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ROBUSTA-3A : un nanosatellite montpelliérain en passe de faire la pluie et le beau temps sur la Méditerranée

Posté le 9 septembre 2024
par Benoît CRÉPIN
dans Innovations sectorielles

Quelque peu éclipsée médiatiquement par la réussite du vol inaugural d’Ariane 6, la mise en orbite, par la même occasion, du nanosatellite montpelliérain ROBUSTA-3A a pourtant, elle aussi, été couronnée de succès. L’occasion pour nous de revenir sur les origines de ce projet, mais aussi sur les perspectives ouvertes par ce CubeSat 100 % « Made in Montpellier ».

9 juillet 2024, 21 h, heure de Paris. Il y a deux mois, Ariane 6 filait pour la toute première fois de son histoire vers l’espace, après son décollage depuis le nouvel ensemble de lancement ELA4, aménagé pour l’occasion, au prix de huit années de travaux, au sein du Centre spatial guyanais de Kourou. Un vol inaugural couronné de succès, à l’occasion duquel le dernier-né de la famille des lanceurs européens a notamment permis le déploiement de huit CubeSats, ces nanosatellites faits d’unités cubiques de dix centimètres de côté.

Parmi eux, CURIE, un « détective radio » conçu par la NASA, mais aussi, pour le reste, une série de CubeSats développés par des start-up, entreprises et universités européennes :

ROBUSTA-3A a pris place, le 9 juillet dernier, à bord d’Ariane 6. © ESA, CNES, Arianespace, ArianeGroup

Mais aussi – last but not least – un CubeSat de trois unités entièrement conçu et assemblé au sein du Centre spatial de l’Université de Montpellier (CSUM), fruit de plus d’une décennie de travail et de l’implication de pas moins de 300 étudiantes et étudiants… Son nom : ROBUSTA-3A.

Un travail de longue haleine

Tout a commencé en 2006, année au cours de laquelle le CNES lance un appel à projets baptisé EXPRESSO (EXpérimentations et PRojets ÉtudiantS dans le domaine des Systèmes Orbitaux et des ballons) dans l’optique d’attirer étudiantes et étudiants vers la filière spatiale, tout en leur offrant la possibilité d’acquérir une forme d’expérience professionnelle.

Des objectifs auxquels le Professeur à l’Université de Montpellier et chercheur du groupe RADIAC de l’Institut d’Électronique et des Systèmes[1] Laurent Dusseau se révèle naturellement sensible. L’enseignant-chercheur décide alors de répondre à cet appel lancé par le CNES, en présentant un projet qu’il nomme ROBUSTA, pour Radiations On Bipolar for University Satellite Test Application.

« [Nous] avons décidé de répondre à cet appel à projets EXPRESSO avec un picosatellite emportant une charge utile vouée à l’étude de ce qui s’avère aujourd’hui l’une des préoccupations majeures en matière de résistance [des satellites] aux radiations : la sensibilité accrue au faible débit de dose[2] des composants bipolaires », expliquaient le Pr Dusseau et ses collègues dans un article co-signé en 2009. Un projet qui fera finalement partie des trois retenus par le CNES, sur les huit réponses reçues par l’établissement public. S’ensuivent ainsi six années de développement, qui aboutissent, le 13 février 2012 à la mise en orbite de ce qui n’était alors rien de moins que le tout premier CubeSat français : ROBUSTA-1A.

Succédant à plusieurs modèles 1U, ROBUSTA-3A est quant à lui un CubeSat de 3 unités. © Université de Montpellier – Fondation Van Allen

Un véritable « écosystème » du nanosatellite

Quelques mois auparavant, le conseil d’administration de l’Université de Montpellier actait par ailleurs la création du Centre Spatial Universitaire de Montpellier (CSUM), une plateforme technologique destinée à développer et à rassembler moyens et compétences en matière d’ingénierie, de production, d’opération, de tests et d’applications des nanosatellites. Quelques mois plus tard, en novembre 2012, c’est aussi une autre structure clé qui voyait le jour : la Fondation Van Allen. Présidée par l’ex-ministre Jean-Claude Gayssot, cette fondation partenariale de l’Université de Montpellier assure, depuis lors, un soutien stratégique et financier au CSUM, tout en jouant un rôle de catalyseur de projets collaboratifs. Parmi ses quatre membres fondateurs, figurent en effet – outre le représentant du monde académique qu’est l’Université de Montpellier – trois acteurs du monde économique : Airbus Defence & Space, 3D Plus, et le groupe Expleo. Et ça n’est pas tout : en 2015, la fondation a lancé son « Club des Partenaires », aujourd’hui riche d’une trentaine d’entreprises basées aux quatre coins de la France, qui forment ainsi un véritable « écosystème » du nanosatellite. De quoi poursuivre, avec tous les soutiens nécessaires, cet ambitieux projet ROBUSTA initié en 2006.

