Quand les premières tentatives de remplacement des carburants pétroliers par des biocarburants ont été effectuées, l’enthousiasme a été général. Une fleur de tournesol a même été érigée comme étendard par un parti politique. Puis les premières études indépendantes concernant leur bilan énergétique et leur bilan environnemental sont apparues. Les ONG environnementales sont alors peu à peu parvenues à freiner une dynamique industrielle dévastatrice. Le mot « biocarburant » a alors été remplacé par « agrocarburant ». Al Gore, aux USA, a déclaré regretter d’avoir encouragé dans le passé le développement de l’éthanol de maïs.
Tout ce qui est a priori « bio » et « renouvelable » n’a pas forcément un bon bilan. Pour certains agrocarburants il faut dépenser plus d’énergie pour obtenir un litre que le contenu énergétique de ce litre. Autrement dit leur EROI (taux de retour énergétique, ratio de l’énergie produite sur l’énergie consommée) est inférieur à 1:1. L’EROI est LE paramètre-clé du développement vraiment durable. Il correspond à la durée de vie d’un système divisé par son Energy Payback Time, c’est-à-dire son temps de retour énergétique.
Il se pose aujourd’hui exactement le même problème dans le domaine du solaire avec l’innovation Wattway. Le solaire est attirant, et même éblouissant. Mais au pays de Descartes, la rationalité s’impose. Si l’EROI du grand PV au sol est aujourd’hui de 7,5 :1 d’après une synthèse de la littérature scientifique effectuée par la Fondation Nicolas Hulot dans son excellent rapport sur le solaire (2015), Wattway, dans sa conception même, pourrait fortement le dégrader (Lire à ce sujet ce dossier : Les routes solaires Wattway consomment-elles davantage d’énergie qu’elles n’en délivrent ?).
A ce stade l’EROI du système Wattway n’a pas été calculé selon l’INES, l’Institut National de l’Energie Solaire. « Une première estimation pourrait être délivrée courant de l’année 2016 » a révélé Dr Franck Barruel, chef de laboratoire des systèmes PV et référent scientifique INES-CEA du projet Wattway, joint par téléphone. Cette étude sera-t-elle réalisée par des experts totalement indépendants ? L’ingénieur Rodolphe Morlot, coordinateur EnR de l’ADEME, indique de son côté qu’à sa connaissance « aucune analyse de cycle de vie (ACV) n’a été réalisée sur ce produit. »
« Eiffel doit se retourner dans sa tombe »
Pour Mark Jacobson, directeur du département énergie et atmosphère de l’Université Stanford en Californie « Les routes solaires en France sont beaucoup moins efficientes et beaucoup plus coûteuses que le solaire en toiture ou au niveau d’ombrières de parking, et aussi que le grand solaire PV au sol.
Pour Craig Morris, rédacteur en chef du magazine Renewables international basé en Allemagne mais aussi fondateur du site « The German Energiewende » sur la transition énergétique allemande, « les routes solaires doivent être stoppées ». Non sans humour, il ajoute le 29 janvier 2016 : « Apparemment il n’y a pas de toitures disponibles en France », propos dont fait écho le site australien de référence RenewEconomy.
Dans son rapport sur le 100% renouvelable en France, l’ADEME estime pourtant à 364 GW le potentiel hexagonal du PV en toiture. Soit assez pour produire plus de 400 TWh/an, ce qui n’est pas négligeable dans un pays dont la demande électrique totale est d’environ 500 TWh/an.
Le site de référence américain CleanTechnica a diffusé une vidéo (en anglais) au contenu pédagogique et humoristique permettant de comprendre pourquoi les routes solaires constituent une impasse. Pour Paul Gipe, analyste de l’industrie des EnR et fondateur de Wind-works.org, avec ce projet de routes solaires « Eiffel doit se retourner dans sa tombe ».
Oui à l’innovation. Non à la dilapidation des fonds publics
Pour Yannick Régnier, responsable Territoires au sein du CLER et animateur du réseau TEPOS (territoires à énergie positive), ces routes solaires constituent « une mauvaise idée ». Raphaël Claustre, directeur du CLER, estime néanmoins que « toute forme d’innovation mérite sa chance, la recherche et le développement doivent nous aider à mettre en œuvre la transition énergétique. » Mais cet expert en solutions énergétiques vraiment durables souligne aussitôt qu’« il y a un paradoxe à s’emballer pour des projets dont la faisabilité est encore très complexe alors que la filière solaire sur toiture est techniquement mûre et a tant besoin d’être soutenue. » Raphaël Claustre lance cet appel : « A quand un soutien au solaire sur-imposé (non intégré au bâti ndlr) sur les toitures, il coûte moins cher ? A quand un vrai travail sur les coûts du raccordement électrique, très souvent sur-évalués et qui mettent en péril les projets ? ».
