80 % des déchets présents dans les océans ont été jetés sur terre et une part importante de cette pollution a pour origine les trottoirs des villes. Les déchets jetés sur la voie publique sont en effet charriés par les eaux pluviales, puis sont rejetés dans des cours d’eau avant de finir leur course dans la mer. Située à Marseille, la start-up Greencityzen développe des technologies basées sur l’IoT (Internet of Things) pour protéger l’environnement. Depuis 2019, elle a installé plusieurs milliers de capteurs connectés dans le réseau d’eaux pluviales de la ville de Marseille. Le but : piloter le nettoyage de ce réseau à l’aide de données, et non plus comme avant sur la base d’un planning fixé à l’avance. Rencontre avec Alexandre Boudonne, le cofondateur de l’entreprise.
Techniques de l’Ingénieur : De quelle manière avez-vous instrumenté le réseau pluvial de Marseille ?
Alexandre Boudonne : Cette ville compte 16 000 avaloirs, ce sont ces bouches d’égout que l’on voit sur les trottoirs. Ils ont pour fonction de récupérer les eaux pluviales, et Suez, qui exploite ce réseau, doit les contrôler 50 000 fois par an, par engagement contractuel. À chaque fois, les techniciens doivent se déplacer, ouvrir l’avaloir, regarder à l’intérieur, et s’il est encombré de déchets, le curer. Au total, 25 000 curages sont effectués chaque année, ce qui signifie qu’un déplacement sur deux est inutile.
Nous avons progressivement instrumenté 5 000 avaloirs, en installant dans chacun d’eux un capteur connecté. Celui-ci permet de déterminer si l’avaloir est vide ou si par exemple 10 cm de déchets sont présents à l’intérieur. Il fonctionne grâce à des ultrasons et transmet les données deux fois par jour à un logiciel. Le système installé est très frugal en énergie, avec une faible empreinte carbone. Nous utilisons le réseau LPWAN (Low Power Wide Area Network), plus couramment appelé le réseau 0G et l’empreinte numérique annuelle d’un capteur est inférieure à celle d’un email. La consommation d’énergie avec cette technologie est très faible, si bien que la pile installée dans le boîtier du capteur a une durée de vie de 8 ans.
Comment sont traitées les données collectées ?
Nous avons développé une application qui se décline en trois volets. Elle collecte les données des capteurs, puis procède au classement des avaloirs, et établit des priorités de curage à effectuer.
Ensuite, nous avons profité de cette instrumentation du réseau pluvial pour réaliser un référencement de chacun des avaloirs. Concrètement, pour chacun d’eux, nous avons recueilli plusieurs informations comme la superficie d’engouffrement, la taille de la fosse, sa profondeur… Cette meilleure connaissance permet d’améliorer l’organisation des tournées de curage et le travail des techniciens. Par exemple, certains avaloirs se nettoient à la main à l’aide d’un outil, tandis que d’autres nécessitent l’envoi d’une aspiratrice, car ils font 3 à 4 mètres de profondeur.
Un dernier volet concerne la gestion des interventions. À chaque déplacement, les techniciens remplissent les détails de leur intervention (curage manuel, équipements,…) dans le logiciel, ce qui permet d’alimenter un journal d’entretien, génère des statistiques d’intervention, et permet de valoriser le travail de l’exploitation de ce réseau.
Quels sont les bénéfices apportés par votre technologie ?
À présent, le taux de curage des avaloirs instrumentés lors de chaque déplacement des techniciens est de 100 %, alors qu’avant, il était de 50 %. Grâce aux capteurs, on s’aperçoit que certains avaloirs ont besoin d’être curés 13 fois par an, tandis que d’autres n’ont jamais besoin d’être nettoyés, alors qu’ils étaient contrôlés au moins deux fois par an avant.
Les capteurs permettent également d’avoir une meilleure connaissance du comportement des avaloirs, avec certains qui se remplissent avec la pluie, tandis que d’autres au contraire se vidangent. Nous avons installé des capteurs de pluviométrie, et Suez peut à présent adapter sa stratégie d’intervention. Avant les pluies, l’entreprise peut curer les avaloirs qui risquent de se vidanger et ainsi éviter que les déchets ne soient rejetés dans l’environnement. Et pendant les pluies ou juste après, elle peut déboucher les avaloirs obstrués pour éviter le risque d’inondation.
Auparavant, Suez collectait entre 150 et 200 tonnes de déchets par an. Potentiellement, grâce à notre technologie, entre 40 et 70 tonnes vont pouvoir être collectés en plus chaque année. Nous allons également faire économiser 10 000 déplacements sur les 50 000 initialement prévus dans le contrat de Suez. Cela permettra de diminuer l’empreinte carbone liée aux déplacements des engins motorisés en milieu urbain.
Quelles sont les perspectives de votre entreprise ?
Après Marseille, nous avons commencé à instrumenter les avaloirs à Nice, et nous avons également le projet d’équiper plusieurs collectivités situées dans le bassin Loire Bretagne. En parallèle, nous poursuivons notre travail de R&D. À Marseille, plus de 30 000 photos ont été prises des déchets présents dans les avaloirs, au moment du référencement et avant chaque curage. Nous développons un algorithme d’intelligence artificielle pour qualifier la nature de ces déchets à partir de ces images. L’objectif final est d’être en mesure de réaliser des tournées de curages spéciales pour les feuilles, le plastique… afin de trier ces déchets puis les recycler.
En complément des avaloirs, nous développons des capteurs pour l’assainissement, afin de mesurer des niveaux, éviter des colmatages… Nous proposons aussi des solutions pour procéder à de l’arrosage intelligent des espaces verts publics. Grâce à des capteurs implantés dans le sol, nous sommes parvenus à réaliser en moyenne 41 % d’économie d’eau dans plusieurs villes comme à Paris, Lyon, Bordeaux, mais aussi à Florence en Italie.
Nous avons récemment remporté un appel d’offres organisé par l’ONU. Durant les cinq prochaines années, nous allons aider à la sécurisation de l’approvisionnement en eau potable de camps de réfugiés situés dans 15 pays dans le monde (Tchad, Ouganda, Bangladesh…). Grâce à des capteurs, nous allons superviser le niveau des nappes phréatiques, le fonctionnement des pompes, les systèmes de traitement et de contrôles de la qualité de l’eau, le niveau des stocks d’eau ainsi que la consommation finale. Cette instrumentation nous permettra d’avoir une vision complète du cycle de l’eau, de mieux piloter le système, et de s’assurer que les réfugiés ont tout le temps accès à de l’eau potable.
Cet article se trouve dans le dossier :
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