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Recyc'Elit, recyclage

Interview

Recyc’Elit : le recyclage textile à l’aube d’une nouvelle ère

Posté le par Benoît CRÉPIN dans Innovations sectorielles

Née en 2019 en région lyonnaise, la start-up Recyc’Elit a mis au point un procédé novateur de recyclage chimique qu’elle a choisi d’orienter vers le traitement de déchets textiles dits « complexes », qui restaient jusqu’alors sans solution de recyclage. Permettant une dépolymérisation sélective, cette technologie triplement brevetée fonctionne, en outre, à pression atmosphérique et à température modérée.

Alors qu’elle s’apprête à franchir le stade pilote, et a déjà noué des partenariats avec de grands noms de l’industrie textile tels que Decathlon, la jeune pousse vise désormais l’échelle industrielle, qu’elle espère atteindre au plus tard en 2028. Après avoir recruté il y a peu son directeur industriel, Recyc’Elit[1] cherche ainsi à attirer d’autres nouveaux talents, en tête desquels des techniciens de production et des ingénieurs procédés. Forte d’une équipe composée pour l’heure d’une douzaine de personnes, l’entreprise incubée par Pulsalys depuis 2022 ambitionne en effet de porter ses effectifs à une vingtaine de salariés d’ici la fin de l’année, avant de multiplier encore ce chiffre par deux, voire trois, à l’occasion du lancement de sa phase d’industrialisation. Rencontre avec son D.G. et co-fondateur, Raouf Medimagh, qui revient pour Techniques de l’Ingénieur sur la genèse de Recyc’Elit, et sur ses ambitions.

Recyc’Elit
Les frères Medimagh sont à l’origine de la création de Recyc’Elit. © Recyc’Elit

Techniques de l’Ingénieur : Vous avez co-fondé Recyc’Elit il y a quatre ans environ avec votre frère Karim. Qu’est-ce qui vous a amenés à vous lancer dans ce projet ?

Raouf Medimagh : J’étais, au départ, professeur des universités en Tunisie, où je travaillais sur des sujets tout à fait différents de celui du recyclage chimique. Mon frère était quant à lui entrepreneur en région lyonnaise. Le premier élément déclencheur de notre prise de conscience et de notre réflexion sur ce sujet du recyclage chimique a été l’interdiction par la Chine de l’import de déchets plastiques sur son territoire à la fin de l’année 2017. Dans le cadre de ses activités entrepreneuriales, Karim était d’autre part un membre actif d’Axelera, le pôle de compétitivité français de référence dans le domaine de la chimie, des industries de procédé et de l’environnement. Moteur sur de nombreux sujets, ce pôle avait ainsi organisé une journée technique au cours de laquelle a été dressé un état des lieux du recyclage de plastiques en Europe suite à ce ban des importations par la Chine. Si des solutions existaient pour le recyclage des bouteilles, des problèmes s’annonçaient pour les plastiques composites ou colorés… Une issue était alors envisagée : le recyclage chimique. C’est à ce moment-là que mon frère a attiré mon attention sur le sujet. Nous avions en effet depuis longtemps l’envie de mener un projet ensemble, qui puisse contribuer à la protection de l’environnement.

Je me suis donc penché sur les solutions disponibles à l’époque en matière de recyclage chimique des plastiques, et j’ai constaté que la plupart d’entre elles étaient basées sur des approches à haute température et haute pression. La question de l’énergie n’était certes, à l’époque, pas encore aussi prégnante qu’aujourd’hui, mais je me suis malgré cela lancé dans le développement d’un procédé plus « doux », moins énergivore, plus éco-responsable, en travaillant sur une approche à plus faible température et à plus basse pression.

Ce travail a abouti au dépôt d’un premier brevet en 2019, qui posait alors les bases du futur procédé que met aujourd’hui en œuvre Recyc’Elit : un procédé dit de « méthanolyse », faisant appel à une formulation bien particulière, associant un jeu de bases en quantité catalytique par rapport au PET et au méthanol. Il s’agissait alors du premier procédé au monde de recyclage chimique fonctionnant à température ambiante et pression atmosphérique.

J’ai, pour ma part, officiellement rejoint l’entreprise en 2020, au moment de l’arrivée du COVID… L’année suivante, 2021, a par ailleurs été l’occasion d’une série d’annonces de projets d’usines de recyclage chimique en France. Nous avons donc commencé à nous poser des questions quant à notre compétitivité potentielle face à des géants tels qu’Eastman et son usine qui s’annonce comme la plus grande au monde… Nous avons alors pris parti d’évaluer l’efficacité de notre technologie sur des gisements de déchets que les autres acteurs n’étaient pas en mesure de traiter. C’est ainsi que, début 2022, nous nous sommes tournés vers le gisement des déchets textiles complexes. Beaucoup d’entre eux sont en effet en partie composés de la même matière que la plupart des bouteilles : le PET[2], ou polyester.

