Des chercheurs de l'Institut Langevin ont mis au point une nouvelle méthode d’imagerie dite matricielle afin d'observer en profondeur les tissus biologiques à l'aide d'un microscope optique. Leur innovation va également trouver des applications en échographie et en sismologie.
Avec sa résolution inférieure au micron et son invasion minimale, le microscope optique est devenu un outil essentiel à la recherche biomédicale pour observer les tissus du corps humain et les cellules. Il repose sur l’utilisation d’ondes lumineuses dont la propagation est déviée puis focalisée par des lentilles de verre pour former une image. La trajectoire de la lumière à travers ces milieux biologiques est par contre complexe à gérer. Et au-delà d’une profondeur de quelques centaines de microns, la résolution et le contraste de l’image se trouvent très dégradés. Des chercheurs de l’Institut Langevin ont mis au point une nouvelle méthode d’imagerie dite matricielle qui repousse la limite de pénétration d’un microscope optique dans un tissu biologique.
Deux facteurs expliquent les difficultés qu’ont les microscopes conventionnels à observer en profondeur les milieux biologiques. Tout d’abord, les variations de l’indice optique à l’intérieur des tissus biologiques qui vont provoquer des perturbations dans la propagation des ondes lumineuses et au final une déformation du front d’onde. Ensuite, un phénomène appelé la diffusion multiple. Concrètement, l’onde lumineuse, c’est-à-dire les photons, au lieu d’être réfléchie une seule fois à l’intérieur du milieu puis ressortir vers l’objectif du microscope, va taper plusieurs fois dans les tissus avant de ressortir et être imagée. « À une profondeur d’un millimètre, c’est comme si nous étions dans le brouillard, résume Alexandre Aubry, chercheur au CNRS et à l’Institut Langevin. La lumière a été diffusée plusieurs fois à l’intérieur du milieu et lorsqu’elle ressort, elle est très difficile à analyser avec les techniques d’imagerie conventionnelles telles que l’OCT [Optical coherence tomography, un examen souvent pratiqué en ophtalmologie, NDLR]. »
Reconstruire la structure tridimensionnelle du milieu biologique
Face à ces difficultés, les chercheurs ont mis au point une matrice de réflexion dont le but est de mesurer les défauts du milieu. Pour cela, ils éclairent dans un premier temps les tissus biologiques sous différents angles. Puis, à chaque fois qu’un champ lumineux est réfléchi, il est enregistré par un ordinateur. Ce dernier se charge alors d’étudier les corrélations entre tous les points réfléchis puis va calculer les lois d’aberration permettant de focaliser en profondeur dans le milieu. Au final, la matrice va identifier quel front d’onde il convient d’utiliser afin que la lumière pénètre dans les tissus. « Cette matrice, c’est vraiment le Graal, s’enthousiasme le chercheur, car elle nous permet de reconstruire la structure tridimensionnelle du milieu biologique que l’on va inspecter. Grâce à elle, on obtient une image comme si le milieu était devenu transparent et parfaitement homogène. »
Pour l’instant, l’équipe de recherche est parvenue à aller à une profondeur d’environ un millimètre. Pour aller plus loin, elle compte employer différentes longueurs d’onde du spectre lumineux, allant de 700 à 900 nanomètres. Les scientifiques utilisent une source à balayage spectral permettant d’enregistrer la matrice avec un grand nombre de fréquences différentes. « L’ordinateur se charge ensuite de trouver la forme d’onde spatio-temporelle permettant de compenser à la fois les aberrations et la diffusion multiple et ainsi focaliser de plus en plus profond », ajoute Alexandre Aubry.
À long terme, les chercheurs de l’Institut Langevin se mettent à rêver d’aller jusqu’à une profondeur d’un centimètre. D’ici là, d’importants travaux vont se poursuivre. Les chercheurs pensent utiliser une approche consistant à s’enfoncer petit à petit dans le milieu, par palier. « À partir de toutes les lois d’aberration qui ont été calculées en amont de la couche qui nous intéresse, on peut trouver plus facilement les lois de focalisation pour aller encore plus en profondeur, analyse le chercheur. Petit à petit, on peut compenser le brouillard de la diffusion et réussir à retrouver une image de la réflectivité qui correspond à ce qu’elle est réellement. »
Cartographier la vitesse du son dans le foie
En attendant ces avancées, cette matrice de réflexion va trouver d’autres champs d’applications, à commencer par celui de l’échographie. Cette fois-ci, ce ne seront plus des ondes lumineuses qui se propagent dans les tissus biologiques, mais des ultra-sons. Grâce à la matrice, il va être possible par exemple de cartographier la vitesse du son dans le foie pour détecter la stéatose hépatique, une maladie liée à la présence de gouttelettes de gras dans le foie. « On cherche ici à établir les paramètres quantitatifs d’avancées de la maladie », complète le chercheur.
Autre application possible, cette fois-ci dans un tout autre domaine : la sismologie. Là encore, l’idée est d’appliquer la même méthode d’imagerie matricielle ; l’échelle est totalement différente mais la physique des ondes reste toujours la même. Actuellement, les sismologues utilisent des géophones pour enregistrer les bruits provenant du sol. « À partir de ces ondes sismiques, nous pouvons reconstituer la matrice de réflexion et imager la structure interne de la terre, poursuit Alexandre Aubry. Je suis persuadé que ce nouveau champ d’exploration en sismologie sera très important dans le futur. »
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