Née il y a tout juste dix ans, la plateforme Lilloise REALCAT joue depuis lors un véritable rôle de « catalyseur » de la recherche en matière de catalyse, sous toutes ses formes. Une décennie de progrès sur laquelle sont revenus en détail les initiateurs de cet ambitieux projet à l’occasion d’un évènement organisé le 31 mai dernier dans les locaux de celle qui l’héberge depuis sa création : Centrale Lille. Reportage sur place, au cœur de la Cité Scientifique de Villeneuve-d’Ascq.
« Un rêve de chercheur », mais un rêve « de grande ampleur »… C’est ainsi que Sébastien Paul, professeur à Centrale Lille et chercheur au sein de l’Unité de Catalyse et Chimie du Solide (UCCS[1]) revient sur le prélude d’un projet qu’il a contribué à faire naître, et dont il est aujourd’hui le coordinateur : REALCAT, pour plateforme intégREe AppLiquée au criblage haut-débit de CATalyseurs pour les bioraffineries. Un rêve aux accents utopiques, qui a pourtant bel et bien fini par devenir réalité il y a dix ans tout juste, en mai 2014, date du lancement officiel de cette plateforme véritablement pionnière.
Unique au monde à plus d’un titre, elle est le fruit d’un parcours qui n’a pas été de tout repos pour ses initiateurs, comme l’a retracé le 31 mai dernier – aux côtés de Sébastien Paul et face à un public nombreux réuni dans l’amphithéâtre Cuccaroni de Centrale Lille – l’autre figure de proue de cette aventure scientifique, Franck Dumeignil[2], à l’occasion d’un évènement organisé pour fêter comme il se doit ce dixième anniversaire.
Une série de défis
« En 2010, nous avons répondu à l’appel à projets “EQUIPEX” lancé dans le cadre du Programme Investissements d’avenir. L’idée de créer une plateforme telle que REALCAT nous trottait en effet dans la tête depuis quelque temps, mais il nous fallait la financer… », explique Franck Dumeignil. Un espoir toutefois vite douché : le dossier est retoqué…
Qu’à cela ne tienne, le chercheur retravaille le dossier au cours de l’été 2011 avec l’aide de Sébastien Paul et d’une poignée d’autres collègues, qui placent au cœur de cette nouvelle version du projet une approche alors encore quasiment inexplorée : la catalyse hybride. « Il s’agissait de rassembler deux mondes qui ne se parlaient à l’époque que très peu, et travaillaient au mieux en séquence, mais jamais en symbiose : le monde de la catalyse chimique et celui de la biocatalyse », éclaire Franck Dumeignil, qui le concède : « À l’époque, cela paraissait impossible aux yeux de beaucoup »…
Motivés par ce défi, les chercheurs de l’UCCS mettent « les bouchés doubles » sur cet aspect, mais incluent également au projet un second volet majeur, centré quant à lui autour d’un champ disciplinaire qui ne faisait alors pas encore autant parler de lui qu’il ne le fait aujourd’hui : l’intelligence artificielle. « Cela pouvait faire peur, mais notre rêve était que la machine, associée à du traitement de données par des algorithmes d’IA, batte l’humain dans le développement de catalyseurs », se remémore Franck Dumeignil.
Ainsi ficelé, le dossier se voit finalement sélectionné lors de la seconde vague de l’appel à projets EQUIPEX. Une décision favorable qui permet ainsi à l’équipe de décrocher un financement de près de 9 M€[3], véritable cadeau de Noël pour les chercheurs de l’UCCS. « Nous avons appris la nouvelle le 21 décembre 2011… », glisse en effet Franck Dumeignil, qui le concède toutefois : « Ce fut l’aboutissement d’un gros travail, mais tout restait à faire »…
Des premiers coups de pioche à l’inauguration de la plateforme
S’ensuivirent en effet de longs mois de labeur, entre 2012 et 2015, pour mettre en place, au sein même des locaux de Centrale Lille, cette plateforme avant-gardiste. Au prix d’importants travaux, et d’un véritable « jeu de Tetris » tel que le décrit Sébastien Paul, le chercheur et ses collègues parviennent finalement à faire entrer dans un laboratoire de 120 m2 – entièrement reconverti pour l’occasion à coups de marteau-piqueur – quelque trente équipements[4] dédiés, de près ou de loin, au criblage haut-débit.