Nous avions déjà des contacts avec certains retailers, qui nous avaient justement demandé de tester notre procédé sur des textiles. Pour être tout à fait honnête, lorsque j’ai mené mes premiers tests sur un mélange polyester-élasthanne, je ne m’attendais pas du tout aux résultats que nous obtenons aujourd’hui… Je pensais en effet que notre procédé aboutirait à une dépolymérisation du polyester et de l’élasthanne. Or, ce ne fut pas le cas ! Contre toute attente, notre procédé s’est révélé sélectif, en n’entraînant la dépolymérisation que du polyester, et en permettant ainsi la récupération de l’élasthanne[3] sous forme tissée. Comme souvent en sciences, la découverte a vraiment été le fruit du hasard !

Recyc’Elit
La technologie mise au point par Recyc’Elit se révèle sélective. Elle permet ainsi de cibler spécifiquement le PET, et de créer une boucle fermée « textile-to-textile ». © Recyc’Elit

À partir de là, nous avons commencé à expérimenter sur d’autres compositions textiles : polyester-nylon, polyester-coton… Le monde du textile est un univers très vaste, plus encore que celui des plastiques au sens strict. C’est ce qui nous a amenés à mettre finalement en œuvre un pivot stratégique vers ce marché du recyclage de déchets textiles complexes. Cela nous semblait en effet répondre à deux besoins essentiels, à commencer par celui des fabricants de textiles, qui font face à une pression sociétale et réglementaire grandissante pour trouver des solutions de traitement de leurs produits en fin de vie. En permettant de récupérer cet élasthanne intact, en plus du polyester dépolymérisé, notre solution nous est aussi apparue comme un moyen de créer un nouveau modèle économique autour de la valorisation de cette autre matière, ce qui n’est pas le cas des technologies concurrentes : même quand il n’est pas totalement décomposé, l’élasthanne ressort de ces procédés conventionnels avec des propriétés mécaniques dégradées, qui ne permettent pas sa revalorisation. La matière devient donc un déchet ; et qui dit déchet, dit impact environnemental et pertes économiques…

Nous avons, quant à nous, prouvé à l’échelle du laboratoire que la revalorisation de l’élasthanne récupéré via notre procédé est possible. C’est un sujet sur lequel nous poursuivons nos travaux de R&D, parallèlement au travail de montée en échelle que nous menons autour de notre procédé de recyclage chimique à proprement parler.

Quel est justement, à l’heure où l’on se parle, le niveau de maturité de votre procédé de recyclage chimique ?

Cela fait quatre ans que Recyc’Elit est active, ce qui, dans l’absolu, reste assez peu dans la vie d’une start-up. Nous avons malgré tout beaucoup avancé sur le développement de notre procédé, que nous nous apprêtons aujourd’hui à faire monter en échelle. Nous avons pour cela recruté il y a peu un directeur industriel, ancien responsable de site d’une grande entreprise de la chimie. Nous prévoyons tout d’abord le lancement d’un démonstrateur, début 2025.

Nous avons aussi identifié le besoin de certains de nos partenaires d’aller encore plus vite, et de commencer à produire dès maintenant. C’est pour cela que nous investissons également dans un pilote intermédiaire sur skid, d’une capacité de cent litres environ, qui sera opérationnel d’ici quelques mois. Cet équipement va nous permettre d’entamer notre scale-up, avec une capacité annuelle lissée d’environ une tonne. Cela va aussi nous permettre d’acquérir de l’expérience avant l’arrivée du démonstrateur que j’évoquais, en 2025. Ce deuxième outil industriel va quant à lui nous permettre deux choses : d’une part commencer à produire des quantités industrielles – de l’ordre de quelques tonnes – d’une matière première recyclée qui sera alors traitée par nos partenaires re-polymérisateurs ; et d’autre part nous permettre ainsi de fournir à nos partenaires industriels du textile des échantillons représentatifs qui leur permettront la réalisation de collections capsules. Ces collections, limitées dans le temps et en quantités, seront un moyen pour eux de tester le marché, et de faire des benchmarks. Sur la base de tout ce travail de R&D, de production et de tests, nous devrions ainsi avoir une idée précise de notre future usine, que nous comptons faire sortir de terre à l’horizon 2028.

Vous évoquiez la présence d’industriels du textile parmi vos partenaires… Vous avez justement rendu publique le 15 mai dernier la signature d’un accord avec l’une des figures de proue du secteur, Decathlon. Quelles sont les origines de ce partenariat ?

Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises lors d’évènements organisés ces derniers mois, notamment par Refashion[4]. Nos échanges ont ainsi commencé il y a un an et demi environ. Decathlon avait déjà défini en interne sa feuille de route en matière de durabilité, qui prévoit notamment un sourcing de matières premières plus responsable et décarboné. Nos visions se sont donc naturellement alignées. D’autant plus que les bouteilles utilisées jusque-là comme matière première secondaire pour la fabrication de textiles polyesters, se destinent aujourd’hui de plus en plus à un recyclage en boucle fermée, bottle-to-bottle… Decathlon comme les autres acteurs du secteur n’auront donc, demain, plus qu’une source possible de matière première secondaire : le textile. L’entreprise a ainsi décidé de s’engager dans cette logique textile-to-textile. Notre solution de recyclage chimique leur est apparue d’autant plus pertinente que leurs produits sportswear sont principalement faits de textiles complexes composés de polyester associé à de l’élasthanne notamment, ou encore à du polyamide et à du coton.

