pratiques en matière de protection contre la corrosion dans les codes et normes industrielles des secteurs concernés. Entre autres options on peut citer, par exemple, la spécification de la mise en œuvre de stratégies de gestion de la corrosion tout au long du cycle de vie dans les codes du bâtiment et l’obligation de formation et d’accréditation formelles des applicateurs de revêtements et des ingénieurs en protection cathodique travaillant sur des projets d’infrastructure.
Les compétences
Les compétences constituent un autre enjeu crucial. Au Royaume-Uni, cette histoire a plus de 200 ans et remonte aux travaux pionniers de Humphry Davy et Michael Faraday. Plus récemment, l’expertise acquise en exploitant le pétrole et le gaz de la mer du Nord, celle obtenue par l’exploitation des centrales nucléaires, l’importance du tissu industriel et le développement des nouvelles technologies plus respectueuses de notre environnement, confèrent à l’Europe un rôle d’acteur mondial dans le domaine de l’ingénierie de la corrosion ; il y a urgence à attirer davantage de jeunes dans le secteur pour maintenir cette position.
C’est le rôle d’organismes nationaux comme l’ICorr ou le Cefracor, mais encore plus d’organismes européens comme l’EFC qui vient de se doter d’un système de certification des programmes de formation en corrosion. Il convient que ces derniers soient orientés vers la pratique. Par exemple, pour les applicateurs de revêtements, les inspecteurs de revêtements et les ingénieurs en protection cathodique, il existe encore une lacune dans l’offre de formation de troisième cycle au Royaume-Uni.
La corrosion a toujours souffert historiquement du fait qu’elle n’est pas une discipline autonome, mais se situe à la croisée de la chimie, de la physique, de la science des matériaux et du génie civil, structurel ou mécanique. Il est nécessaire de songer à opérer des changements dans les programmes universitaires pour assurer un nombre suffisant d’ingénieurs diplômés en corrosion.
De même qu’il est devenu important de sensibiliser le public scolaire. Les institutions liées à la corrosion n’ont pas vraiment tenté cette approche jusque-là ; la raison principale est sans doute due au fait qu’il s’agit souvent d’organisations bénévoles avec des ressources limitées. Il serait peut-être bénéfique de s’associer à des praticiens expérimentés dans ce domaine pour combler cette importante lacune.
Compte tenu des enjeux contemporains, la protection contre la corrosion devrait encore augmenter dans les décennies à venir pour son un rôle primordial dans la transition énergétique. La corrosion est un facteur clé limitant la durée de vie de nombreuses technologies propres, telles que les éoliennes, les panneaux solaires, les batteries, les électrolyseurs d’eau et les conduites de CO2, pour lesquels les mécanismes de dégradation ne sont pas aussi bien compris et gérés que ceux des technologies conventionnelles à base de combustibles fossiles. La compréhension et l’atténuation de ces modes de dégradation faciliteront les réductions de coûts nécessaires, tout en permettant d’accélérer le déploiement à grande échelle de ces technologies.
Nous espérons que la prochaine fois que vous passerez sous un pont, vous serez beaucoup plus enclin à jeter un œil à la structure pour vérifier les signes révélateurs de corrosion !
Le Comité parlementaire et scientifique est un groupe parlementaire multipartite financé par les membres – pour plus de détails, consulter la page dédiée.
- Adresse enregistrée : 2nd Floor, 201 Great Portland St, London W1W 5AB, United Kingdom
- Président et contact enregistré : George Freeman MP FRSA email george.freeman.mp@parliament.uk
Ceci n’est pas une publication officielle de la Chambre des Communes ou de la Chambre des Lords. Elle n’a pas été approuvée par l’une ou l’autre Chambre ou par ses comités. Les groupes parlementaires multipartites sont des groupes informels de membres des deux chambres ayant un intérêt commun pour des questions particulières. Les opinions exprimées dans ce rapport sont celles du groupe.
** Il est à noter que les coûts additionnels liés au nettoyage environnemental et à la compensation financière ne sont généralement pas inclus et doivent donc être considérés comme un coût minimal.
[2] Le rapport de la Cours des comptes publié en octobre 2024
[3] Institute of corrosion (Institut britannique de la corrosion)
[4] World Corrosion Organization, WCO ou Organisation mondiale de la Corrosion
[5] Objectifs de Développement Durable des Nations-Unies
[6] Programme de développement durable des Nations-Unies à l’horizon 2030
[7] Jeunes Représentants de la WCO aux Nations Unies, Université Lehigh
[8] Association pour la Protection et la Performance des Matériaux (Association for Materials Protection and Performance, USA)
[9] Fédération Européenne de la Corrosion (EFC, European Federation of Corrosion)
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