« Si on met en rapport le prix de l’électricité et la part de l’industrie dans l’économie, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de corrélations directes. Ce n’est pas là où le prix de l’électricité est le plus bas que la part de l’industrie dans l’économie est la plus élevée », analyse d’entrée de jeu Robert Durdilly, Président de l’Union Française de l’Électricité. Il y a donc d’autres facteurs que l’électricité qui justifient la taille du tissu industriel d’un pays.
Sur le plan général, cette analyse est vraie. Toutefois, elle n’est plus vérifiée pour cinq secteurs industriels français, dont la part de l’électricité représente plus de 10 % de la valeur ajoutée. Il s’agit du papier, des métaux non ferreux, de la chimie minérale, de la sidérurgie et de la cimenterie. On dénombre en France entre 50 et 70 sites qualifiés d’électro-intensifs et 300 en Europe. Pour ces industries, il existe une relation directe entre la compétitivité du prix de l’électricité et la compétitivité du produit manufacturé. Par exemple, l’énergie pèse pour 30 % des coûts de revient de l’aluminium et peut monter jusqu’à 70 % pour le chlore.
Ces secteurs qui engendrent beaucoup d’emplois directs et indirects sont soumis à une compétition internationale, qui présente des modes de fonctionnement de marchés très différents. Ils financent des investissements lourds, qui nécessitent une visibilité à long-terme pour les décider et pour rester compétitifs au plan international. « Ils sont très exposés aux prix de l’énergie, ils sont dans une compétition internationale et chaque unité est un cas particulier », rappelle Pierre-Marie Abadie, Directeur de l’Energie au ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Énergie.
Exeltium, un consortium d’industries pour assurer la compétitivité
Exeltium est un consortium créé en 2006. Il regroupe 26 clients industriels pour lesquels l’électricité représente une part importante de leur coûts de revient. Pour leur donner une visibilité sur un prix de l’électricité à long-terme, le principe est de pouvoir leur donner accès à une certaine capacité de production nucléaire. Ces « blocs de production nucléaire » leur permettent d’avoir un prix fixe, financé par un investissement de départ, et un coût proportionnel, mais moins dépendant de la volatilité des prix des énergies. Depuis 2010, le consortium achète 7,5 TWh d’électricité par an sous cette forme à EDF, sur une consommation totale d’environ 30 TWh, pour un investissement initial de 2 milliards d’euros.
« Dans tous les pays, les électro-intensifs font l’objet d’un traitement spécifique pour permettre aux industriels de voir comment ils peuvent être compétitifs contre leurs concurrents placés sur d’autres marchés », rappelle Jean-Pierre Roncato, Président d’Exeltium. À court-terme, des pays peuvent, par exemple, favoriser l’accès de ces industriels aux transports, dans des conditions particulièrement avantageuses. Pour donner la visibilité de long-terme, les pays peuvent aussi donner des accès privilégiés à un potentiel de production local, favorable en matière de coûts de production de l’électricité. Cela pourra être l’hydraulique au Brésil, le nucléaire en France, le charbon ou le gaz en Chine ou au Qatar.
Dans le cadre du débat sur la transition énergétique, il faut donc en permanence veiller à ce que ce différentiel de compétitivité soit au moins préservé, voire accentué si possible. L’approche dans tous les groupes de travail doit mettre au centre les questions de coûts et d’impacts sur l’économie. « Cette transition énergétique ne sera réussie que si elle maintient la compétitivité de la France en matière de prix de l’électricité et prix de l’énergie en général », prévoit Robert Durdilly.
Un tarif très régulé pour maintenir la compétitivité
En France, la facture d’un industriel est aujourd’hui très régulée au titre de l’Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique (Arenh), du Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics (TURP) et des taxes. L’Arenh va évoluer en 2015. « Entre aujourd’hui et 2015, la part de la régulation de l’Arenh pour les entreprises va évoluer à la hausse ; il y aura statistiquement toujours plus de volumes d’électricité régulés par l’Arenh et toujours moins de volumes achetés sur les marchés », révèle Pierre-Marie Abadie.
Si l’on ne sait pas encore comment ce prix va évoluer dans les prochaines années, « à supposer qu’il évolue à l’inflation et compte-tenu de ces volumes en augmentation pour les industriels […], le prix va peu évoluer au titre de l’énergie », précise-t-il. Cela donne donc une certaine visibilité aux industriels.
De quelle compétitivité parle-t-on ?
La compétitivité est au cœur du débat sur la transition énergétique. Pierre-Marie Abadie souhaite toutefois différencier 3 types de compétitivité. On retrouve donc la compétitivité à long-terme, celle sur une dimension macroéconomique et celle sur une dimension microéconomique. La compétitivité de long-terme vise à décarboner l’énergie au-delà de l’électricité (qui ne représente que 22 % de l’énergie finale utilisée en France), obtenir une sécurité d’approvisionnement en énergies fossiles et répondre au défi climatique. « Commencer au plus tôt la transition énergétique, c’est être positionné au mieux au moment où l’on aura à être au rendez-vous du défi climatique, de la rareté des énergies fossiles et la nécessité de les focaliser là où elles sont non substituables », prévoit-il. Un enjeu primordial est d’arriver à industrialiser les technologies d’énergies renouvelables les plus prometteuses à l’horizon 2050.
La compétitivité macro-économique est liée au prix de l’énergie. Elle a des impacts majeurs sur le pouvoir d’achat, sur le revenu des entreprises et sur la compétitivité relative. Elle doit permettre de faire les choix les plus efficients pour le respect des objectifs de long-terme.
La compétitivité micro-économique vise quant à elle à faire de l’énergie un projet industriel français et européen. L’approche doit se faire filière par filière en évaluant les technologies selon les critères suivants : potentiel en termes de puissance, de coûts et de maturité, impacts environnementaux des conflits d’usage et prise en compte de la chaîne de valeur de chacune des filières. Par exemple, avec l’éolienne offshore, 50 % de la chaîne de valeur reste forcément en France. Avec les appels d’offres actuels, on peut se rapprocher des 100 %. Pour le photovoltaïque terrestre, cela reste cependant plus compliqué.
Par Matthieu Combe, journaliste scientifique
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