Paprec, le numéro un français du recyclage, s’est imposé depuis sa création en 1994 par Jean-Luc Petithuguenin comme un acteur majeur de la gestion globale des déchets sur le territoire, et également en Suisse.
La pandémie de coronavirus, et le premier confinement de mars 2020, ont logiquement affecté l’activité de l’entreprise. La baisse globale de l’activité économique en France depuis un an a débouché in fine sur une baisse de la production. Cette baisse entraîne également une diminution de la quantité de déchets produites.
En ce sens, l’activité d’une entreprise comme Paprec est un bon baromètre de la santé économique du pays, en plus d’être une activité de première nécessité : il est impératif de collecter les déchets pour que les entreprises puissent continuer à fonctionner normalement.
Sébastien Petithuguenin, directeur général de Paprec, a répondu aux questions de Techniques de l’Ingénieur sur les conséquences de la situation sanitaire actuelle, et donné sa vision sur l’importance grandissante du secteur du recyclage : un secteur où l’innovation permet de recycler des volumes de plus en plus importants, et de produire des nouvelles matières premières de mieux en mieux valorisées.
Techniques de l’Ingénieur : Comment avez-vous géré le premier confinement, il y a près d’un an, et les contraintes sanitaires qui se succèdent depuis ?
Sébastien Petithuguenin, directeur général de Paprec : Le premier confinement, débuté le 16 mars 2020, a été une épreuve pour nous comme pour beaucoup d’entreprises, mais les salariés de Paprec ont immédiatement répondu présent. Nous avons mis en place toutes les mesures sanitaires nous permettant de poursuivre notre activité le plus normalement possible. Nous n’avons arrêté l’activité sur aucun de nos sites.
Nos activités de collecte sont primordiales, évidemment, pour des questions évidentes de salubrité publique – mais aussi nos activités de tri, qui permettent d’éviter la pénurie de matière pour les emballages. Nous avons d’ailleurs été reconnus rapidement comme activité indispensable à la vie de la Nation.
Si nous nous arrêtons totalement de fonctionner, tout s’arrête. Les entreprises ont besoin que l’on vienne collecter leurs déchets. Le volume de nos collectes est d’ailleurs assez représentatif de la santé de l’économie. Quand nos volumes de matériaux recyclés augmente, c’est un signe que l’économie va dans le bon sens.
Au final, sur l’année 2020 nous constatons une baisse de volume de 10%, ce qui est assez représentatif des conséquences de la crise sanitaire sur l’ensemble de l’économie française.
Quels sont les secteurs d’activités sur lesquels vous avez rencontré le plus de difficultés depuis mars 2020 ?
Notre activité reflète l’activité du pays. Nous collectons et trions les déchets de nombreux industriels, par exemple, dont certains ont totalement cessé la production lors du premier confinement. Les chantiers aussi se sont arrêtés en début d’année dernière. Nous travaillons aussi avec Aéroports de Paris. Comme vous pouvez l’imaginer, l’arrêt brutal du trafic aérien décidé lors du premier confinement – et qui est encore à l’œuvre aujourd’hui pour la plupart des vols – a impacté durement notre partenaire. Et a drastiquement réduit les volumes de déchets collectés.
D’autres n’ont pas cessé de tourner, bien au contraire, comme l’agro-alimentaire, l’industrie pharmaceutique, la grande distribution… et ces clients ont plus que jamais eu besoin que nous collections leurs déchets mais aussi que nous fournissions les matières premières nécessaires à leurs emballages !
Car il faut bien être conscient qu’au-delà de notre mission de salubrité publique, les matériaux recyclés que nous produisons servent de matière première dans beaucoup de secteurs de l’industrie. Par exemple, le carton produit en France provient pour moitié de fibres recyclées. Si nous arrêtons notre production sur ce matériau par exemple, c’est toute la filière de production de carton qui se retrouve dans l’impasse. Nous avons donc à la fois un rôle de service vis-à-vis de la société dans son ensemble, et de fournisseur de matières premières.
Fournir des matières premières pour l’industrie fait-il aujourd’hui partie intégrante des missions de la filière recyclage ?
La conviction intime qui est à l’origine de Paprec est que les déchets sont les matières premières du XXIème siècle. Utiliser des matières premières issues du recyclage évite de recourir à davantage de ressources fossiles, et limite les émissions de CO2 et la consommation d’énergie !
La pandémie a bien mis cela en lumière. Les matières premières issues du recyclage ont été très demandées. Les frontières étant fermées, ces matières ont été de précieuses ressources pour refaire de l’emballage carton ou plastique, et pour continuer à faire tourner l’industrie agroalimentaire ou pharmaceutique. Les matières issues des déchets locaux assurent aussi notre autonomie en approvisionnement ! Le recyclage est en ce sens également un enjeu de souveraineté nationale.
Quel est le rôle de l’innovation pour la filière recyclage ?
Tout d’abord, il faut être conscient que la robotique a fait irruption en force dans nos métiers, en faisant évoluer drastiquement la qualité et la quantité de volumes traités, ainsi que les cadences. Pour un matériau comme le plastique par exemple, la robotisation, qui a remplacé petit à petit le tri à la main, nous permet de traiter jusqu’à 5 tonnes de plastique par heure. Cela représente une productivité incomparable par rapport à ce que l’on pouvait espérer avec le tri manuel.
