Le temps de retour énergétique de la route solaire est « un réel défi pour les ingénieurs » déclare Hervé Pabiou, spécialiste du solaire et directeur adjoint de recherche au CNRS, dans un court documentaire diffusé par National Geographic le 10 mars 2016. ENGAGE, projet européen qui propose des ressources pédagogiques pour les enseignants du secondaire de 12 pays, posait la question dans un dossier publié le 3 mars : « Les médias se sont-ils emparés du sujet de manière critique, constructive et en étudiant le sujet sur le fond ? »
« Je peux voir deux problèmes avec la route solaire. Le premier vient du réchauffement des panneaux solaires car quand la température augmente, l’efficacité décroit et le processus de vieillissement est accéléré » explique Hervé Pabiou, chercheur du CETHIL, Centre d’Energétique et de Thermique de l’INSA Lyon, en conclusion du documentaire de National Geographic.
« Un autre paramètre intéressant est le temps de retour énergétique (energy payback time) qui est le temps nécessaire pour produire la même quantité d’énergie qui a été utilisée pour fabriquer les panneaux. C’est un réel défi pour les ingénieurs » ajoute le scientifique. Cette honnêteté intellectuelle est vraiment remarquable.
Le documentaire a été réalisé par Claire Jeantet et Fabrice Caterini de l’Agence INEDIZ basée à Lyon. L’angle est particulièrement pertinent car il illustre vraiment bien qu’il s’agit d’un projet de R&D qui n’en est qu’à ses balbutiements, avec encore beaucoup d’inconnues, y compris au niveau de la viabilité même de l’approche sur le plan énergétique, et par ricochet sur le plan économique. Ceci en fort contraste avec la façon dont ce sujet avait été traité dans les médias auparavant.
« Discuter la route solaire »
Une semaine avant la diffusion du documentaire de National Geographic, c’est une intéressante piste pédagogique qu’a proposé ENGAGE sur cette page :
« Avec le projet français « Wattway« , on retrouve également plusieurs actualités qui abordent le sujet de manière très générale : L’Esprit sorcier, L’Express, Le Monde, par exemple. Mais, on retrouve des retours critiques : Le blogueur EELV créé une nouvelle vidéo (avec sous-titres français) pour critiquer le projet de routes solaires françaises (le 12 février 2016 ndlr), le journaliste Olivier Danielo publie cet article (le 1er février 2016 ndlr) qui regroupe des sources qui remettent en cause l’efficacité et l’utilité du projet de route solaire. »
ENGAGE mentionne la presse généraliste, mais plusieurs médias français spécialisés en vulgarisation scientifique ont traité de sujet de la même manière. Dans un article intitulé « Route solaire, rupture technologique ? », le magazine Sciences et Avenir estime par exemple que « simple et robuste, la technologie pourrait accélérer le développement des énergies renouvelables ». Non sans emphase le magazine ajoute : « et si on tenait là l’une de ces innovations de rupture apte à faire changer d’ère l’humanité toute entière ? ». Pas un mot dans l’article sur le bilan environnemental et énergétique de cette innovation, ni sur son coût. Du côté des médias écolos, pas mieux.
Un second article publié sur Techniques de l’ingénieur est mentionné dans le dossier d’ENGAGE, article portant sur une innovation très prometteuse: « Très récemment, un autre projet, créé par l’architecte suédois Måns Tham, revient dans l’actualité : le Solar Serpent. Il a été dévoilé en 2010 à Berkeley en Californie et consiste non pas en une route mais en un tunnel de cellules photovoltaïques qui recouvrirait une route existante et aurait également des fonctions de dépollution de l’eau et de l’air ».
Financé par le septième programme-cadre pour la Recherche et le Développement de la Commission Européenne, « le projet ENGAGE réunit 14 partenaires de 12 pays différents ayant une vaste expérience de l’enseignement des sciences basé sur la démarche d’investigation et de la recherche et de l’innovation responsables (RIR), en particulier dans la formation des enseignants et la conception des programmes. » Les spécialistes de la pédagogie et auteurs du dossier invitent les enseignants à muscler leur esprit critique, fondement de l’esprit scientifique, ainsi que celui des élèves:
« En conclusion, on peut se poser les questions suivantes et pourquoi pas les aborder en classe avec vos élèves:
- Selon vous, les médias se sont-ils emparés du sujet (les routes solaires ndlr) de manière critique, constructive et en étudiant le sujet sur le fond ?
- Que pensez-vous de l’efficacité réelle ainsi que des avantages et des inconvénients de cette nouvelles technologie ? Avons-nous à l’heure actuelle assez d’informations pour trancher ces questions ?
- Pensez-vous que les routes solaires soient la solution/une solution ou pas une solution pour le futur énergétique en France et dans le monde ?
