Depuis le 15 novembre dernier, le PDG de Total, Patrick Pouyanné, craint pour l’avenir de sa filière de production de biocarburant. À cette date et lors d’un second scrutin concernant le projet de loi de finances 2020, l’Assemblée nationale a largement voté contre le maintien de l’huile de palme dans la liste des biocarburants disposant d’un avantage fiscal. La veille, lors d’un vote éclair, les députés avaient décidé de la maintenir jusqu’en 2026. Or, plusieurs d’entre eux ont déploré les conditions dans lesquelles se sont déroulées le scrutin. « La très grande partie de l’Assemblée nationale, à ce moment-là, n’a pas bien compris de quel amendement on parlait, tout simplement parce qu’il n’a pas été discuté », déplorait Laurent Saint-Martin, député (LREM) du Val-de-Marne.
À la suite de ce premier vote, associations écologistes et députés opposés à l’utilisation de l’huile de palme comme biocarburant se sont vivement insurgés. L’association Les Amis de la Terre a accusé le gouvernement de céder « au lobbying éhonté de Total » et de faire à la firme un « cadeau fiscal évalué entre 70 et 80 millions d’euros ». La députée des Deux-Sèvres Delphine Batho (GE) a également manifesté son opposition au premier vote en déclarant que « cette niche fiscale est complice d’un écocide ». Ce revirement de position était d’autant plus surprenant que la décision de retirer l’huile de palme de la liste des biocarburants date de 2018. Même le recours effectué par Total auprès du Conseil constitutionnel n’avait pas abouti.
Muselier défend Total, Wargon souhaite aider
Si la décision de l’Assemblée nationale ne fait pas du tout les affaires de Total, c’est à cause de l’usine de La Mède. Située dans le département des Bouches-du-Rhône, la bioraffinerie prévoit d’utiliser jusqu’à 300 000 tonnes d’huile de palme « durable et certifiée » par an pour créer du biocarburant. Sur LCI, Patrick Pouyanné a déclaré craindre pour la « survie » du site qui emploie 250 personnes. Pour être mise en route, la bioraffinerie de La Mède a demandé à la firme 275 millions d’euros d’investissement. Cependant, l’arrêt des activités du site n’est pas encore à l’ordre du jour. « Nous continuerons à produire du biocarburant à base d’huile de palme à La Mède pour l’exporter en Allemagne, en Belgique » affirme Pouyanné.
De son côté, Emmanuelle Wargon, secrétaire d’Etat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, estime qu’il est du ressort de l’État d’accompagner Total dans sa recherche d’une huile de palme qui n’impliquerait pas de déforestation. « Ce que dit l’entreprise, c’est qu’elle veut un délai pour adapter ses pratiques. Je crois qu’il faut qu’on regarde avec elle si c’est possible d’acheter de l’huile de palme qui ne déforeste pas. On a donc dit qu’on allait ouvrir un groupe de travail avec l’entreprise pour voir si c’est possible » a déclaré la secrétaire d’État rattachée à la ministre de la Transition écologique et solidaire. Le président de la région Sud, Renaud Muselier (LR) souhaite également soutenir Total. « Je ne serai pas le président de région qui remet en cause une sortie en douceur d’une activité qui, certes, présente des contraintes environnementales fortes, mais permet également à plus de 250 familles de la région Sud de vivre. »
L’huile de palme, cause d’une déforestation massive en Asie du Sud-Est
Or, les « contraintes environnementales fortes » dont parle Renaud Muselier sont bien au cœur des oppositions à l’huile de palme. Bien que cette huile affiche des rendements six à sept fois supérieurs au colza et au tournesol, sa production engendre des déforestations d’envergure. En Malaisie et en Indonésie, la production d’huile de palme pourrait faire disparaître 98% des forêts tropicales. De plus, le brûlage des terrains fait office de défrichage en vue des cultures, ce qui engendre de fortes émissions de gaz à effet de serre. « Avec les arbres, disparaissent des espèces rares comme l’orang-outan, l’éléphant pygmée de Bornéo ou le tigre de Sumatra » déplore l’ONG Sauvons la forêt. Dans ces pays, 3,34 millions d’hectares servaient à la culture de l’huile de palme en 2000 contre 4,86 millions en 2010.
En Europe, l’huile de palme est au cœur de nombreux usages, notamment pour fabriquer du biocarburant. Selon la Fédération européenne pour le transport et l’environnement, la part d’huile de palme utilisée en raffinerie est passée de 15% à 53% en dix ans. En France, 70% de l’huile de palme est destinée à cet usage. Autre poste où la demande européenne d’huile de palme se fait de plus en plus grande : le chauffage. En 2008, 5% de la matière était allouée à ce poste, contre 20% en 2018. Si la France compte interdire l’huile de palme dans les biocarburants dès 2020, le Parlement européen a fixé, quant à lui, la sortie de l’huile de palme à 2030. C’est pourquoi Patrick Pouyanné avait manifesté sa volonté de voir la date de l’interdiction française repoussée à 2026. Notons cependant que la décision finale n’est pas encore prise dans l’Hexagone. « Nous restons vigilants car ce vote positif est une première étape » indiquait par voie de communiqué l’association Agir pour l’Environnement.
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