Décryptage

Les robots ont-ils des droits et des devoirs ?

Posté le 29 mars 2017
par Matthieu Combe
dans Innovations sectorielles

En février, le Parlement européen a voté le rapport Delvaux. Il demande à la Commission européenne de réfléchir à un cadre légal en matière de robotique. Il reste deux mois à la Commission pour faire savoir si elle compte légiférer sur le sujet.

Le monde est en train de se robotiser. Drones, véhicules autonomes, robots de soins, de divertissement ou industriels… fleurissent ces dernières années. L’intelligence artificielle sera bientôt répandue dans tous les foyers. Cela pose d’importants défis juridiques et éthiques. Il est donc urgent de créer une personnalité juridique ou au moins un statut légal pour les robots et l’intelligence artificielle. Les robots tueurs ou utilisés comme des armes sont exclus de son cadre.

La résolution, adoptée à une très large majorité par les eurodéputés en février 2017, demande à la Commission européenne « de proposer des règles sur la robotique et l’intelligence artificielle (IA), en vue d’exploiter pleinement leur potentiel économique et de garantir un niveau standard de sûreté et de sécurité ».

Quel cadre légal pour les robots ?

En votant le rapport Delvaux, les députés demandent la mise en place d’un cadre légal unique à l’échelle européenne en se penchant sur plusieurs pistes. Et il y a urgence. Plusieurs Etats membres réfléchissent à leur propre législation. Une standardisation au niveau communautaire permettrait d’avoir des règles communes. Il serait ainsi possible d’éviter le traditionnel écueil des normes multiples, comme c’est le cas, par exemple, pour les prises de recharge des véhicules électriques. Le rapport propose d’assurer l’interopérabilité entre les systèmes et de promouvoir les normes et plateformes ouvertes. Sans définition rapide de normes réglementaires par l’Union Européenne, elle devra subir les normes édictées par des pays tiers ou même directement par l’industrie robotique.

L’urgence est de définir sur qui repose la responsabilité civile en cas d’accident ou de dommage:  le fabricant, les fournisseurs, le propriétaire ou l’utilisateur? Le rapport propose d’exonérer la responsabilité de toute personne. Mais plutôt de mettre en place un fonds de compensation pour garantir le dédommagement des victimes en cas d’accidents causés notamment par des véhicules autonomes. Toutes les parties pourraient contribuer. Le rapport propose aussi la création d’un régime d’assurance obligatoire.

A plus long terme, Mady Delvaux propose de réfléchir à la création d’un statut juridique spécifique aux robots. Certains robots se verraient attribuer des devoirs, comme celui de « réparer tout dommage causé à un tiers ». Il pourrait s’agir d’une « personnalité électronique » limitée, en cas de dommage nécessitant une compensation. Celui-ci pourrait être similaire au cadre légal qui existe pour la responsabilité des entreprises. « Nous ne voulons pas de robots qui ressembleraient de plus en plus aux humains, comme c’est le cas au Japon par exemple », assure néanmoins Mady Delvaux dans un communiqué de presse du Parlement européen.

Des robots mais pas de revenu universel

La partie controversée du rapport sur la création d’un revenu universel n’a pas été retenue. Le travail demandait à la Commission d’analyser dans quels secteurs l’utilisation des robots détruit le plus d’emplois et de réfléchir à  assurer un revenu aux personnes qui perdent leur emploi à cause de la robotisation grâce à  l’instauration d’une « taxe robot ». En France, la question d’une telle taxe est centrale dans le programme du candidat socialiste Benoît Hamon pour les élections présidentielles.

Par ailleurs, le rapport s’intéresse  à la protection des données et de la vie privée. Que font les entreprises des données recueillies? Les députés proposent un code de conduite éthique volontaire sur la robotique pour les chercheurs et les concepteurs. L’objectif est de garantir qu’ils opèrent conformément aux normes juridiques et d’éthique et que la conception et l’utilisation des robots respectent la dignité humaine.

Le rapport Delvaux recommande la création d’une agence européenne chargée de la robotique et de l’intelligence artificielle. Elle serait notamment en charge de l’élaboration d’ un système général d’immatriculation des robots avancés. Elle définirait les critères de classification des robots dont l’inscription au registre devrait être obligatoire.

Comme pour les avions, le rapport préconise le développement d’une « boîte noire» pour chaque robot. Elle contiendrait « les données sur chaque opération réalisée par la machine, y compris les logiques ayant contribué à la prise de décisions ».

Avis de l’expert Jean-Gabriel Ganascia, chercheur en intelligence artificielle à l’université Pierre-et-Marie-Curie

L’Europe peut mettre en place des procédures plus légitimes que celles des géants du web. C’est pour cela que c’est une bonne idée que l’Europe et les citoyens y réfléchissent. Mais ce n’est pas sur les bases obscures de ce qui est écrit dans le rapport Delvaux qu’il faut le faire. Ce rapport est totalement déconnecté de la réalité technologique et il dénonce un certain nombre de choses fausses. Par exemple, les robots n’augmentent pas le chômage. Au contraire, plus il y a de robots, plus le chômage diminue. En effet, la robotique augmente la compétitivité des entreprises. Et, plus il y a de robots, plus les industries sont compétitives. Et plus elles sont compétitives, plus elles vont se développer et embaucher. L’idée de la taxe sur les robots relèvait aussi d’une mauvaise analyse, car il faut moderniser l’économie en utilisant des robots pour qu’elle soit plus compétitive. Si l’on fait payer une taxe, au contraire, les entreprises  en utiliseront moins.

Le rapport propose de donner une personnalité juridique aux robots. En cas d’accident, on va pouvoir indemniser la victime grâce à un fonds d’assurance. Mais cela ne remplit pas tout à fait la fonction, car il s’agit de droit civil, ce qui n’indemnisera pas les accidents relevant du pénal. Ce fonds serait alimenté par le fabricant ou l’utilisateur. Si c’est le fabricant, seules les grosses entreprises vont pouvoir continuer à payer ces assurances. Les nouveaux acteurs auront énormément de mal à se créer. L’industrie de la robotique se concentrera. Et puis, dans l’arsenal juridique, il y a un tas de moyens qui existent déjà pour régler les conflits qui apparaîtraient…

Par Matthieu Combe, journaliste scientifique


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