- Avez-vous trouvé d’autres sources intéressantes sur le sujet des routes solaires que vous souhaiteriez partager ? N’hésitez pas à nous donner votre avis ou faire des commentaires sur cet article ! »
« Madame Ségolène Royal, avez-vous les bons conseillers? »
D’autres questions peuvent être posées:
La France a-t-elle un problème avec le solaire photovoltaïque ? Comment est-ce possible qu’une Ministre de l’écologie puisse annoncer (annonce réitérée à de nombreuses reprises) le lancement de 1000 km de route solaire alors que le coût annoncé est de 6€/W, soit 6 à 7 fois plus que le coût du grand solaire au sol aujourd’hui ? Sans parler des coûts de fonctionnement.
Les ONG environnementales ont-elles informé correctement les éco-citoyens, notamment sur les réseaux sociaux ? Certes, le solaire peut être aveuglant, mais ont-elles pris soin d’appliquer le principe de précaution ?
Comment est-il possible que Colas, la filiale de Bouygues, ait pu recevoir un « trophée solutions climat » lors de la COP21 alors que l’EROI n’a pas été estimé ? Et qu’il n’est donc pas possible à ce stade d’affirmer s’il s’agit d’une solution pour le climat ou au contraire d’un gouffre énergétique pervers sur le plan climatique si l’EROI s’avérait inférieur à 1:1.
« Lors des trophées solutions climat (dans le cadre de la COP21 ndlr) des experts ADEME étaient associés à la présélection » a rappelé Hervé Le Treut, directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace et qui présidait le jury, joint par téléphone. Ce physicien membre de l’Académie des sciences renvoie-t-il la patate chaude vers cette agence de l’état ? Le 25 février 2016 Pierre-Henri Guignard, secrétaire général de la COP21, précise sur Twitter que « la route solaire était présente au Bourget, à la COP21, dans le cadre d’un accord de mécénat. » Ces justifications laissent pour le moins à désirer.
Benjamin Vadant, chef de pôle chez ERDF et créateur de l’application Info-Travaux visant à éviter les rues barrées lors de travaux sur les routes, a écrit à la Ministre le 16 février : « Madame Ségolène Royal, avez-vous les bons conseillers? Mettre des panneaux solaires sur les routes n’est pas une bonne idée : http://www.eevblog.com/forum/blog/eevblog-850-french-wattway-solar-roadways-bullshit/ ». Une conseillère du Ministère de l’écologie a réagit de la manière suivante à ce message: « A mon avis cela n’est pas la bonne question, ça serait plutôt « écoutez-vous vos conseillers, parfois ? » »
Techniques de l’ingénieur a contacté Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du groupe 1 du GIEC, le panel intergouvernemental des experts du climat, pour lui demander sa réaction face à cette réalité: de l’aveu même de l’ADEME, aucune ACV, aucun calcul d’EROI n’ont été réalisés concernant la technologie de route solaire Wattway de Bouygues-Colas. Qui a pourtant obtenu un trophée solutions climat et par conséquent un très large écho médiatique dépassant les frontières hexagonales. Dans son message de réponse (avec Hervé Le Treut en copie) cette scientifique du LSCE, le Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement dirigé par Jean Jouzel, médaille d’or du CNRS, déclare: « Il me semble que l’analyse intégrée en cycle de vie soit une grille de lecture pertinente pour tout projet d’atténuation ».
Les thématiques liées au développement durable, et en particulier le solaire PV qui sera au cœur du système énergétique de demain, méritent en effet d’être traitées de façon sérieuse. Surtout dans le cadre d’une COP qui implique le monde entier.
De la publicité à la communication responsable
Fabrice Bonnifet, directeur Développement Durable & QSE (Qualité Sécurité Environnement) du groupe Bouygues et directeur du Collège des Directeurs du Développement Durable a partagé le 24 février 2016 l’article « De l’art périlleux de « parler vrai » » publié dans Les Echos Business deux jours avant et signé Ariane Gaudefroy.
L’un des paragraphes de l’article s’intitule « Fournir des preuves » et un autre « Rester humble ». « Pour se mettre en valeur, il faut savoir parler de ses faiblesses » souligne dans ce remarquable article Yonnel Poivre-Le Lohé, consultant en communication responsable chez MIK Partners et auteur du livre « De la publicité à la communication responsable ». « Exposer ses défauts d’emblée permet de faire baisser le niveau d’attente des consommateurs » souligne l’expert.
« Il faut absolument attendre des avancées concrètes avant de communiquer », ajoute Florence Touzé, professeur à Audencia Group, cotitulaire de la chaire RSE. « Aujourd’hui, les consommateurs ont affûté leur esprit critique et toute déclaration non prouvée expose à des accusations de « greenwashing ».
Grâce au documentaire éco-responsable diffusé par le biais de National Geographic, l’équipe Wattway ne pourra pas être accusée de la sorte. Vive l’innovation française. Et vive la Démocratie énergétique participative.
Olivier Daniélo
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