Le nouveau scénario de transition énergétique de l’Association négaWatt repose sur une évolution des comportements vers plus de sobriété mais également sur des technologies efficaces. Tour d’horizon de ses propositions.
Avec la 5e version de son scénario présentée fin octobre, l’Association négaWatt tente de prouver qu’il est possible d’arriver à la neutralité carbone d’ici 2050 sur l’ensemble des secteurs d’activité (bâtiment, transport, industrie, agriculture / alimentation). Le défi n’est pas mince puisqu’il s’agit de réduire suffisamment les émissions de gaz à effet de serre, de 450 MtCO2eq actuellement à environ 50 MtCO2eq à partir de 2047, pour que les puits de carbone naturels les absorbent entièrement. Elle propose un chemin de transition qui englobe toutes les consommations et productions d’énergie d’aujourd’hui jusqu’en 2050, grâce à une base chiffrée de tous les usages et de leurs évolutions année après année.
Les choix de sobriété (consommer moins et mieux) et d’efficacité (produire autant avec moins) du scénario négaWatt conduisent à une réduction de la consommation d’énergie finale, en 2050, de 53 % par rapport à 2019. Le bilan en énergie primaire est même meilleur (-64 %) puisque les ressources fossiles et fissiles (souvent avec de mauvais rendements) disparaissent du paysage énergétique à terme. Cette réduction de la demande est la pierre angulaire de la transition autant écologique que sociétale. L’Association fait d’ailleurs une série de recommandations pour que les politiques publiques soient orientées en ce sens.
Une nouvelle approche dédiée aux matériaux
Dans ce nouvel opus, négaWatt a approfondi son approche globale par une analyse des besoins en matériaux et par le calcul de l’empreinte matière et de l’empreinte carbone totale des Français, c’est-à-dire en incluant leurs importations de biens. Là aussi, la sobriété de consommation, l’économie circulaire (durée de vie plus longue des produits, possibilité de les réutiliser et de les réparer) et le recyclage conduisent à la diminution de consommation de l’ensemble des matériaux de base et de l’extraction de matières premières (-76 % pour le fer, -95 % pour le cuivre, -84 % pour le cobalt, -76 % pour le sable).
Cette nouvelle partie « négaMat » permet aussi d’identifier les filières où, en baissant les importations, on peut relocaliser des productions industrielles en France, par exemple dans le textile, la métallurgie, la mécanique, la chimie fine, les produits de base pour la pharmacie, les semi-conducteurs, l’électronique professionnelle, les emballages en papier-cartons.
Enfin, elle donne l’occasion de vérifier si la transition énergétique prônée dans ce scénario va mobiliser trop de matériaux. Comment définir « trop » ? Les experts de négaWatt, par souci d’équité entre pays, estiment que la France peut disposer au maximum de 1 % des réserves prouvées des matières premières dans le monde, puisqu’elle ne pèse que 1 % de la population mondiale. Leurs calculs montrent que ce quota, même avec beaucoup d’éolien et de solaire photovoltaïque, est rarement atteint. Les tensions apparaissent surtout pour le cuivre, et pour le lithium et le cobalt nécessaires aux batteries électrochimiques. Ces derniers frôlent la limite et obligent à une grande prudence sur le développement d’une mobilité tout-électrique : 30 % des voitures sont donc des hybrides électricité-BioGNV dans le scénario négaWatt en 2050 et les véhicules doivent jouer la sobriété en termes de poids et d’autonomie pour éviter d’avoir besoin de trop grosses batteries.
Quelles technologies privilégier ?
L’exemple précédent sur le transport montre que ce scénario repose sur des choix technologiques. Selon l’Association négaWatt, les technologies en phase avec les objectifs de développement durable de l’ONU sont privilégiées. Cela permet une diversité qu’on retrouve dans le mix énergétique proposé pour 2050 [voir à la fin de l’article]. Mais la porte n’est pas ouverte à des technologies comme le captage et le stockage de carbone, l’Association assumant un certain discernement sur les solutions innovantes, en fonction de leur maturité sur les échelles technologique, industrielle, environnementale et sociale.
Si le chemin proposé par négaWatt était mis en œuvre, quelles seraient donc les orientations techniques majeures ? On en retiendra sept principales qui sont autant de filières d’activités à développer.
