« On se dirige, pas à pas, vers l’informatique quantique. » Voilà le constat que nous exposait, début 2021, Robert Marino, P.-D.G. de la jeune pousse Qubit Pharmaceuticals. Depuis sa création en 2020, la deeptech parisienne concentre ses efforts autour de la simulation et de la modélisation moléculaire accélérées par le calcul hybride – une approche mêlant calcul haute performance (HPC[1]) et calcul quantique – avec un objectif central : découvrir de nouveaux médicaments.
Face à cette perspective d’essor de l’informatique quantique qu’évoquait son dirigeant, la start-up a ainsi, depuis ses débuts, choisi de prendre les devants… « Il nous faut dès aujourd’hui préparer la transition quantique, pour être en capacité de répondre aux besoins de nos clients, le moment venu », nous expliquait en effet, en 2021 toujours, le même Robert Marino.
Près de quatre ans plus tard, force est de constater que Qubit Pharmaceuticals a vu juste, comme en témoignent les avancées majeures qu’elle a réalisées et sur lesquelles elle a levé le voile l’été dernier, dans le cadre d’une conférence de presse organisée au sein de la Pépinière Paris Biotech Santé Cochin qui l’héberge. « Des résultats assez exceptionnels, qui permettent désormais d’envisager, à court terme, l’utilisation de l’informatique quantique en production », comme l’a annoncé, dès le préambule de cette rencontre estivale avec la presse, Robert Marino.
Émulation : les qubits avant les qubits
Outre ses travaux de recherche appliquée, centrés sur la co-conception de molécules thérapeutiques aux côtés de CRO[2] françaises (lire en encadré ci-dessous), l’entreprise qui compte aujourd’hui une soixantaine de collaborateurs poursuit un important programme de recherche plus fondamentale dans le domaine du calcul haute performance et de l’informatique quantique, et dispose d’ailleurs pour cela de son propre cluster de calcul, implanté au nord de Paris. Un outil particulièrement puissant – composé de plus de 200 GPU[3] – qu’elle exploite ainsi à la fois pour ses besoins en matière de calcul haute performance et d’entraînement d’algorithmes d’IA, mais aussi pour une application directement liée à l’informatique quantique : l’émulation de qubits.
« Il est en effet possible d’émuler un ordinateur quantique sur un ordinateur classique », schématise Jean-Philip Piquemal, Professeur à Sorbonne Université, co-fondateur et directeur scientifique de Qubit Pharmaceuticals. Une possibilité qui a ainsi conduit la deeptech à développer son propre émulateur : Hyperion-1. « Il nous semblait en effet important de ne pas attendre et de commencer dès maintenant à développer les logiciels qui tourneront, demain, sur de véritables ordinateurs quantiques », souligne Jean-Philip Piquemal.
Grâce à cet outil, l’entreprise est ainsi notamment parvenue, comme elle l’a annoncé en fin d’année dernière, à émuler 40 qubits dits « logiques », ces assemblages de qubits physiques permettant d’en corriger les erreurs – et elles sont nombreuses – découlant notamment du phénomène de décohérence quantique.
40 qubits logiques… Très loin encore des quelque 250 pressentis comme nécessaires pour résoudre avec exactitude l’équation de Schrödinger et parvenir ainsi à déterminer, aussi fidèlement que par l’expérience, certaines propriétés de petites molécules telles que le dihydrogène (H2), ou l’hydrure de lithium (LiH). « C’est ce qu’on appelle la précision chimique : atteindre un résultat de calcul indifférenciable de l’expérience », éclaire Jean-Philip Piquemal.
