Une entreprise française du nom de Xcrusher propose de séparer les fibres de leur matrice polymère, par la circulation de forts courants électriques. Le procédé Xcrusher permet de conserver 90% des propriétés mécaniques des fibres recyclées, ce qui les rend réutilisables par l’industrie.
Abdelaziz Bentaj, son dirigeant, a accepté de répondre à nos questions au sujet de ce procédé innovant.
Abdelaziz Bentaj est fondateur et dirigeant de Xcrusher. Cette société française fondée en 2006 utilise la technologie des puissances pulsées comme technique de séparation physique de différents produits en fin de vie et des chutes de production.
Techniques de l’Ingénieur : En quoi l’utilisation de composites à fibre de carbone représente-t-elle un défi ?
Abdelaziz Bentaj, fondateur et dirigeant de Xcrusher : Cela fait de nombreuses années que les avionneurs cherchent à réduire leur empreinte carbone. La première action menée en ce sens consistait à réduire le poids des structures. Parce qu’elle possède des propriétés mécaniques plus importantes que l’acier, mais avec une densité bien plus faible, la fibre de carbone était donc un candidat idéal. On est ainsi passé de quelques pourcents d’utilisation de composites à fibre de carbone, dans les années 90, à plus de 50 % du poids total de la structure aujourd’hui, dans le cas de l’A350.
Néanmoins, ce n’est pas un secret, l’utilisation massive de composites à fibre de carbone pose un problème de recyclabilité. Comment va-t-on anticiper dans 20 ou 25 ans la fin de vie d’un A350 ?
Jusqu’ici, le recyclage était assez simple puisqu’un fuselage en composite aluminium/titane/fibre de verre peut être facilement séparé par traitement thermique, ce qui permet de récupérer le métal. Dans le cas des composites fibres de carbone, deux questions se posent : comment recycler ces matériaux ? Et que faire avec ?
Même sans attendre la fin de vie d’un avion, le recyclage des chutes de production représente déjà un problème immédiat. Pour plusieurs raisons, l’industrie aéronautique est confrontée à des pertes importantes en fibre de carbone lors de la fabrication, qu’il s’agisse de chutes de découpe, d’erreurs de fabrication ou encore de bobines de fibre de carbone mal stockées et mises au rebut.
Quelles sont les difficultés rencontrées avec les solutions actuellement proposées pour le recyclage des fibres de carbone ?
Ces dernières années, plusieurs approches se sont succédées de manière concomitante, comme la solvolyse, la vapolyse, la calcination ou encore le broyage mécanique. Malheureusement, ces solutions conduisent à la production de fibres de carbone courtes (2 à 3 mm), à faible valeur ajoutée, inadaptées à un usage structurel.
En effet, hormis sa faible densité, l’intérêt d’un composite fibre de carbone réside dans le caractère anisotrope qui lui confère d’excellentes caractéristiques mécaniques. Cela nécessite de disposer de fibres très longues. D’un point de vue mécanique, une fibre de carbone qui n’est pas orientée est donc une fibre qui n’a que peu de valeur.
Pour être vraiment valorisable dans un matériau composite, une fibre recyclée doit être disponible sous forme de bobine. C’est l’objectif que nous poursuivons avec le procédé Xcrusher : proposer des fibres recyclées dont l’état est similaire à celui des fibres neuves.
Sur quel principe est basée la solution proposée par Xcrusher ?
La mise en œuvre se fait en deux étapes. Tout d’abord nous avons mis en place un process permettant de remettre sous forme de bobine les chutes de production, c’est-à-dire des fibres partiellement enrobées de résine.
La deuxième étape consiste ensuite à dérouler cette bobine à 3 m/s, en faisant circuler un fort courant électrique dans la section des fibres, jusqu’à atteindre la sublimation de la résine. Nous obtenons ainsi une bobine totalement débarrassée de sa résine et composée de portions qui sont aboutées pneumatiquement.
Grâce à ce procédé, nous arrivons à produire des bobines de fibre dont la capacité de traction équivaut à 90 % de celle d’une fibre neuve, ce qui permet d’envisager une réintroduction dans un process industriel de tissage.
Dans ce contexte sanitaire particulier, arrivez-vous à faire avancer vos différents projets ?
Le Covid-19 a eu un impact indéniable sur nos activités, car il est plus difficile de travailler avec des pays étrangers, même européens. Néanmoins, en ce qui concerne le recyclage des fibres de carbone, nous avons bon espoir de construire d’ici un an une usine qui serait en capacité de traiter la totalité des chutes de production d’un avionneur comme Airbus.
Cette technique de séparation par puissances pulsées est-elle applicable à la séparation d’autres types de matériaux ?
Oui, tout à fait. À titre d’exemple, nous sommes actuellement en train d’implanter une usine dédiée au recyclage des membranes bitumineuses installées sur les toitures. Il faut savoir que dans certains pays comme la Belgique ou les Pays-Bas, l’enfouissement de ces matériaux est interdit. Avec le procédé que nous avons développé et breveté, notre objectif est d’atteindre 15 % de réincorporation de matière recyclée dans le process de production de membranes.
Nous avons également un autre projet industriellement mature, qui concerne la séparation de fibres polyester contenues dans des membranes synthétiques en PVC, ainsi que d’autres idées, encore au stade de la R&D.
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