1. Mobilité douce et transports en commun
En matière de transports, négaWatt mise sur un fort développement du vélo, des deux-roues motorisés et du train. Pas de révolution technologique, mais des infrastructures à adapter à cette réorientation des circulations, pour les voyageurs comme pour les marchandises. Des solutions intelligentes sont aussi à trouver pour booster le covoiturage, comme le fait par exemple la jeune entreprise Ecov.
2. Évolution des motorisations des véhicules vers l’électron et le méthane
En plus d’un gain en efficacité (réduction de 60 % de la consommation moyenne des voitures d’ici 2050), le scénario mise sur le remplacement des motorisations diesel et essence par de l’électrique et du bioGNV. Le biométhane est d’ailleurs le carburant n°1 pour les poids lourds (74 %). Les véhicules 100 % électriques se taillent la part du lion avec 67 % des voitures. L’hydrogène fait aussi partie des solutions mais à une échelle moindre (3 % des voitures et 14 % des poids lourds)
3. Rénovation et construction : large part aux matériaux biosourcés
En prévoyant un grand plan de rénovation performante des bâtiments, et en orientant les constructions neuves vers le petit collectif, négaWatt veut pousser la filière à changer ses habitudes. Cela passe aussi par un recours important aux matériaux à faible énergie grise (bois, terre crue, isolants biosourcés, etc.) pour lesquels les techniques peuvent s’améliorer.
4. Prédominance des pompes à chaleur dans le bâtiment
Pour le chauffage des bâtiments, le scénario prévoit que les chaudières gaz et les radiateurs électriques perdent leur première place actuelle au profit des réseaux de chaleur, de la biomasse (bûche, plaquettes et granulés) dans des appareils performants et des pompes à chaleur. Ces dernières représenteraient ainsi environ 50 % du chauffage en maison individuelle et logement collectif en 2050.
5. Électrification et décarbonation des process industriels
Pour gagner en efficacité, négaWatt prévoit comme dans ses précédents scénarios une électrification des chaudières et des process industriels (pompes à chaleur, induction, compression mécanique de vapeur, arc électrique). La part de la cogénération est aussi augmentée. L’utilisation d’hydrogène vert (voir ci-après) est plébiscitée pour décarboner la sidérurgie (réduction directe dans les hauts fourneaux) et pour former le méthanol nécessaire à la chimie.
6. Développement d’une filière « hydrogène vert »
Grâce à l’électrolyse de l’eau avec de l’électricité d’origine renouvelable, l’accès à de l’hydrogène vert est possible. Toute une infrastructure de production (voire de transport) va devoir se développer pour atteindre les 36 GW prévus par le scénario négaWatt. Quand on sait que le démonstrateur Jupiter 1000 a une capacité de 1 MW, cela veut dire le déploiement de milliers de sites d’électrolyse sur le territoire. Une fois recombiné avec du CO2, l’hydrogène permet d’avoir du méthane utilisable pour les transports ou stockable en prévision des besoins hivernaux.
7. Une énergie 100 % renouvelable
Après la sobriété et l’efficacité, le troisième pilier de négaWatt est le recours aux énergies de flux. Tout d’abord les bioénergies (biomasse solide et liquide et biogaz) qui nécessitent de développer en particulier la filière méthanisation (130 TWh en 2050) utilisant biodéchets, déjections d’élevages, cultures intermédiaires, herbe et résidus de culture. En énergie thermique, la géothermie double sa production entre 2019 et 2050, et le solaire thermique fait presque de même, pour arriver respectivement à 8,9 TWh et 2,1 TWh. Comme déjà dit, les pompes à chaleur sont très utilisées avec un quasi-décuplement de leur production d’énergie (73,5 TWh en 2050).
Du côté de l’électricité, l’éolien et le solaire deviennent les deux moyens principaux de production. La force du vent est utilisée tant sur terre (162 TWh en 2050) qu’en mer (65 TWh en offshore posé et 78 TWh en offshore flottant). Cette hausse se traduirait par un total de 18500 mâts sur terre (soit un doublement par rapport à 2021) et 3000 mâts en mer en 2050, quand l’Allemagne en compte déjà presque 30 000 actuellement rien qu’en terrestre ! L’offshore flottant pourrait d’ailleurs être un fer de lance industriel tricolore pour le marché intérieur et l’export, selon négaWatt.