Des machines comme autant de maillons de cette plateforme couvrant l’intégralité des étapes de la recherche et du développement de catalyseurs et de procédés catalytiques, mais aussi tous les types de catalyse, chimique ou biologique, réunies sous la bannière de la catalyse hybride, cette nouvelle approche sur laquelle mise en grande partie l’équipe de REALCAT.
C’est donc finalement il y a une décennie tout juste, en mai 2014, que ces travaux aboutissent à l’inauguration de la plateforme lilloise, avant que ne soit lancée, quelques mois plus tard, en 2015, son exploitation par une équipe opérationnelle « de choc », telle que la décrit Sébastien Paul.
« Seules, les machines ne servent à rien si l’on n’a pas une équipe complète – techniciens, ingénieurs, mais aussi secrétaire… – pour les faire tourner ou assurer les tâches administratives », souligne l’enseignant-chercheur derrière son pupitre de l’amphithéâtre Cuccaroni, avant de nous convier à une petite visite du laboratoire dans lequel s’incarne, très concrètement, cette plateforme REALCAT.
Une plongée au cœur de REALCAT
Après quelques pas sous le crachin nordiste en direction d’un bâtiment voisin accueillant la plateforme, nous entrons, en compagnie de son coordinateur, dans un long couloir où se succèdent les laboratoires de l’UCCS. Parmi eux, REALCAT se distingue ce jour-là par la décoration festive qu’arbore sa porte d’entrée – on n’a pas tous les jours 10 ans ! Laissant les ballons colorés derrière nous, nous franchissons le seuil de ce laboratoire hors du commun, avant de nous frayer un chemin entre les nombreux équipements qu’il accueille : 37 environ aujourd’hui. Au premier regard, le constat s’impose : ce sont bien des maîtres de Tetris qui se sont attelés à leur agencement.
Sébastien Paul nous conduit tout d’abord vers l’un des premiers maillons de cette chaîne d’équipements qui constituent REALCAT : un robot dédié à la synthèse de catalyseurs. « Il reproduit les gestes du chimiste – ouverture de flacons, pipetage, agitation… – avec une précision beaucoup plus grande, mais aussi une productivité démultipliée. Il dispose en effet de 24 réacteurs, capables de fonctionner en parallèle, mais aussi jour et nuit », décrit l’actuel coordinateur de REALCAT. De quoi tester quantité de combinaisons possibles pour donner vie à de nouveaux catalyseurs. « On effectuait auparavant entre 5 et 10 tests catalytiques par jour, on en fait aujourd’hui entre 200 et 500 grâce à cet outil… », chiffre Sébastien Paul. « L’accélération a été considérable », confie ainsi le chercheur, qui souligne au passage l’importance que revêt face à cela le système de gestion de données (TEEXMA for LIMS[5]) mis en place au sein de la plateforme.
Produites sous forme de poudre, les substances catalytiques sont ensuite analysées sur le plan structural à quelques pas de là, grâce à un diffractomètre à rayons X. « Cet outil nous permet de visualiser l’agencement des atomes dans la matière, et de définir ainsi si, oui ou non, le catalyseur que l’on a synthétisé correspond à ce que l’on attendait », éclaire l’enseignant-chercheur.
Placés en phase liquide cette fois – sous l’action de micro-ondes –, les catalyseurs subissent ensuite une étape de caractérisation chimique par chromatographie en phase gazeuse, couplée à la spectrométrie de masse. « Nous établissons leur “carte d’identité” chimique, ce qui nous permet d’établir, en fonction de leur composition, des bibliothèques resserrées de catalyseurs qui fonctionnent bien », vulgarise le professeur de Centrale Lille.