L’analyse d’un ingénieur ayant une solide expérience en tant que chef de projet construction de centrales PV au sol est la suivante: « Que les centrales Wattway consomment plus d’énergie pour la fabrication que les centrales solaires traditionnelles me semble logique : encapsulage beaucoup plus conséquent pour résister aux véhicules, câblage nettement plus important, pose plus complexe. » Et l’expert ajoute : « Évidemment l’EROI doit être largement supérieur à 1 pour qu’une technologie renouvelable ait du sens. Mais dans le cas des routes solaires, ce qui va être le vrai frein, c’est le coût : à 6€/W (alors qu’en solaire au sol on est déjà autour de 0,8-1€/W), je me demande comment notre ministre de l’écologie a pu annoncer vouloir 1000 km de routes solaires d’ici 2021 ! Un tarif garanti hors appel d’offres pour les centrales au sol, de l’ordre de 8 c€/kWh seulement (avec un petit bonus de 10% pour la partie nord de la France), serait un moyen bien plus efficace, et à coût nul pour le consommateur d’électricité, pour que le solaire explose vraiment en France. ».
Bien sur tout ingénieur est favorable à l’idée de progrès, ainsi il ajoute : « je pense néanmoins que l’innovation est toujours positive, qui sait Colas ou d’autres fabricants arriveront peut être à diviser leur coûts par 5 (à l’INES la baisse envisagée est d’un facteur 2 dans le moyen-terme pour le volet CAPEX, voir 3 dans le long-terme ndlr). Et donc que cette innovation soit encouragée modérément par l’Etat (donc le contribuable…) ça serait une bonne chose. Mais pas 1000 km sans même savoir si cette technologie est pérenne, sur un produit en situation de monopole sans concurrence, avec un coût astronomique, qui au final sera toujours supporté par le citoyen. »
Pour Jean-Philippe Brette, ingénieur et membre du conseil d’administration de l’association française Sauvons Le Climat, « prix, usure, salissures, stockage, rendent cette expérimentation peu prometteuse à grande échelle. »
Une annonce à 2700 millions d’euros. « Grands travaux » ou grande gabegie ?
Le dimanche 31 janvier 2016, à 19H31, Ségolène Royal a publié sur son compte Twitter le message suivant : « La route photovoltaïque, innovation française, sera installée sur 1000 km en France. Grands travaux ». La route solaire semble a priori sexy quand on ne s’est pas penché sur les aspects techniques et financiers.
Mais le projet annoncé par Ségolène Royal, sur la base des coûts disponibles depuis le site officiels Wattway et dont la PDG de Colas a fait écho dans le journal Le Monde (14 octobre 2015), soit 6€/W, va coûter 2700 millions d’euros (130 W/m2). Ceci en espérant une largeur de route ne dépassant pas 3,5 mètres. Qui va payer ? Les contribuables français. Cela sera autant d’euros en moins de disponibles pour soutenir les autres projets EnR. Dans le cadre d’une démocratie énergétique participative, il convient de prendre le temps de la consultation et de choisir collectivement.
La centrale PV de Cestas, la plus grande d’Europe (300 MW) a coûté 360 M€ (2014), soit 1,2 €/W. Le grand solaire PV au sol coûte aujourd’hui (2016) entre 0,8 et 1€/W. Le site Batiactu.com rapporte que cabinet Xerfi vient de publier une note où est indiqué que le MWh du grand PV est à présent entre 70 et 110 €, en fonction de l’ensoleillement du site étudié : « En comparaison, l’accord signé entre EDF et le gouvernement britannique garantit un prix d’achat de 126 €/MWh pour l’électricité produite par la future centrale EPR d’Hinkley Point » affirment les analystes.
Désir d’avenir
Le grand solaire PV est en outre parfaitement compatible avec l’élevage de moutons et l’apiculture comme l’illustre la splendide centrale agrosolaire d’Ortaffa en pays catalan.
Mais aussi avec le maraîchage dans le cadre du Solar Sharing (partager culture de plantes et capture photovoltaïque), dynamique par exemple actuellement en cours sur l’île d’Ukushima au Japon.
Par ailleurs l’entreprise française Ciel & Terre a mis au point une technologie de solaire PV flottant bon marché qui permet de limiter l’évaporation des réserves d’eau douce ainsi que la prolifération des algues vertes. Les brevets sont français.
Pourquoi ne pas faire du solaire flottant un fleuron du génie photovoltaïque français ? Et peut-on suggérer à Ségolène Royal d’appliquer le principe de précaution en matière de solaire underground ?
Dans Les Echos (14-10-2015), le PDG de Colas envisage « l’indépendance énergétique de la France » avec la technologie Wattway. La technologie développée par Colas intègre une capacité dégivrante, argument mis en avant dans les médias par le groupe. Or à 0 °C, la chaleur latente de fusion de la glace est de 333 kJ·kg-1. Laissons à Madame La Ministre le soin de calculer la quantité d’énergie qu’il faudrait dépenser pour faire fondre, sur les un million de kilomètres du réseau routier français, un centimètre de pluie verglaçante tombée pendant la nuit, c’est-à-dire quand les panneaux PV ne produisent pas un seul kWh.
Lutter contre l’eau glacée avec une technologie photovoltaïque au bilan énergétique douteux, est-ce vraiment une solution contre le réchauffement climatique ? D’après le site Neowin ce projet de 1000 km de routes solaires pourrait être en parti financé par une nouvelle taxe sur l’essence. Les automobilistes apprécieront.
Olivier Daniélo
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