Decathlon nous a ainsi d’abord challengés sur un premier projet-test, avant de confirmer son engagement dans ce partenariat que nous avons annoncé à la mi-mai. Nous en sommes très heureux car nos valeurs s’alignent également sur le plan humain.

Qu’implique, très concrètement, la signature de ce partenariat ?

Ce partenariat comprend une entrée de Decathlon au capital de Recyc’Elit, ainsi qu’un contrat commercial d’une durée de trois ans, qui pourrait être étendu lorsque nous nous approcherons de la phase d’industrialisation que j’évoquais. Decathlon va ainsi en quelque sorte « catalyser » notre feuille de route. De notre côté, nous lui apportons une solution de traitement de textiles complexes, tout en lui donnant accès à ces matières premières recyclées. Il s’agit d’un vrai travail d’équipe, en adéquation finalement avec les valeurs sportives portées par notre partenaire.

Decathlon pourrait-il éventuellement aussi constituer pour vous une source d’approvisionnement en textiles complexes en fin de vie ?

L’entreprise s’est effectivement engagée dans la voie du take-back, c’est-à-dire de la reprise de textiles usagés en magasin. Il s’agit d’ailleurs d’un modèle testé par de nombreux acteurs du secteur. Ceci étant dit, on ne peut pour l’instant pas garantir que ce modèle s’imposera. Il est trop tôt pour en juger. Decathlon a en tout cas été précurseur dans ce domaine, avec des tests déjà menés dans certains de ses magasins en Belgique par exemple, où la marque avait d’ailleurs inversé son nom pour l’occasion ! Malgré tout, les choses ne pourront se mettre en place durablement que grâce aux consommateurs eux-mêmes.

Pour assurer notre approvisionnement, nous comptons ainsi d’abord et avant tout nous rapprocher des usines de tri de textiles post-consommation, à l’image de la ligne pilote lancée il y peu par Nouvelles Fibres Textiles, ou d’autres encore en Europe. Nous avons tout intérêt à travailler main dans la main avec ces acteurs-là, car ce sont eux qui, demain, fourniront l’essentiel de la matière traitée par Recyc’Elit. Nous serons également, en retour, un exutoire indispensable pour eux, qui permettra d’éviter l’export de ces matières, vers l’Afrique par exemple, comme c’est le cas aujourd’hui.

Les textiles complexes sans solution de recyclage représentent aujourd’hui un gisement de plusieurs millions de tonnes à l’échelle de l’Europe. Nous aurons donc fort à faire dans les années à venir !

La tendance est aussi à l’interdiction d’un nombre croissant de substances, telles que les PFAS, aujourd’hui largement utilisés dans le secteur textile… Notre technologie de recyclage chimique sera ainsi également synonyme de sécurité sur ce plan, en fournissant une matière première recyclée vierge de tout additif.

Recyc’Elit, une start-up engagée dans de nombreux projets innovants

Après avoir contribué aux projets AURAreFIL et SOFTDEPET, aujourd’hui achevés, Recyc’Elit s’est récemment engagée dans le projet CASTTOR. Co-financé par l’État dans le cadre de France 2030 et par l’UE, ce projet opéré par l’Ademe et porté par Recyc’Elit vise le développement du démonstrateur de la jeune pousse. « Nous menons ce projet avec un budget global de plus de 3 M€ et avec l’appui de plusieurs partenaires : De Dietrich Process Systems, Axel’One et l’Institut français du textile et de l’habillement (IFTH), qui vont ainsi nous aider à lever les derniers verrous », dévoile Raouf Medimagh. En parallèle, la start-up lyonnaise s’est également lancée il y a quelques semaines dans le projet européen SOLSTICE, porté par Axel’One. « Le projet regroupe plus d’une vingtaine de partenaires. Ensemble, nous visons ainsi le développement de chaînes de valeurs complémentaires de recyclage de différents polymères, en les amenant jusqu’à la phase de démonstrateur à grande échelle », explique Raouf Medimagh. De quoi préfigurer une véritable filière toute entière dédiée au recyclage des déchets textiles complexes, du tri optique au recyclage chimique.


[1] Recyc’Elit

[2] Polytéréphtalate d’éthylène

[3] Élasthanne qui s’avère un perturbateur pour les procédés conventionnels de recyclage mécanique, n.d.l.r., voir en page 16 de ce rapport pour plus d’explications.

[4] Éco-organisme de la filière textile.

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Posté le par Benoît CRÉPIN


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