Outre la mise au point, à partir de 2012, du successeur du CubeSat ROBUSTA-1A – un autre nanosatellite 1U baptisé ROBUSTA-1B, qui a permis la collecte de données sur la dégradation de composants électroniques soumis à l’environnement radiatif spatial pendant pas moins de six ans – ainsi que d’autres projets de satellites 1U[3], le CSUM et ses partenaires se sont lancés, en 2013, dans le développement d’un satellite trois fois plus volumineux : le fameux ROBUSTA-3A. Co-financé par la Fondation Van Allen et le CNES dans le cadre du projet NanoLab Academy, ce travail de développement s’est poursuivi pendant une décennie, grâce à la contribution d’environ 300 étudiantes et étudiants. Il n’en fallait pas moins, en effet, pour parvenir à donner vie à ce CubeSat de 4 kg conçu – littéralement – à partir d’une feuille blanche.

Co-financé par la Fondation Van Allen et le CNES, le développement de ROBUSTA-3A s’est étalé sur une décennie, et a nécessité la contribution d’environ 300 étudiantes et étudiants du CSUM. © Fondation Van Allen

Du « fait maison », de A à Z

Il faut dire tout d’abord que, outre une mission secondaire d’étude des radiations sur les composants électroniques – logiquement inscrite dans la droite ligne du projet ROBUSTA – ROBUSTA-3A s’est vu confier une mission principale plus surprenante : contribuer à l’amélioration des modèles de prévision d’un phénomène météorologique causé – en substance – par l’accumulation d’humidité atmosphérique au-dessus de la Méditerranée : les épisodes cévenols… Comment ? En se faisant le relais[4] d’ondes électromagnétiques – les signaux des systèmes de localisation satellitaire GNSS – dont la modification par la vapeur d’eau atmosphérique constitue un parfait proxy pour évaluer les niveaux d’humidité troposphérique (une approche sur laquelle le Pr Laurent Dusseau a apporté un éclairage détaillé dans le cadre d’un colloque grand public organisé en 2023 par l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, à découvrir ici en vidéo).

Les éléments constitutifs de ROBUSTA-3A ont été quasi intégralement conçus au sein du CSUM. © Fondation Van Allen

Pour mener à bien cette mission, le CSUM s’est donc entouré d’une série de partenaires de renom – Météo-France, l’IGN, l’ENSTA Bretagne, ainsi que le Port de Sète – et s’est attelé au développement, en interne, de la quasi-totalité des briques technologiques constitutives de ROBUSTA-3A. « Nous ne nous sommes pas contentés d’assembler des solutions sur étagère, mais avons, au contraire, tout développé à partir d’une feuille blanche », expliquait à l’occasion d’un point presse organisé une dizaine de jours après la mise en orbite du CubeSat, le Pr Dusseau. « Nous avons tout conçu ici, de A à Z[5], de la moindre pièce mécanique, aux logiciels, en passant par les cartes électroniques nécessaires au fonctionnement du satellite », a-t-il précisé, en faisant valoir, au passage, la fiabilité de ces briques technologiques développées au sein du CSUM.

En témoigne, en effet, la situation dans laquelle se trouvait ROBUSTA-3A quelques jours après sa mise en orbite à 580 km au-dessus de nos têtes. « Le de-tumbling s’est très bien passé, le spin a été très rapidement sous contrôle. […] Le système de commande d’attitude et d’orbite (SCAO) s’est même révélé plus performant que ce à quoi nous nous attendions… Nous poursuivons actuellement les étapes suivantes de commissioning », résumait le 18 juillet dernier, face à la presse, le Pr Dusseau, tout en estimant à quelques semaines encore, le temps de travail nécessaire avant que ROBUSTA-3A ne soit, enfin, pleinement opérationnel[6]. Le nanosatellite montpelliérain pourrait ainsi contribuer dès cet automne à la prévision des pluies cévenoles ; phénomène météorologique qui, sous l’influence du changement climatique, pourrait d’ailleurs bien devenir de plus en plus fréquent.

Un aboutissement, mais pas un point final – bien au contraire – pour le CSUM, qui compte en effet désormais se lancer dans des projets de développement de nanosatellites au format 12U.


[1] UMR 5214

[2] Enhanced Low Dose Rate Sensitivity (ELDRS)

[3] ROBUSTA-3A est le 8e nanosatellite du CSUM en orbite.

[4] Voir le schéma en page 11 de ce document.

[5] À l’exception de quelques éléments : ADCS (Attitude Determination and Control System) et système de communication radio en bande S. 

[6] MàJ 26/08 : ROBUSTA-3A se porte bien. Avec le retour des vacances d’été, les opérations reprennent pour le préparer à démarrer prochainement sa mission, nous indique la fondation Van Allen.


Pour aller plus loin