Henri Morel est depuis le mois de juin 2019 le président de la FIM, la Fédération des Industries Mécaniques. Il sera candidat à sa propre succession, au mois de juin prochain, pour un nouveau mandat de trois ans.
Henri Morel est également président et fondateur de SFPI group, un Groupe industriel spécialisé dans l’industrie de la protection des biens, des personnes et de l’environnement.
Alors que le contexte sanitaire se normalisait et que les industriels de la mécanique voyaient leurs carnets de commande se remplir, la guerre en Ukraine est venue jeter un coup de froid. Incertitudes sur les matières premières, nécessité de s’adapter rapidement… Pour l’industrie, le contexte géopolitique actuel pourrait avoir des effets similaires à celui de la crise sanitaire.
Pour le président actuel de la FIM, il s’agit de soutenir une filière industrielle mécanique aussi compétitive que possible malgré le contexte, tout en travaillant sur le long terme.
Henri Morel a répondu aux questions d’Yves Valentin, Directeur général de Techniques de l’Ingénieur.
La FIM choisira son nouveau président au mois de juin prochain. Quelle est votre position ?
Henri Morel : Cela fait trois ans que je suis président de la FIM. Les prochaines élections sont au mois de juin, et j’ai pris, après mûres réflexions et consultations, la décision de me représenter.
Le mandat qui se termine a vu certains projets que nous portions fortement perturbés dans leur mise en œuvre par la crise du Covid. Au moment où j’ai pris la décision de me représenter, la tendance était plutôt favorable, propice pour poursuivre ce qui n’a pu être qu’entamé lors de la première mandature. En effet, début 2022, la crise du Covid était en net recul, et les carnets de commandes étaient remplis dans beaucoup de secteurs. Cependant, aujourd’hui, nous nous trouvons dans une situation très tendue, avec un conflit aux portes de l’Europe, qui a d’ores et déjà entraîné son lot de sanctions financières, et probablement d’autres à venir.
Quel est le rôle de la FIM dans ce contexte ?
Nous, à la FIM, mais aussi à France Industrie, nous sommes sollicités et mobilisés à la fois par les demandes des adhérents, qui arrivent au travers des différents syndicats professionnels, mais aussi par les pouvoirs publics, dans un contexte particulier, puisque nous sommes en pleine campagne électorale.
En même temps, nous entrons dans un conflit qui, même s’il est impossible de se projeter avec certitude, pourrait être long, ce qui va rendre chaotiques les six prochains mois pour l’industrie mécanique dans sa globalité. Il faut s’y préparer.
Quelles ont été les premières mesures mises en place pour s’adapter à ce contexte soudain ?
Nous avons remis en place le dispositif Covid de collecte d’informations auprès de nos adhérents, afin d’avoir des remontées rapides et pertinentes. Comme pour le début de la crise sanitaire, il y a d’abord eu, au début de l’invasion russe, le sentiment que les choses n’allaient pas durer. Au bout de 15 jours, nous avons compris que cela n’allait pas être le cas. Les prix de l’énergie sont restés très élevés, et très vite les informations sur les ruptures de stocks de matières premières sont arrivées, notamment sur certains aciers spécifiques.
Il s’est ensuite posé le problème des entreprises possédant une partie importante de leurs activités sur le territoire russe ou ukrainien. Avec les sanctions économiques, nous nous sommes retrouvés avec des adhérents qui devaient être payés par leurs clients russes, mais leur banque refusait la transaction, par peur des sanctions américaines. Des prestations ont également été réalisées et livrées et sont en attente de paiement. Pour les entreprises d’une certaine taille, il est possible de trouver des solutions mais pour les entreprises de petite taille, cela peut se révéler extrêmement problématique.
Vous êtes également chef d’entreprise. Comment SFPI est impacté par cette nouvelle crise ?
Le groupe a stoppé toute activité en Russie et en Bielorussie. La part de chiffre d’affaire réalisée dans cette zone représentait moins de 2% de l’activité consolidée du groupe.
Cette situation n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé lors de la crise du Covid pour l’industrie. Ce qui explique que les mécanismes mis en place pour limiter les dégâts au niveau des industries impactées sont similaires à ce qui a été fait durant la crise du Covid.
Au-delà, l’enchaînement de la crise sanitaire et de la crise ukrainienne risque, si le conflit dure, de mettre des entreprises, déjà fragilisées par la crise du Covid, dans une situation très compliquée.
L’augmentation du prix de l’énergie pour les fournisseurs de matières premières a contraint certains d’entre eux à arrêter les hauts fourneaux. Certaines nuances d’aciers et de métaux ferreux ou non ferreux ont vu leur prix exploser. Par rebond, les délais de livraisons sur certains de ces métaux sont actuellement impossible à connaître.
Pour certains secteurs comme l’automobile par exemple, qui a beaucoup souffert ces deux dernières années, quel est le risque aujourd’hui ?
Depuis deux ans, les constructeurs automobiles sont dans une situation tendue. De plus, la transition énergétique et la fin du moteur thermique ont changé la donne : il n’y a aujourd’hui plus de programmes de développements de nouveaux moteurs thermiques, uniquement la traîne de long des programmes existants. C’est une situation à laquelle il faut s’adapter.
Ensuite, la montée du prix des matières premières depuis le milieu de l’année 2021, qui avait été en partie absorbée, puis l’augmentation du prix de l’énergie, depuis septembre 2021, ont créé des tensions : un certain nombre de services achats ont refusé les hausses liées à l’augmentation du prix de l’énergie, ce qui a entraîné des situations très compliquées pour les entreprises qui n’étaient pas suffisamment préparées.
Comment s’adapter aux fluctuations sur le marché des matières premières ?