Le calcul hybride, un pari gagnant
Et pourtant, Qubit Pharmaceuticals y est parvenue, comme elle l’a dévoilé à l’occasion de cette rencontre avec la presse organisée en juillet dernier. Et ce, d’ailleurs, sans même exploiter le plein potentiel de son émulateur Hyperion-1 : une vingtaine de qubits lui a en effet suffi – une trentaine, tout au plus, pour certaines molécules – comme nous l’explique son directeur scientifique : « Tout le monde pensait qu’il faudrait des centaines, voire des milliers ou des dizaines de milliers de qubits… Avec la technologie hybride d’Hyperion – qui permet en quelque sorte de faire le tri dans les différentes sous-parties d’un calcul complexe et de les orienter, en fonction de l’intérêt que cela peut avoir au niveau de la rapidité d’exécution, soit vers du HPC, soit vers du calcul quantique –, nous avons pourtant montré que cela était possible avec dix fois moins de qubits que prévu ». Une sorte de « raccourci » sur le chemin qui mène à la précision chimique via le calcul quantique, pour reprendre l’intitulé d’une prépublication décrivant, par le menu, ces résultats et la méthode employée par les chercheurs de Qubit Pharmaceuticals et de Sorbonne Université pour y parvenir. « Or, si l’atteinte des 200 qubits dans une machine reste un vrai challenge, ça l’est moins pour une vingtaine ! », souligne Jean-Philip Piquemal.
Cette percée a ainsi valu à la deeptech de décrocher un financement de 8 millions d’euros dans le cadre du plan France 2030. De quoi poursuivre le développement d’Hyperion-1 et continuer ainsi à tracer sans attendre la voie à des solutions qui tourneront, demain, sur de véritables ordinateurs quantiques. « L’émulation de qubits nous permet de ne pas avoir à attendre la disponibilité de ces machines “physiques” pour mettre au point nos algorithmes », rappelle en effet à nouveau Jean-Philip Piquemal. Mais ça n’est pas tout : comme le conclut le Professeur de Sorbonne Université, « cela nous permet aussi de participer, aux côtés de leurs constructeurs, à la conception de ces futures machines, en définissant dès maintenant le nombre de qubits dont nous aurons réellement besoin ».
Conception de molécules thérapeutiques assistée par ordinateur : une approche en forte accélération
Au cours de la dernière décennie, l’utilisation d’outils de conception de molécules thérapeutiques assistée par ordinateur – basés, notamment, sur des algorithmes d’IA – a connu un véritable essor, comme en témoigne le P.-D.G. de Qubit Pharmaceuticals, Robert Marino : « Aujourd’hui, près de 10 % des molécules qui font l’objet d’essais cliniques ont été découvertes grâce à des outils d’IA et, plus largement, de conception assistée par ordinateur ».
Une montée en puissance accompagnée d’un changement d’approche : utilisés hier a posteriori pour comprendre l’effet – ou l’absence d’effet – d’une molécule à partir de données expérimentales, ces outils le sont aujourd’hui davantage a priori, en amont des synthèses.
Si la façon dont elle est mise en œuvre évolue donc sensiblement, la conception de molécules thérapeutiques assistée par ordinateur reste, malgré tout, assez largement centrée autour de cibles traditionnelles, à commencer par des protéines, telles que les kinases. Des biomolécules pour lesquelles les données expérimentales – indispensables à l’entraînement d’algorithmes d’IA – sont en effet foisonnantes. Un état de fait que Qubit Pharmaceuticals a décidé de prendre à contrepied… « Notre positionnement consiste, en effet, à aller chercher des cibles nouvelles – notamment l’ARN – pour lesquelles on ne dispose aujourd’hui que de très peu de données, alors qu’il existe un fort besoin médical insatisfait, expose Robert Marino. Nous avons pour cela développé des méthodes reposant sur trois piliers technologiques très complémentaires – le calcul hautes performances, l’IA, et l’informatique quantique – qui nous permettent, d’une part, de simuler et de valider les molécules, mais aussi, d’autre part, d’en générer de nouvelles. »
De quoi réduire, selon le dirigeant, d’un facteur 10 à 20 le nombre de synthèses et de tests biologiques nécessaires à la validation de molécules thérapeutiques nouvelles. Des candidats médicament qui, dans le cadre des travaux menés par Qubit Pharmaceuticals, se destinent essentiellement, pour l’heure, au traitement de certains cancers et maladies chroniques inflammatoires.
[1] Pour high performance computing.
[2] Contract research organization, ou société de recherche contractuelle : entreprise spécialisée dans la prestation de services dans le domaine de la recherche biomédicale à destination, notamment, de l’industrie pharmaceutique.
[3] Graphics Processing Unit : processeur graphique.
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