Après 40 années de désindustrialisation, on observe, depuis 2009, le retour du sujet de la « réindustrialisation » dans le discours politique. Plusieurs initiatives peuvent être soulignées : les États généraux de l’industrie, le rapport Gallois sur la compétitivité industrielle, France Relance ou encore France 2030. Pourtant, le constat est amer : depuis près de quinze ans, la part de l’industrie dans le PIB français stagne autour de 10 %.
En novembre 2023, le ministère de l’Économie avait chargé Olivier Lluansi, ancien délégué interministériel aux Territoires d’industrie, d’une mission sur la réindustrialisation de la France à l’horizon 2035. Ses conclusions ont été remises en avril dernier au gouvernement, mais ne seront finalement pas rendues publiques. Spécialiste du secteur industriel, il dévoile les grandes lignes de son rapport au détour des entretiens qu’il a accordés et dans lesquels il dresse un bilan sans fard.
Une part de l’industrie à 15 % du PIB d’ici à 2035 est irréalisable
La France est l’un des pays les plus désindustrialisés d’Europe et se place aux derniers rangs de l’Union européenne, devant la Grèce…
Pour inverser la tendance, l’objectif affiché par le gouvernement est de rejoindre la moyenne européenne en relevant la part de l’industrie dans le PIB de 10 % à 15 % d’ici à 2035. Dans son rapport, Olivier Lluansi juge cet objectif irréalisable avant deux décennies ; il estime plus réaliste d’envisager une industrie représentant 12 à 13 % du PIB à cet horizon. Avec ce scénario, la France assurerait au moins une balance commerciale équilibrée sur les produits manufacturés, une performance ! Pour endiguer les 60 milliards d’euros de déficit annuel, il préconise la création de 60 000 emplois industriels par an, soit le triple des 20 000 emplois industriels créés par an ces dernières années.
Le Made in France
Pour une véritable relance industrielle, un sursaut patriotique doit avoir lieu afin de recourir fortement à la commande publique. Le Made in France est un levier sous-exploité selon O. Lluansi. Les acheteurs publics patriotes pourraient rapporter 15 Mds € par an de « made in France ». Cela pourrait résorber 25 % du déficit de la balance commerciale des biens manufacturiers.
Ancrage territorial
Le rapport préconise de ne pas concentrer les moyens sur les innovations de rupture et les gigafactories comme c’est le cas depuis 2009. Celles-ci ne représentent que 20 à 30 % du potentiel de réindustrialisation quand les PME et les ETI existantes dans nos régions en constituent les deux tiers. « Le potentiel du territoire est au cœur de la réflexion de mon rapport, mais il est sous-estimé par les pouvoirs publics », déplore Olivier Lluansi. Or ce tissu industriel, au cœur des villes moyennes, a besoin de soutien public pour se régénérer. Avant d’innover, le rapport privilégie de bâtir sur les atouts existants.
Une réindustrialisation compatible avec les enjeux environnementaux
La relance industrielle étant contrainte par le manque d’électricité décarbonée, il faudra compter sur la mise en route des nouvelles centrales nucléaires. En outre, la réindustrialisation peut accroître notre souveraineté qui est fragilisée par la dépendance de nos chaînes d’approvisionnement. Le rapport insiste également sur la nécessité de libérer du foncier tout en restant en conformité avec la loi Climat qui pose un objectif de zéro artificialisation nette pour 2050.
Olivier Lluansi a choisi de restituer ses observations dans un livre[1] afin de nourrir le débat public. Il est vital de travailler sur l’attractivité en berne des métiers industriels qui explique que « 50 % des personnes formées aux métiers industriels vont faire autre chose ». La revalorisation des figures de l’ouvrier ou de l’ingénieur est primordiale ; par la transformation de la matière, ces derniers permettent de s’inscrire dans le réel. Une action salutaire dans une société en quête de sens…
[1] « Réindustrialiser, le défi d’une génération », aux éditions La Déviation
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