Le solaire connaît aussi un ambitieux développement dans le scénario avec plus d’un doublement du rythme d’installation par rapport à aujourd’hui (4,5 GW/an contre 2 GW/an en 2021) en mélangeant ombrières de parking (15 TWh en 2050), petits systèmes diffus (28 TWh), grandes toitures plates (22 TWh), hangars agricoles (17 TWh), toitures orientées est-ouest (15 TWh) et parcs au sol (72 TWh).
D’autres technologies sont appelées à produire de l’électricité : l’hydraulique bien sûr (légère baisse de la production à cause des contraintes climatiques), l’hydrolien et un peu de géothermie haute température.
Il en résulte un mix de production diversifié.
Si le choix de l’abandon du nucléaire dans le scénario négaWatt (fermeture des centrales existantes entre 40 et 50 ans, non-démarrage de l’EPR de Flamanville, pas de nouveaux réacteurs) est l’objet de vives discussions, on voit par ce rapide panorama que l’analyse de l’Association est beaucoup plus vaste que le seul prisme de l’atome. Elle envisage de multiples solutions technologiques et prévoit des stratégies industrielles pour la transition, en lui associant d’ailleurs de nombreux bénéfices (création d’emplois, meilleure santé, lutte contre la précarité, protection de la biodiversité et des ressources en eau).
Tous les scénarios qui conduisent à limiter les rejets de CO2 sont respectables et contiennent souvent des bonnes idées mais les évolutions de comportement qu’ils demandent sont significatifs, sont ils réalistes ?
Techniquement, si équiper de panneaux solaires toutes les surfaces couvertes de grande taille semble être une bonne idée (on peut quand même se poser la question du bilan carbone si les panneaux viennent de Chine), on voit déjà poindre des oppositions virulentes en France pour l’implantation de nouvelles éoliennes. Les chiffres envisagés me paraissent ambitieux. Par ailleurs, sur ce point justement on peut toujours citer les Allemands en exemple mais il suffit de regarder sur électricitymap ( https://app.electricitymap.org/map), le bilan carbone pour la production d’électricité en Allemagne par habitant pour voir, qu’en dépits d’efforts colossaux sur les énergies renouvelables, le résultat est mauvais. Sans stockage de l’énergie ça ne peut pas marcher et même avec du stockage les surfaces à équiper conduiront à des tensions locales et il sera difficile de passer les journées les plus froides sans un apport provenant d’une autre source de production d’électricité, surtout si on généralise l’utilisation des pompes à chaleur.
Quid des pays en voie de développement qui sont bien éloignés de ces problématiques ? Il faudrait faire passer l’idée d’une régression sociale généralisée dans les pays riches pour permettre la croissance dans les pays pauvres, bon courage !
Restons optimistes cependant, peut être que la science nous apportera la solution !
L’approche de Négawatt basée sur la « sobriété » et des technologies qu’elle juge « efficaces » est séduisante. Mais elle a deux défauts majeurs qu’il faudrait prendre en compte :
– Cette sobriété n’est pas seulement obtenue par des progrès d’efficacité ou des pratiques de consommation plus vertueuses. Quand on promeut le transport en commun plutôt que la voiture individuelle, et en matière d’habitat le « petit collectif » au lieu de la maison individuelle, qu’on le veuille on non, c’est une régression sociale. Idem avec les énergies intermittentes qui ne sont aujourd’hui envisageables qu’en forçant à de la « flexibilité » notamment en acceptant de ne consommer de l’électricité que quand la météo le permet.
Donc SOCIALEMENT il y a régression.
– Les technologies proposées ont des inconvénients : les biocarburants monopolisent des terrains qui pourraient servir à l’agriculture, l’intermittence des sources électriques impose du stockage et les procédés envisagés, non matures, présentent des rendements rédhibitoires.
Donc TECHNIQUEMENT ça ne marche pas.
Ne pourrait-on pas rêver d’une société de développement durable, ne serait-ce que pour permettre à ceux qui n’ont pas le confort minimal d’y accéder ? Par ex. en remplaçant la sobriété par l’efficacité et la « chasse au gaspi ».
Et les énergies du soleil et du vent, dont la densité énergétique et l’intermittence présentent une régression par rapport aux énergies fossiles auxquelles nous sommes habitués, par l’énergie hydraulique ou nucléaire (vade retro !) de dernière génération ?
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