La création de communautés virtuelles est une pratique importante, mais souvent sous-estimée, de la conception d'un réseau social d'entreprise.
Elle permet en effet de développer les infrastructures et technologies de communication existantes des organisations, et de promouvoir leur culture. Cette pratique est à l’opposé du principe « construisez, et les gens viendront » : la création de communautés virtuelles nécessite une planification réfléchie et une optimisation permanente du réseau, afin de faire de cette plateforme communautaire un outil utile et opérationnel respectant les méthodes et habitudes de travail propres à chaque entreprise et à ses salariés. Ce n’est pas une tâche facile, mais les résultats valent bien l’investissement de temps consenti.
Un des éléments clefs que doit prendre en compte pour la création de communautés virtuelles est la participation, et, plus particulièrement, le phénomène de l’observation exclusivement passive (le badaudage, ou l’exploration de contenu de plateformes en ligne par des membres ne contribuant jamais à leur animation ou aux échanges) sur les réseaux sociaux. Lors de la phase de conception d’une communauté virtuelle à destination d’employés, il est essentiel de penser d’abord à ceux qui vont utiliser cet outil. Comment vont-ils s’en servir ? Dans quel but ? Quels changements son utilisation impliquera-t-elle dans leurs habitudes de travail quotidiennes ? En quoi cet outil améliorera-t-il leur expérience au travail et leur productivité ?
Il existe une vérité universelle lorsqu’on se lance dans la création de communautés virtuelles : les employés ne sont pas tous enclins à intégrer des réseaux sociaux, et ceux qui le feront ne publieront pas tous des informations. Cette problématique, liée à l’adoption d’un réseau social et à son utilisation « visible », et à laquelle doivent faire face les entreprises dans leur réseau, repose sur le principe des Inégalités de Participation. Ce concept décrit le fait que dans les communautés élargies réunissant de nombreux utilisateurs ou au sein des réseaux sociaux en ligne animés par les contributions spontanées, la plupart des utilisateurs ne prennent pas part aux échanges et se contentent d’observer en silence.
Généralement, on considère que ce phénomène suit la « règle des 90-9-1 » : 90% des utilisateurs sont des adeptes du « badaudage », c’est-à-dire des observateurs qui lisent et parcourent les réseaux sociaux, mais ne contribuent pas ; 9% contribuent de temps en temps, et 1% des utilisateurs représentent l’essentiel des publications sur le réseau.
Ces chiffres sont décourageants, en effet, en particulier pour l’équipe chargée de lancer une communauté censée transformer de façon radicale les modes de communication de l’entreprise. Pour une communauté d’utilisateurs potentiels de 10.000 employés dans une entreprise, il faut donc s’attendre à ce que 9.000 d’entre eux adoptent un comportement relevant essentiellement de l’observation, ce qui signifie qu’ils passeront de longues périodes à profiter des informations mises à disposition sans en produire, voire qu’ils n’en publieront peut-être jamais. Dans les faits, beaucoup de chercheurs estiment que le ratio observateurs/contributeurs s’élève à 100:1.
Il n’y a donc rien de surprenant à ce que les leaders et créateurs de communautés virtuelles s’inquiètent du fait que l’évolution de leurs propres réseaux suive le même schéma : le fait que les sources d’informations se réduisent à une poignée de personnes n’est de toute évidence pas un gage de l’intérêt ou de la viabilité d’un outil. D’après nos discussions avec bon nombre de clients, le partage plus rapide et l’accès simplifié aux informations pour les équipes opérationnelles sont les facteurs les plus importants pour inciter les utilisateurs à rejoindre un réseau social d’entreprise. Si les employés ne partagent pas d’informations (ce à quoi doivent servir les logiciels sociaux), les attentes des utilisateurs ne seront pas satisfaites. Le fait que la communauté ne soit pas aussi efficace qu’annoncé et que prévu peut engendrer un effet de désenchantement et provoquer une chute du taux d’utilisation.
Cependant, ce challenge représente également une opportunité
Les créateurs de communautés virtuelles doivent comprendre que les statistiques ordinaires concernant l’Inégalité de Participation ne constituent qu’une règle générale, et sont issues de réseaux sociaux n’ayant pas eu à intégrer d’autres facteurs liés à des différences sociales propres au lieu de travail (comme des formes de communication, des exigences professionnelles et des statuts sociaux variés). En transposant ce phénomène à un contexte concret au travail, la frontière entre contributeurs actifs et observateurs prend une toute autre forme : l’idée selon laquelle l’observation serait en réalité bénéfique devient valable. Le fait d’observer peut et doit être présenté aux employés comme un comportement utile, lorsqu’approprié, tout comme des tactiques tout aussi appropriées doivent être employées afin d’encourager l’apparition de contributions de valeur.
Les créateurs de communautés virtuelles tiennent une occasion de mesurer et de définir des objectifs afin d’utiliser la règle des 90-9-1 comme un point de départ pour évaluer le succès initial d’une communauté. Il n’existe pas de « bon » ratio entre observateurs et contributeurs, mais l’important est la valeur obtenue en continu par les individus et les effectifs.
C’est pourquoi nous recommandons qu’une partie d’un programme de création d’une communauté inclue la prise en charge d’un ensemble d’évaluations grâce à des enquêtes auprès des employés, afin de définir leurs attentes et de voir ensuite à quel point elles ont été satisfaites. Par exemple, une enquête pourrait être créée avant le lancement d’une communauté afin de s’enquérir des prévisions des utilisateurs quant à leur propre rôle probable (observateur, contributeur actif ou extrêmement actif), au sujet de la valeur que leur apporteront certaines activités (par exemple, la lecture, la publication, l’évaluation de contenus – j’aime – ou la publication de commentaires) ou de leur opinion au sujet des communautés sociales virtuelles en général (positive, négative, neutre).
À divers intervalles, au cours de la première année et plus tard, des enquêtes supplémentaires pourront être menées afin de comprendre comment les utilisateurs utilisent réellement le réseau, mais également de voir à quel point leurs attentes sont satisfaites. Les entreprises découvriront peut-être qu’elles ont un ratio observateurs/contributeurs élevé, mais que leurs observateurs trouvent la lecture des contributions extrêmement utile. À l’inverse, elles pourraient également découvrir que les utilisateurs sont principalement passifs, mais ne tirent qu’une faible valeur de leur exploration silencieuse : à ce stade, un revirement de stratégie s’avère nécessaire.
Attention : les créateurs de communautés virtuelles doivent éviter d’utiliser des indicateurs erronés pour évaluer le succès de leurs plateformes. Récemment, un grand groupe financier a soumis à notre service clientèle l’idée que pour un programme pilote de 90 jours, le « succès » serait de parvenir à 500 utilisateurs actifs et à la création d’au moins 50 groupes, et lorsque chaque membre appartiendrait à au moins 5 groupes et contribuerait à la hauteur d’au moins cinq publications par mois. Il s’agit d’un piège dans lequel on tombe facilement : les dirigeants soutenant un réseau social ont besoin de données et de critères de réussite solides. Cependant, l’utilisation de chiffres entiers, tout ronds, et l’existence d’activités tout aussi quantifiables peuvent sembler être une façon simple de « démontrer » la valeur d’un réseau social, mais ces indicateurs ne sont en réalité pas pertinents. La quantité de publications ne doit pas éclipser leur qualité, et la valeur qu’apporte la lecture et la prise des informations vaudra toujours mieux qu’un partage sans intérêt et machinal.
Par Carrie Young, directrice senior en charge du développement stratégique chez VMware
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