Vient ensuite le moment de mettre en œuvre ces catalyseurs. Une étape que les membres de l’équipe REALCAT réalisent au sein de réacteurs miniatures parallélisés. Objectif : trouver le catalyseur le plus efficace pour une réaction donnée, en ajustant également, pour cela, des paramètres clés tels que la température et la pression du milieu réactionnel.
De la catalyse chimique à la biocatalyse
Notre parcours se poursuit dans une partie du laboratoire entièrement dédiée à la biocatalyse. Séparé par une cloison, cet espace reste toutefois ouvert sur la zone consacrée à la catalyse chimique, dans cet esprit d’hybridation qui caractérise la plateforme lilloise.
Quentin Haguet, ingénieur de recherche membre de l’équipe REALCAT, prend le relais de Sébastien Paul pour nous décrire quelques-unes des machines implantées dans cette zone du laboratoire. « On retrouve ici l’équivalent de bon nombre des équipements que vous venez de découvrir, en version adaptée à la biocatalyse, c’est-à-dire capables de travailler avec des microorganismes ou des enzymes », décrit Quentin Haguet.
Au centre de cette zone trône ainsi un robot de préparation polyvalent, « particulièrement flexible et très puissant », comme le souligne l’ingénieur de recherche. Non loin de cette pièce centrale, un autre robot se charge quant à lui de sélectionner les colonies de microorganismes cultivés en boîtes de Petri. « Il est pour cela doté d’une caméra. Des algorithmes d’analyse d’image lui permettent ensuite de sélectionner les colonies correspondant aux critères fixés par l’expérimentateur » éclaire Quentin Haguet. Grâce à sa tête robotisée dotée de 96 aiguilles métalliques, le robot se charge alors de récupérer dans la gélose une petite fraction de cette matière organique, qui lui permet ainsi d’ensemencer des plaques de culture. « Une plaque contient 96 nouvelles cultures pures, isolées depuis le mélange initialement présent sur la gélose des boîtes de Petri », explique le responsable de cette partie du laboratoire entièrement dédiée aux procédés biotechnologiques, avant de poursuivre la visite, si ce n’est par le clou du spectacle, en tout cas par un autre équipement clé de cette zone dédiée à la biocatalyse : un microbioréacteur, lui aussi caractérisé par sa polyvalence.
« Il s’agit ni plus ni moins que de la combinaison entre un fermenteur à plaques et un lecteur de plaques ; l’un nous permet de faire pousser les microorganismes, et l’autre de mesurer au cours du temps divers paramètres au sein des puits de ces plaques : pH, biomasse, oxygène dissous… », décrit Quentin Haguet. Le tout, avec des plaques comportant pas moins de 48 puits – permettant ainsi de réaliser autant de cultures en parallèle – additionnés de microcanaux distribuant des substances au sein de ces puits – substrats, régulateurs de pH… – au rythme de quelques microlitres par minute.
Pour épauler ce microbioréacteur à haut débit, une station de travail automatisée dédiée à la manipulation de liquides a également été choisie par l’équipe de REALCAT dans le but d’effectuer des prélèvements réguliers au sein des puits. « C’est au sein de notre plateforme que ces deux équipements ont été couplés pour la première fois », souligne l’ingénieur de recherche, avant de se tourner vers les deux ultimes pièces de ce puzzle d’équipements : deux spectromètres de masse. Des outils de caractérisation permettant l’analyse d’échantillons tant solides que liquides, de petite ou grande taille moléculaire, du petit peptide au gros polymère. « Cette polyvalence nous permet de mener de très nombreux projets », souligne finalement Quentin Haguet. Un aspect qui transparaît effectivement dans deux des chiffres clés dévoilés à l’occasion de cette célébration des dix ans de la plateforme lilloise : 400, le nombre de projets réalisés au sein de la plateforme au cours de la décennie qui vient de s’écouler ; et 20, le nombre de pays dont des équipes scientifiques sont utilisatrices de REALCAT. Et ça n’est pas tout.
