« Mon rêve, ce serait de payer plus d’impôts en France ». Cette phrase de Christophe Margerie, PDG de Total, a immédiatement fait le buzz. Interrogé mi -janvier devant la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, l’emblématique patron a ainsi cloué le bec à des députés qui l’attendaient au tournant. Car avec 10.7 milliards de bénéfices en 2012, que Total échappe à l’impôt en France en étrangle plus d’un.
Pas de bénéfice, pas d’impôts
Comme l’a rappelé son PDG, bien que le groupe fasse des bénéfices, il perd de l’argent dans l’Hexagone. Or, conformément au principe de la territorialité, seuls les bénéfices réalisés sur le sol français sont soumis à l’impôt français. Et l’activité française du géant pétrolier va mal. En crise depuis 2009, cette partie de son activité a perdu 250 millions d’euros en 2009, 16 millions d’euros en 2010 pour atteindre les 500 millions de perte pour l’année 2013. Des chiffres désastreux, même si certains les minimisent tant les bénéfices de Total permettent de les absorber. Des bénéfices qui dépassent les 10 milliards depuis plusieurs années, dont quelques-uns sont reversés aux actionnaires. Certes, Total peut se permettre de perdre quelques millions avec ses raffineries françaises, mais acceptera-t-il encore longtemps de conserver une activité qui perd de l‘argent ? Ses raffineries vont-elles devoir fermer ?
Un secteur qui s’enfonce dans la crise
Voilà un paradoxe terrible. Les compagnies pétrolières affichent des bénéfices insolents, alors que le raffinage dégage au mieux de très faibles bénéfices, dans le pire des cas il accumule les pertes. La crise est passée par là, bien sûr. Mais ce n’est pas la seule raison de l’échec économique du raffinage. Le problème principal vient d’une surcapacité quasi-permanente, entraînant une diminution drastique de la marge. En 2009, la chute de la demande a provoqué l’effondrement de cette marge, devenue négative.
Les grands groupes, qui avaient d’ailleurs réalisés des bénéfices exceptionnels en 2008, ont pu absorber ces pertes. Les autres ont succombé, à l’image de Petroplus, qui a dû déposer le bilan en 2012 finalement fermée en 2013 faute de repreneur. A l’époque, Jean Louis Schilansky, président de l’Union française de l’industrie pétrolière expliquait que « Le problème du raffinage est que c’est une activité erratique où les marges fluctuent d’une année sur l’autre. Non seulement il faut fournir du pétrole à raffiner mais il faut assez de solidité financière pour passer à travers les tempêtes ». Au total, c’est une quinzaine de raffineries qui a fermé en à peine 5 ans. Pourtant, le secteur serait encore en surcapacité d’environ 10%. En France, il reste aujourd’hui 8 raffineries dont 5 appartenant à Total. L’Europe comptabilise 90 unités. Mais la demande continue de baisser de 1 à 1.5% par an. Un déclin face auquel les raffineries françaises ont du mal à résister.
Le raffinage est en sursis dans toute l’Europe
Le phénomène ne se limite pas à la France. C’est toute l’activité européenne qui est en souffrance, et peut-être en sursis. Avec le développement de la part de véhicules diesel, les raffineries européennes produisent trop d’essence mais pas assez de Diesel ! A cela s’ajoute une concurrence impitoyable des produits pétroliers américains, ultra-compétitifs grâce à l’exploitation du gaz de schiste. Grâce à un prix du gaz très faible, les raffineries américaines abaissent le coût de l’énergie qu’ils consomment et du même coût leurs coûts opératoires. Les raffineries européennes ne peuvent rivaliser sur ce terrain, leur compétitivité étant moindre que celle des américains. Et la concurrence ne s’arrête pas là car l’Europe doit désormais compter avec l’émergence d’un raffinage très compétitif en provenance d’Asie et du Moyen Orient.
Des concurrents plus compétitifs, une surcapacité de production, on pourrait croire que le raffinage européen connait bien assez de problèmes comme ça. Pourtant, un dernier ennemi vient noircir le tableau : l’Europe elle-même. Avec une règlementation environnementale couteuse pour les industriels, la compétitivité des raffineries est d’autant plus touchée.
« Il existe des signes avant-coureur de fermetures de raffinerie. », s’inquiète Jean-Louis Schilansky, même si la France ne serait plus en première ligne. En effet, quatre raffineries ont déjà fermé depuis 2009. Mais « tant que la demande sera en baisse, nous serons dans une dynamique de fermeture » avertit le président de l’UFIP.
Que va faire Total ?
Total ne reste pas inactif face à la situation critique de ses raffineries. Tout d’abord il travaille à rapprocher ses activités raffinage et pétrochimie, une politique qui lui aurait permis de dégager 73 millions d’euros de synergie en 2013. Mettre en adéquation ses raffineries avec la demande plus forte de diesel serait bien trop couteux, d’où un objectif de limiter les pertes plutôt que d’investir dans des équipements. Enfin, Total s’intéresse tout particulièrement à l’exploration du gaz de schiste…au Royaume Uni. Il faut dire que David Cameron se montre plus favorable que l’Etat français. Total n’est pas prêt de payer des impôts en France…
Lire le bilan 2013 de l’industrie pétrolière française
Par Audrey Loubens, journaliste scientifique