L’avis de l’Ademe sur la neutralité carbone invite les entreprises à ne pas s’autoproclamer « neutres en carbone ». Celles-ci doivent avant tout participer à cet objectif mondial en réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre avant de recourir au levier de la compensation carbone. Entretien.
L’Ademe a récemment rendu un avis tranché sur « la neutralité carbone ». Face à la multiplication des engagements des organisations, l’agence a voulu identifier les contributions possibles des acteurs à cet objectif et aider à distinguer les ambitions réelles des effets d’annonce. L’Ademe estime que la neutralité carbone est une notion qui ne peut être définie qu’à l’échelle de la planète ou d’un État. Les autres acteurs ne peuvent ainsi ni devenir ni se revendiquer neutres en carbone individuellement à leur seule échelle. Ils doivent néanmoins mettre en place des stratégies climat ambitieuses et compatibles avec l’Accord de Paris et les politiques nationales. Fanny Fleuriot, animatrice comptabilité carbone à l’Ademe et auteure de l’avis, nous explique ce que cela implique.
Techniques de l’Ingénieur : Selon l’avis de l’Ademe, la neutralité carbone n’aurait de sens qu’à l’échelle de la planète ou d’un État, pourquoi ?
Fanny Fleuriot, animatrice comptabilité carbone à l’Ademe et auteure de l’avis : La neutralité carbone a un peu moins de sens à l’échelle d’un pays, mais il faut forcément passer par les États pour coordonner l’action à l’échelle de la planète. La France a un objectif de neutralité carbone. Il doit être atteint sans achat de crédit de compensation carbone à l’international, que cela concerne les émissions ou les puits, et avec une politique ambitieuse de réduction de notre empreinte environnementale. La France cherche aussi à réduire ses émissions indirectes induites dans les autres pays du monde. C’est cette triple association qui fait que cet objectif à l’échelle des États a du sens.
Pourquoi ne peut-on pas dire que l’on est « neutre en carbone » lorsque l’on est une entreprise ou une collectivité locale ?
Pour l’Ademe, l’idée d’être neutre en carbone à l’échelle d’une entreprise ou d’un territoire plus petit que le niveau national n’a pas de sens. Il faut que tout le monde s’engage pour atteindre cet objectif de neutralité au niveau mondial, voire national, mais sans forcément vouloir se l’appliquer à soi-même. L’expression « je suis neutre en carbone » devrait être bannie. Il faut plutôt que les entreprises expliquent comment elles contribuent à atteindre cet objectif mondial et partagent leurs objectifs pour y contribuer. Les actions à déployer passent par l’écoconception pour réduire l’impact des produits, en augmentant leur durée de vie et en réfléchissant à leur fin de vie. Elles doivent faire en sorte qu’un produit mis sur le marché consomme le moins d’énergie possible.
Il n’y a pas de définition commune au niveau international sur ce que la neutralité carbone signifie pour les entreprises. Il y a ainsi une très grande hétérogénéité des démarches et une très grande diversité d’objets qui sont présentés comme neutres en carbone : des entreprises, des événements, des produits, des services… On trouve même des pleins d’essence ou des vols d’avion neutres en carbone.
En termes de neutralité carbone, parle-t-on des émissions directes ou indirectes ?
Quand les entreprises réalisent leur bilan d’émission de gaz à effet de serre (GES), elles le font sur leurs émissions directes, celles qui ont lieu chez elles, et sur leurs émissions indirectes, celles qui ont lieu en dehors de chez elles, mais qui sont nécessaires à leur activité. Les émissions indirectes comprennent par exemple celles liées aux matières premières qu’elles achètent et aux émissions domicile-travail de leurs employés. Les émissions indirectes des unes sont les émissions directes des autres. Cette photographie globale permet à chaque entreprise d’agir sur ses émissions directes mais aussi d’engager sa chaîne de valeur pour avoir une démarche globale de réduction de ses émissions.
Lorsque les entreprises s’affichent « neutres en carbone », le périmètre des émissions considérées varie énormément selon les engagements. Est-on uniquement sur les émissions directes ou aussi sur les indirectes ? Considère-t-on l’intégralité du cycle de vie du produit, les émissions d’une année ou sa durée d’utilisation ? En plus, les démarches de neutralité n’imposent pas forcément d’ambition de réduction d’émissions. Est-ce que l’entreprise s’impose déjà une réduction de ses émissions avant d’aller sur de la compensation ? Ce n’est pas toujours le cas.
Pourquoi cette hétérogénéité pose-t-elle problème ?
Si l’on veut faire le cumul des démarches des différents acteurs qui atteignent la neutralité carbone, chacun des acteurs ne doit comptabiliser ses émissions de GES que sur ses émissions directes. Or, on sait très bien que, mis à part, les activités très émissives, les émissions indirectes représentent la part prépondérante des émissions, de l’ordre de 70 % pouvant aller chez certaines jusqu’à 99 %. Raisonner sur un périmètre qui ne ciblerait des actions que sur les émissions directes est donc largement insuffisant.
Même si l’on raisonnait sur les émissions directes et indirectes, il y aurait aussi une absence d’équité entre acteurs. Par exemple, les entreprises agroalimentaires ont de fait une activité qui comprend des processus de séquestration. Elles peuvent séquestrer du carbone directement au sein de leurs activités. À l’opposé, une entreprise qui n’a aucun patrimoine forestier ou terrestre devra recourir à de la compensation.
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