La capture et valorisation de carbone (CCU, pour carbon capture & utilization) fait partie des approches mises en avant par le GIEC pour limiter le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2 °C, comme le prévoit l’Accord de Paris. Avec sa technologie CarbonCloud, Revcoo entend ainsi contribuer à « relever ce défi vital ». Brevetée, cette technologie utilise le froid extrême pour isoler le CO₂ des autres gaz contenus dans les fumées des industriels. L’innovation réside avant tout dans la mise en contact direct de ces effluents avec de l’azote liquide produit directement à partir de l’azote présent dans ces mêmes fumées. Grâce à sa technologie, Revcoo revendique ainsi des coûts opérationnels parmi les plus bas du marché.
Alors qu’elle compte actuellement une première unité pilote d’une capacité de capture de 2 tonnes de CO₂ par jour, l’entreprise fondée en 2019 a annoncé en juillet dernier une levée de fonds de 3,5 millions d’euros qui devrait lui permettre d’installer d’ici le premier semestre 2023 une seconde installation capable de capter quotidiennement 20 tonnes de CO₂. Le premier pas vers un déploiement industriel à grande échelle, comme nous l’explique Hugo Lucas, co-fondateur et Directeur général de Revcoo.
Techniques de l’Ingénieur : Avant d’en venir précisément à la technologie que vous avez développée, pouvez-vous nous présenter Revcoo en quelques points clés ?
Hugo Lucas : Revcoo a été fondée en 2019 par Paul Taton et moi-même. La société a débuté ses activités autour de la seule thématique du CO₂. Mais ensuite, petit à petit, nous avons commencé à nous tourner vers la capture de CO₂ sur site industriel, dans le but de décarboner les effluents industriels. En 2020, nous avons ainsi déposé le premier brevet de notre technologie de captation de CO₂ par cryogénie. Nous l’avons baptisée CarbonCloud. En 2020 toujours, nous avons poursuivi nos travaux de R&D en labo, afin de produire un prototype. Mi-2021, nous avons installé un premier pilote sur un site du grand groupe de BTP Eiffage. Depuis, nous continuons à améliorer la technologie et nous menons des tests en environnement réel. Nous sommes aujourd’hui cinq, et nous devrions d’ici à la fin de l’année atteindre les dix personnes dans l’équipe.
Vous évoquiez le nom de la technologie dont vous avez déposé le brevet, CarbonCloud. Qu’est-ce qui se cache derrière cette appellation… ?
Notre technologie est basée sur la cryogénie : nous utilisons le froid pour geler et isoler le CO₂. Pour y parvenir, nous séparons l’azote présent dans les fumées, que nous liquéfions à -196 °C. Cet azote est utilisé comme réfrigérant, afin de geler le CO₂. Ce CO₂ va ainsi se transformer en flocons de neige, d’où le nom de la technologie, CarbonCloud. Ces flocons de CO₂ sont ensuite repassés à l’état liquide, afin de pouvoir les stocker dans des cuves.
Quelles sont les capacités de cette technologie ?
Il est pour l’instant encore compliqué de donner des chiffres précis, car ils vont dépendre du type d’installation. Le pilote que nous avons mis en place chez Eiffage est en tout cas capable de capter 2 tonnes de CO₂ par jour, pour une emprise au sol de 70 m². Au niveau énergétique, la technologie demande de la puissance électrique : 60 % de la consommation d’électricité est liée à l’extraction et à la liquéfaction de l’azote. Le bilan énergétique va ainsi dépendre de deux paramètres : le coût énergétique et la concentration en CO₂ dans les fumées de l’industriel. Ces deux paramètres vont faire varier le coût total d’exploitation de notre solution. Pour 20 % de concentration de CO₂ et huit centimes le kWh d’électricité, nous prévoyons un coût de 30 à 35 € par tonne de CO₂ captée.
En matière d’impact carbone, en scope 2[1] et pour le mix électrique français, le bilan est de 49 kg de CO₂ émis pour une tonne captée. Le bilan est donc largement positif. En scope 3, nous sommes à 100 kg de CO₂ émis pour une tonne captée si nous revalorisons le dioxyde de carbone à 300 km de son site de production, via un transport par poids-lourd.
Nous souhaitons d’ailleurs proposer, au sein de notre offre, un accompagnement auprès de l’industriel pour l’aider à valoriser le CO₂ capté sur ses installations. Aujourd’hui, avant même d’envisager le déploiement d’un système de captation, les grands groupes pensent déjà aux moyens de valoriser leur CO₂. Les petites entreprises, en revanche, n’ont pas forcément d’idées précises des solutions de valorisation de CO₂ qui seraient pertinentes pour elles.
Nous avons aussi intégré un système de recyclage de froid : le CO₂ glace qui est généré puis repassé sous forme liquide n’entraîne pas une déperdition du froid directement dans la nature. Le froid est recyclé tout au long du process à l’aide d’échangeurs de chaleur.
