Le rapport Notat-Sénard propose de modifier l’article 1833 du Code civil qui définit l’objet social des entreprises. Son but : intégrer la responsabilité sociétale et environnementale (RSE) au cœur de la raison d'être des entreprises. Entretien avec Anne-France Bonnet, fondatrice du cabinet de conseil en stratégie et développement Nuova Vista et membre du comité RSE/DD de Consult'in France.
Techniques de l’ingénieur : Quelles sont les grandes propositions du rapport Notat-Sénard ?
Anne-France Bonnet : Ce rapport vient alimenter un projet de loi qui sera présenté en Conseil des ministres le 18 avril prochain Il fait évoluer la perception du rôle de l’entreprise de façon assez fondamentale. La première recommandation propose de compléter l’article 1833 du Code civil en ajoutant un alinéa. Le code actuel dispose que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ». Il serait complété ainsi : « la société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Cela indique clairement que l’intérêt de la société ne se résume pas à celui de ses seuls associés. C’est dans son intérêt propre de considérer les enjeux sociaux et environnementaux dans son activité. Cela peut paraître subtile, mais c’est très important en termes de vision.
Les 14 recommandations sont assez exhaustives et proposent un cadre souple avec une vision extrêmement précise de ce que devrait être l’entreprise dans notre société. Le rapport souhaite notamment impliquer davantage le conseil d’administration dans la définition de la raison d’être de l’entreprise, en augmentant le nombre d’administrateurs salariés. Il suggère également le développement de labels RSE sectoriels pour que chacun puisse y voir un moteur de transformation et d’avancées. Par ailleurs, les entreprises pourront inscrire leur raison d’être dans leurs statuts. Toutes ces recommandations sont des solutions appropriables rapidement, car dans les codes et la culture des acteurs économiques.
Enfin, le rapport propose de développer des critères RSE dans les rémunérations variables des dirigeants et d’engager une étude sur le comportement responsable de l’actionnaire. Il reste encore un chantier gigantesque à mener sur les investissements et le secteur financier. L’entreprise ne peut pas tout faire toute seule : elle a besoin d’un secteur financier qui comprenne ces messages.
E.T.I : Quelles seront les répercussions concrètes pour les entreprises en termes de RSE ?
A-F.B : On observe déjà réellement une tendance à plus de RSE dans les entreprises, mais encore beaucoup d’entre elles ne savent pas comment s’y prendre, car le sujet est très global. On décèle trois grandes postures vis-à-vis de la RSE. En bas de l’échelle des engagements, des entreprises gèrent le sujet de façon normative ou pour gérer les risques. Au-dessus, on trouve celles qui la considèrent comme impérative en termes de réputation. Enfin, il y a celles qui la considèrent comme un enjeu stratégique de pérennité et d’innovation.
Les recommandations du rapport connectent la RSE comme étant le chemin pour réaliser la mission d’entreprise. La RSE n’est plus une garantie supplémentaire ou un élément réputationnel et d’obligation qui invite à minimiser les impacts négatifs en maximisant les impacts positifs. La RSE devient complètement intégrée à la mise en oeuvre de son activité et un élément stratégique.
E.T.I : Comment une entreprise pourra-t-elle s’adapter pour définir et mener sa mission ?
A-F.B : Cela s’intègre dans un projet de transformation. Une mission est directement associée à des engagements, et donc à des indicateurs sur lesquels un collectif s’engage. On n’est plus dans la communication, surtout si la mission est inscrite dans les statuts. Dans ce cas, il faut tout d’abord formuler sa mission, puis les engagements associés et les indicateurs. Changer sa mission se fait forcément, avec le conseil d’administration, tout ou partie de ses collaborateurs et tout ou partie de son écosystème. Il faudra répondre à plusieurs questions : comment créer la colonne vertébrale d’engagements au regard de cette mission ? Quels sont les indicateurs qui permettent de suivre ces engagements ? Qui les pilote et comment se fait le suivi ? Ensuite, il faudra mettre en place les systèmes de reporting et définir les voies pour la communication. La collaboration et la co-construction à un tel niveau de responsabilité sont une nouveauté pour les entreprises.
E.T.I : Pourquoi cette réforme est-elle nécessaire ?
A-F.B : Le gouvernement souhaite changer la perception qu’ont les Français du monde de l’entreprise. Il y a un enjeu de pédagogie pour expliquer à tout un chacun qu’un acteur économique est aussi au service du collectif. Les sociétés ne sont pas là que pour faire un profit direct !
La perception de la société civile sur l’économie est intéressante, d’autant plus qu’en France, le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) est fort, représentant environ 10 % du PIB. L’ESS se réservait jusqu’à aujourd’hui la définition de la raison d’être dans les statuts. Cela change la donne puisque cela embarque dans une mission plus élargie 90 % des acteurs économiques. Cela va « challenger » les acteurs de l’ESS pour aller encore plus loin dans leur singularité.
Propos recueillis par Matthieu Combe
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