Pour vous donner un autre exemple, il y a une dizaine d’années, nos usines traitaient entre 5000 et 6000 tonnes de déchets par an. Aujourd’hui, pour les usines les plus importantes, ce chiffre se situe autour de 80 000 tonnes.
Au-delà des cadences, il y a également une problématique de qualité de tri…
Notre secteur d’activité a souvent tendance à être assimilé à un secteur “low tech”, à tort.
Les innovations technologiques que nous avons mises en place nous ont permis de réaliser des progrès importants sur la qualité du tri et sur son efficacité. Cela se traduit par exemple par quelque chose que chacun peut observer : il est possible de mettre de plus en plus de catégories de déchets dans les poubelles jaunes, car nous avons aujourd’hui les technologies qui permettent de les trier efficacement. Nous avons également beaucoup investi sur les instruments de contrôle de cette qualité. Nos laboratoires aussi représentent l’état de l’art dans ce domaine.
Nous sommes également très vigilants sur le fait de moderniser notre activité en veillant à surveiller notre bilan carbone, avec un objectif permanent de sobriété.
Aujourd’hui quels sont les enjeux autour de l’activité de recyclage en France ?
Il y a avant tout un travail d’écoconception à effectuer collectivement. Il est en effet primordial de réfléchir à la recyclabilité des produits en fin de vie, afin d’orienter la production vers des emballages ou matériaux simples à recycler.
Ensuite, nous travaillons de près avec nos partenaires pour développer le recyclage en boucle fermée, c’est à dire la possibilité d’utiliser les matières issues du recyclage pour refaire le produit initial. Nous avons ainsi une usine de haut niveau, à Limay, en Ile-de-France, qui permet de fabriquer du PET recyclé apte au contact alimentaire. Cela donne la possibilité de refaire des nouvelles bouteilles à partir de bouteilles jetées dans la bonne poubelle !
Nous avons également, par exemple, un partenariat avec le fabricant de sols techniques Gerflor. Nous gérons leurs chutes de production, mais aussi de pose, afin de leur proposer une matière première issue du recyclage qui repart dans leur usine de production.
Quelles sont les principales contraintes que vous rencontrez pour mettre en place ces circuits courts de recyclage ?
Nous nous devons de proposer des matières avec des caractéristiques techniques constantes, prévisibles et d’excellente qualité. Et en retour, la filière en aval, celle de nos utilisateurs de matière, doit être pérenne, pour justifier les investissements importants nécessaires à l’obtention d’une telle qualité. D’autant plus que nos coûts de production de plastique recyclé sont fixes, alors que la matière concurrente, issue du fossile, varie en fonction du prix du pétrole. Si le pétrole est bas, il est plus coûteux d’acheter nos matières. Il est donc important de décorréler les prix de nos matières du prix du pétrole. En effet, les externalités positives, c’est-à-dire l’énergie non utilisée ou les économies d’émissions de CO2 réalisées ne sont pas prises en compte. La législation pallie cela pour le PET (le plastique des bouteilles). Une directive européenne impose un taux de 25% de PET recyclé dans les nouvelles productions en 2025 et 30% en 2030. Il faudrait la même chose sur les autres filières.
Le recyclage est-il in fine toujours la meilleure solution ?
Quand le recyclage (la valorisation matière) est techniquement impossible ou trop coûteux, l’étape à privilégier est la valorisation énergétique. C’est un métier dans lequel nous allons nous développer. Nous venons en effet d’intégrer les activités Opérations et Maintenance de la CNIM et d’engager des négociations exclusives avec Dalkia pour Dalkia Wastenergy.
Une filière qui se développe est aussi celle du CSR, ces combustibles solides de récupération, issus des tris des déchets, non valorisables comme matière mais permettant efficacement de remplacer les combustibles fossiles pour les cimenteries par exemple. Ces unités vont se développer en France.
L’enjeu des prochaines années est aussi la valorisation organique. D’ici 2023, le tri des biodéchets doit être fait à la source, chez les industriels comme chez les particuliers. Chez les particuliers, cela représente le tiers de la poubelle, c’est donc loin d’être négligeable. La méthanisation permettra de générer de l’énergie ou, mieux encore, de l’engrais, à partir des reliefs alimentaires jusqu’alors incinérés ou enfouis ! C’est la prochaine boucle à développer, celle du retour à la terre.
Tout cela suit la législation qui réduit drastiquement l’enfouissement des déchets, pour ne garder que le stockage des déchets ultimes. C’est un progrès majeur.
La montée en gamme technologique de l’activité de recyclage vous oblige-t-elle à repenser votre stratégie en termes de formation et de recrutement ?
Une idée reçue doit absolument être combattue : les métiers du déchet ne sont pas des métiers non qualifiés. En réalité, 92% de nos effectifs sont des personnels qualifiés. Et nos besoins de recrutement sont importants. Sur tout ce qui est maintenance industrielle par exemple, nous recherchons des techniciens et ingénieurs spécialisés, de haut niveau, pour optimiser nos process. Il s’agit plus pour nous d’une opportunité que d’un problème, même s’il est difficile aujourd’hui de trouver ces profils sur le marché de l’emploi.
Propos recueillis par Yves Valentin, directeur des éditions Techniques de l’Ingénieur, et Pierre Thouverez, journaliste.
Image de Une : ©Grangier
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