À quels types d’industries votre solution se destine-t-elle ?
Nous sommes prêts à répondre à tout projet industriel. D’un point de vue économique, en revanche, la technologie se révèle avantageuse à partir d’une concentration de 8 % de CO₂ dans les fumées de l’industriel. Nous pouvons aller jusqu’à 25, 30 voire 40 %, mais plus on monte dans les concentrations, plus nous avons de la concurrence… Là où nous sommes très performants, c’est avant tout sur les basses concentrations, de 8 à 25-30 %. Cela est lié à notre technologie cryogénique et à l’utilisation d’azote liquide.
Nous ciblons donc principalement l’industrie cimentière, la production de chaux, la sidérurgie, la métallurgie, le raffinage… Mais aussi les chaudières gaz de tout industriel. Cela va de la verrerie à la papeterie en passant par l’agroalimentaire.
Quelle place votre technologie pourrait-elle occuper selon vous, face aux autres innovations qui émergent sur ce même créneau de la capture de CO₂ ?
Nous sommes complémentaires sur certains axes. Si l’on prend l’exemple de la technologie de capture par amines, celle-ci nécessite d’avoir des fumées chaudes, ce qui n’est typiquement pas le cas des cimenteries par exemple. Contrairement à cette technologie basée sur l’utilisation d’amines, notre solution CarbonCloud ne nécessite pas de consommables. La technologie par amines, en revanche, n’est pas sensible à la concentration de CO₂ dans les fumées. Elle peut donc être mise en œuvre en dessous de 8 %, par exemple dans le cadre d’installations de production d’électricité, un secteur sur lequel nous n’interviendrons pas. D’où notre complémentarité.
Si l’on prend un autre exemple, celui de la technologie développée par Air Liquide, celle-ci se destine plutôt, au contraire, à des concentrations élevées, comme c’est le cas pour la production d’hydrogène ou la méthanisation. Des domaines où notre technologie n’est donc pas forcément la plus pertinente.
Comme je l’évoquais, nous nous fixons donc un périmètre précis de domaines industriels dans lesquels nous pourrons mettre en œuvre notre technologie.
Un autre paramètre est également à prendre en compte : le débit de fumées. Nous pouvons, de notre côté, répondre à de petits débits de fumées, contrairement à d’autres technologies qui, elles, ne sont rentables qu’à partir de plusieurs centaines de milliers de tonnes de CO₂ captées par an.
Vous poursuivez un travail de R&D ainsi que des tests en environnement réel. Quel est aujourd’hui le degré de maturité de votre technologie ?
Nous sommes actuellement à un niveau de maturité situé entre 6 et 7 sur l’échelle TRL[2]. Il ne nous manque plus aujourd’hui qu’à adapter la technologie à un fonctionnement en continu, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Nous espérons pouvoir faire aboutir ce travail d’ici moins d’un an.
Vous avez annoncé en juillet dernier une levée de fonds de 3,5 millions d’euros. Quel est l’objectif de ce que vous qualifiez de « tournant » pour Revcoo ?
Nous prévoyons l’installation d’une seconde unité d’ici au premier semestre 2023. Il s’agira toujours d’un pilote, mais dix fois plus gros que l’unité actuelle déployée chez Eiffage. Cette mise à l’échelle devrait permettre de capter 20 tonnes de CO₂ par jour.
Nous commençons également à avoir des demandes pour de petites unités comparables à celle que nous avons aujourd’hui… Cela ne nous semblait pas forcément pertinent, au départ, en termes d’ordre de grandeur, mais l’émergence de ces demandes va certainement nous amener à industrialiser ce type de petite unité, dès que nous aurons adapté la technologie pour un fonctionnement continu. Nous allons ainsi développer une offre de test, qui permettra de prouver aux industriels, grâce à cette petite installation, que notre technologie fonctionne très bien sur leurs propres fumées, qui sont toutes très spécifiques, avant de passer à des unités de taille supérieure par la suite.
Quels sont vos objectifs de déploiement industriel pour les années à venir ?
Nous visons le déploiement de 40 unités d’ici à 2025, en France, mais aussi plus largement, en Europe. En France, le marché que nous visons à terme représente un maximum de 100 millions de tonnes de CO₂. En Europe, ce chiffre devrait s’élever à environ 900 millions.
[1] Il existe trois grandes catégories d’émissions de gaz à effet de serre (GES) : les émissions directes produites par l’entreprise (Scope 1), les émissions indirectes liées à la consommation d’énergie (Scope 2) et les autres émissions indirectes (Scope 3).
[2] Technology readiness level (Niveau de maturité technologique) : système de mesure à neuf niveaux permettant d’évaluer la maturité d’une technologie.
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