La FIM est aujourd’hui focalisée sur les problématiques liées au marché des matières premières. Le plan de résilience de l’Etat traite en partie de ce sujet, mais ne résout pas tout. Il y a donc un vrai sujet, sur lequel la FIM s’est positionnée.
En 2018, nous avons assisté à une véritable guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine. Le président Trump décide alors de bloquer l’importation par les groupes américains d’un certain nombre de produits venant de Chine, notamment les métaux ferreux et non ferreux. En retour, la Chine décide de se tourner vers le marché européen. Ce qui ne fait pas les affaires des industriels producteurs de ces produits, qui ont alors peur de voir les prix s’effondrer. Ces derniers ont à l’époque obtenu auprès de l’Union Européenne des quotas, qui se sont révélés avoir l’effet inverse de celui recherché. Ceci car l’Union Européenne, qui comptabilise les produits après réception, n’est pas en capacité de répartir le quota total sur l’ensemble des fournisseurs. Le système mis en place a fonctionné pendant trois mois, puis s’est auto-bloqué. Ce qui explique d’ailleurs en partie la hausse des prix constatée en fin d’année dernière. La FIM demande donc la fin des quotas, c’est la première mesure à prendre. Ces quotas s’appliquent pour les aciers venant de la zone asiatique. Hors, la Russie ne se trouve pas en zone asiatique, mais la Turquie oui. Depuis 15 jours, nous n’avons plus accès à l’acier russe et biélorusse. En Ukraine, l’acier n’est plus exploitable, à cause du conflit en cours. C’est pour acheter en Asie, et notamment en Turquie que nous voulons la fin des quotas. Les Turcs ont de plus une grosse capacité d’aciérie, et une large nuance de produits, c’est une réelle solution.
Ensuite ?
Il faut interdire l’exportation d’aciers vers les Etats-Unis. C’est notre deuxième demande. Enfin, il faut à tout prix interdire l’exportation des métaux de récupération, en dehors de la zone Euro, notamment pour les métaux de seconde fusion, l’aluminium en particulier.
Aujourd’hui les déchets métalliques sont un enjeu très important, ils sont cotés, et le premier acheteur est la Turquie : c’est quelque chose que nous devons faire évoluer.
Ces évolutions que vous évoquez sont-elles critiques ?
Si rien n’est fait, un certain nombre d’usines mécaniciennes subiront des fermetures et des arrêts techniques dans les trois prochains mois.
La situation est déjà très tendue aujourd’hui, et certaines entreprises vont se voir obligées, comme durant la crise sanitaire, de mettre en place des mesures d’APLD (activité partielle de longue durée), voire de chômage technique. La première mesure va être de consommer les congés payés vers Pâques, tout en demandant à l’UIMM de faire tout son possible pour remettre en place des mesures de chômage partiel.
Contrairement à la crise du Covid, où nous avions l’impression d’être acteurs dans la gestion de cette situation extrême, aujourd’hui la guerre en Ukraine nous met au rang de spectateurs.
L’industrie mécanique, si elle ne dispose pas des matières premières métalliques, se retrouve impuissante.
Au-delà de la situation actuelle, quels sont les travaux de fond actuellement menés par la FIM ?
Nous devons poursuivre le travail de fond entamé depuis trois ans, même s’il faut bien admettre qu’aujourd’hui nos efforts se tournent majoritairement vers la résolution de la crise actuelle. Il nous faut y répondre collectivement, dans l’urgence. La FIM doit également soutenir les dirigeants sur les différents scénarios à venir.
Notre fédération constitue aujourd’hui un lieu d’échanges, et de nombreux dirigeants ont besoin à l’heure actuelle de se rapprocher, de s’unir pour mieux affronter les défis qui les attendent dans les mois à venir.
Revenons à la situation de SFPI. Comment l’entreprise est-elle impactée financièrement par les crises successives ?
Nous avons fait 570 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021. Nos carnets de commande sont aujourd’hui pleins. Nous n’avons pas beaucoup d’activités dans la zone de conflit, donc nous ne souffrons pas trop à ce niveau-là.
Notre activité en Asie et plus particulièrement en Chine est toujours impactée par le Covid.
L’inquiétude, à l’heure actuelle, se situe sur l’évolution des événements actuels dans le semestre à venir.
Nous sommes très tributaires de la santé de l’industrie au sens large, au vu de notre secteur d’activité. Nous sommes aussi très tributaires de la confiance qui règne sur les marchés, et chez les citoyens. La situation est donc très compliquée, mais il faut s’adapter.
Les crises successives permettent-elles de mettre en place des plans profonds de transformation et d’évolution de l’entreprise ?
Il faut, plus que jamais, poursuivre et accélérer la transformation de l’entreprise. C’est l’une des réponses à la crise actuelle.
Le recrutement, par exemple, est un enjeu sur toutes les compétences. Nous avons mis en œuvre un plan de transformation, visant à améliorer la qualité de service de nos équipes : livraison, service client, accompagnement… Nous avons également tout un plan de mise en place d’indicateurs sur notre impact environnemental. Nous avons voulu en faire un élément de dynamique interne mais pas de contrainte : nous ne voulions pas être dans du greenwashing.
Aussi, nous développons au sein de l’entreprise des actions de cybersécurité et de digitalisation de tous nos process, qui vont nous permettre d’être plus performants.
Enfin, il y a le pilier managérial, qui doit nous permettre de mettre en mouvement les managers, qui seront les pièces maîtresses de l’entreprise dans les années à venir.
Propos recueillis par Yves Valentin, directeur général de Techniques de l’Ingénieur, et Pierre Thouverez, journaliste.
Image de Une : Henri Morel ©Olivier Raynaud
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