Un beau bilan, et de belles perspectives
La plateforme a en effet aussi permis, par ailleurs, la production d’environ 140 articles scientifiques depuis sa création, et le dépôt de pas moins de huit brevets – dont deux portant sur le fameux concept de « catalyse hybride » mis en avant depuis les origines du projet par ses initiateurs –, sans compter les quelque 200 ingénieurs, doctorants et post-doctorants, ou encore étudiants en master formés au sein de REALCAT tout au long de ses dix années d’existence.
« Nous avons déjà parcouru beaucoup de chemin au cours de ces dix ans ; un chemin sinueux parfois, qui nous a toutefois permis d’innover, de mettre au point de nouveaux concepts, grâce à ce formidable outil. J’ai cependant coutume de dire que l’on peut toujours faire mieux… », confie Sébastien Paul, avant d’évoquer, en conclusion à son intervention, quelques pistes de travail inscrites dans la droite ligne de cette maxime. Première d’entre elles : veiller à anticiper la concurrence internationale, qui commence en effet à poindre à l’horizon. « Il nous faut pour cela maintenir REALCAT au top de la technologie, pour garder la longueur d’avance que nous avons jusqu’à maintenant », prône son coordinateur, qui évoque ainsi, au passage, la réflexion que mène actuellement l’équipe de la plateforme autour d’un plan d’investissement baptisé « REALCAT 2030 »… Sébastien Paul qui appelle également à promouvoir un peu plus encore la plateforme auprès de ses utilisateurs potentiels, mais aussi à valoriser davantage le portefeuille de huit brevets que s’est constitué REALCAT depuis sa création au printemps 2014.
À l’aube de sa deuxième décennie d’existence, l’heure est aussi venue, pour la plateforme lilloise, de renforcer ses liens avec le pôle UPCAT, dédié à l’étude de la préparation de supports et de catalyseurs pour la catalyse hétérogène à l’échelle du pilote préindustriel. « Nous sommes hébergés dans le même bâtiment, et cette proximité va nous aider à renforcer nos liens », souligne Sébastien Paul, qui dévoile par la même occasion un prochain gros investissement dont bénéficieront les deux entités : un système multiréacteur financé dans le cadre du CPER CHEMACT à hauteur de 1,05 M€… « Cette très grosse machine sera comme un trait d’union entre REALCAT et UPCAT », illustre l’enseignant-chercheur avant de soulever un ultime point : « Le concept de catalyse digitale nous tient bien sûr lui aussi particulièrement à cœur. Il nous reste encore énormément de choses à faire pour renforcer ce volet “IA” de REALCAT ». Le lancement, à l’été 2022, de la chaire industrielle SmartDigiCat, dédiée à ce sujet, y contribuera sans nul doute très largement, au même titre que d’autres initiatives, en cours ou à venir, menées autour de cette notion de catalyse digitale.
Digitale, d’une part, hybride d’autre part… « Et pourquoi pas les deux ?! », glisse finalement Sébastien Paul. Une perspective dont on ne peut dire pour l’heure si elle se concrétisera, mais une chose est sûre : l’équipe de REALCAT y songe déjà, et pourrait, qui sait, nous annoncer à l’occasion d’un prochain anniversaire la réalisation de cet autre grand « rêve de chercheur ».
[1] UMR CNRS 8181.
[2] Par ailleurs vice-président Valorisation et Lien science-société de l’Université de Lille.
[3] Complété par des fonds FEDER à hauteur de 700 000 euros en 2014, puis par des financements de 400 et 730 k€ apportés en 2022 et 2023 dans le cadre des Contrats de plan État-Région (CPER) « BiHautEcoDeFrance » et « CHEMACT », ainsi que par les campagnes d’investissements menées entre 2012 et 2023 par Centrale Lille et l’Université de Lille, pour un montant de 290 k€. Soit un montant total d’investissements de près de 11 M€.
[4] 37 aujourd’hui.
[5] Laboratory Information Management System.
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