Basée à Bordeaux, la start-up Seaturns développe un système houlomoteur pour transformer l'énergie produite par les vagues en électricité à un prix compétitif. Elle vient de débuter des essais en mer d'un démonstrateur sur un site de l'Ifremer à l'entrée de la rade de Brest. Rencontre avec le chef de projet de cette entreprise.
Les vagues naissent à la surface de la mer sous l’effet du vent. Plus elles parcourent de longues distances et plus l’énergie contenue dans la houle est importante et devient intéressante à exploiter. De nombreuses entreprises à travers le monde tentent de développer des systèmes pour valoriser cette énergie houlomotrice et la transformer en électricité. En France, la start-up Seaturns, créée en 2015, développe un procédé original et teste en ce moment un démonstrateur en mer sur un site de l’Ifremer. Elle vient aussi d’être lauréate du concours d’innovation i-Nov, porté par Bpifrance et l’ADEME, et qui vise à soutenir l’émergence accélérée d’entreprises ayant le potentiel pour devenir des leaders d’envergure mondiale dans leur domaine. Chef de projet de cette entreprise, Gabriel Canteins nous parle de la technologie houlomotrice développée par Seaturns.
Techniques de l’Ingénieur : Quelles sont les difficultés à surmonter pour exploiter l’énergie de la houle ?
Gabriel Canteins : En plus de l’aspect technologique à prendre en compte, il faut aussi s’assurer de faire la preuve commerciale du procédé développé. Dans le passé, certaines entreprises sont allées trop vite sur la recherche d’une maturité technologique au détriment d’une maturité économique, et cela s’est traduit par des échecs commerciaux. C’est le cas par exemple du « grand serpent de mer rouge » conçu par l’entreprise écossaise Pelamis, qui avait développé une technologie phare dans les années 2000, mais qui a fait faillite en 2014. Cette difficulté à rendre compétitif le coût moyen de production de l’électricité produite par la houle explique le fait qu’il n’y ait de réelles fermes commerciales installées dans le monde, ni de technologies dominantes actuellement. À présent, la filière travaille différemment et donne de l’importance à l’aspect technologique, mais aussi économique. De notre côté, dès 2018, nous avons demandé à l’École centrale de Nantes de réaliser une étude économique de notre procédé, en reprenant la méthode mise au point par le National Renewable Energy Laboratory (NREL), un laboratoire américain.
Décrivez-nous le principe technologique de votre procédé ?
Nous développons un système de flotteurs de forme cylindrique de 6 mètres de diamètre et 14 mètres de long. Nous installons le flotteur parallèlement à la ligne de crête des vagues, en tenant compte de la direction dominante de la houle, et cherchons à exploiter le déplacement horizontal induit par la houle, c’est-à-dire d’avant en arrière.
Les flotteurs sont maintenus par deux câbles en forme de pattes-d’oie qui viennent s’enrouler sous les flotteurs et qui sont reliées au fond de la mer par deux ancres. Ce système breveté est au cœur de notre procédé et contrôle le déplacement horizontal du flotteur pour l’obliger à effectuer une rotation sur lui-même de 30 à 60 degrés. Il est important que ces câbles d’ancrage soient tendus pour convertir le cavalement, c’est-à-dire le déplacement horizontal induit par la houle, en tangage, c’est-à-dire par une rotation du flotteur autour de son axe.
À l’intérieur du flotteur, nous introduisons de l’eau dans la partie basse pour constituer un pendule d’eau. La partie haute est quant à elle remplie d’air et séparée par une cloison verticale. Grâce aux mouvements cycliques d’oscillation du flotteur, nous parvenons à générer des cycles de compression et de détente dans les deux chambres remplies d’air et qui communiquent entre elles à l’aide d’un conduit. Ce flux d’air alternatif fait tourner une turbine à air, qui elle-même entraîne un alternateur qui produit de l’électricité.
En quoi votre système est-il innovant ?
Notre technologie repose sur le principe de la colonne d’eau oscillante et produit de l’énergie grâce à une quantité d’eau qui pousse une colonne d’air et fait tourner une turbine. Ce principe n’est pas nouveau. L’innovation est de l’avoir intégrée dans un système flottant fermé. Le fait qu’il soit fermé nous permet d’introduire de l’eau douce à l’intérieur et d’éviter tous les problèmes liés à la corrosion de l’eau de mer salée.
Ensuite, notre système est flottant, ce qui signifie que l’on peut l’installer n’importe où en mer. Nous nous différencions ainsi de certains systèmes concurrents qui sont par exemple obligés de se fixer sur des digues. Cette contrainte limite d’office le potentiel exploitable de l’énergie de la houle.
Un autre point innovant concerne la masse. Notre flotteur à vide pèse entre 30 et 40 tonnes tandis que le poids de l’eau douce à l’intérieur avoisine 100 tonnes. Cela signifie qu’une grande partie de la masse vient de l’eau, un liquide quasi gratuit, ce qui nous procure un avantage compétitif et nous différencie notamment de certains systèmes extrêmement lourds construits en béton.
Enfin, nous avons conçu un système flottant très simple, très compact et très robuste. Il n’y a aucune pièce en mouvement à l’extérieur du flotteur et la seule pièce en mouvement à l’intérieur est la turbine. Notre dispositif n’utilise aucun piston, crémaillère, butée de fin de course, poulie ou courroie. Cette conception très simple nous assure une meilleure survie à long terme et une maintenance réduite de notre procédé.
Quelle est la puissance délivrée ?
La puissance de chaque flotteur est de 200 kW, mais notre objectif est d’en installer plusieurs sur la même ligne d’ancrage pour augmenter la puissance disponible. L’intérêt est également de minimiser l’impact sur le fond de l’océan, puisqu’avec seulement deux ancres, il est possible d’installer plus de 10 flotteurs ensemble. On réduit aussi l’emprise maritime, car on peut installer les flotteurs de manière proche, à quelques dizaines de mètres les uns des autres. L’énergie de la houle est une énergie d’onde et non de flux, comme c’est le cas pour le vent. Il n’y a donc pas d’effet négatif du sillage comme avec les éoliennes et on peut rapprocher les flotteurs entre eux sans déstructurer la houle. Nous observons même des mécanismes d’interaction positive entre flotteurs, car ils sont tous maintenus sur la même ligne d’ancrage et les transmissions d’efforts vont venir amplifier la captation d’énergie.
À quel stade de développement se trouve votre projet ?
Nous avons déjà réalisé plusieurs essais de modèles réduits de nos flotteurs dans des bassins au Danemark, au Portugal, en Espace et en France (à l’École centrale de Nantes). Nous venons de commencer une phase de test d’un démonstrateur en mer sur un site d’essais de l’Ifremer situé à l’entrée de la rade de Brest. Cette expérimentation va durer jusqu’à l’été prochain et doit nous permettre d’amener notre technologie à un niveau de maturité technologique de niveau 6, sur l’échelle TRL (Technology Readiness Level) qui en compte 9.
La pré-commercialisation de notre système doit débuter en 2026 sur un marché de niche, celui des îles non raccordées au réseau continental, qui ont des besoins d’électricité et qui sont pour l’instant principalement alimentées par des groupes électrogènes. Notre objectif est de pouvoir ensuite très rapidement cibler le marché des réseaux continentaux pour répondre à certaines activités électro-intensives comme le dessalement de l’eau de mer ou la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau.
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