Les spécialistes connaissaient sept types de chlorofluorocarbures (CFC) et six hydrochlorofluorocarbures (HCFC) pour leurs effets destructeurs sur la couche d’ozone : les CFC-11, CFC-12, CFC-13, CFC-113, CFC-114, CFC-114a, CFC-115 et les HCFC-21, HCFC-22, HCFC-123, HCFC-124, HCFC-141b, HCFC-142b. Cette nouvelle étude intitulée Newly detected ozone-depleting substances in the atmosphere a permis de détecter et quantifier la présence de quatre nouveaux gaz destructeurs de la couche d’ozone dans des échantillons prélevés en Tasmanie (Australie) et au Groenland. Si l’origine de cette pollution n’a pas encore été déterminée, les auteurs suspectent la production d’insecticides et de solvants pour les composants électroniques.
Les chercheurs ont analysé des échantillons d’air collectés en Tasmanie entre 1978 et 2012, dans une région exempte de sources de pollutions proches. Ils ont également analysé l’air présent dans des carottes de neige prélevées au Groenland. « Les sites utilisés visent à documenter « l’atmosphère de bruit de fond, c’est à dire des zones aussi peu polluées que possible », précise Patricia Martinerie, chercheuse au laboratoire de glaciologie et de géophysique de l’environnement de Grenoble (LGGE) et cosignataire de l’étude.
Le résultat est là : au sud comme au nord, les auteurs ont décelé la présence de trois chlorofluorocarbures (CFC-112, CFC-112a et CFC-113a) et d’un hydrochlorofluorocarbure (HCFC-133a) qui n’avaient jusqu’ici jamais été mesurés. Grâce à des modèles de transport très performants des gaz dans la neige compactée, les chercheurs ont pu montrer que ces nouveaux CFC et HCFC mesurés n’étaient pas présents dans l’atmosphère avant les années 1960, ce qui suggère leur origine anthropique.
Quelles sont les quantités en jeu ?
Selon les auteurs, plus de 74 000 tonnes de ces quatre gaz ont été émis avant 2013. Ces émissions sont faibles par rapport à celle des autres CFC qui s’élevaient à plus d’un million de tonnes chaque année dans les années 1980. « Les concentrations en CFC-112 et CFC-112a ont commencé à baisser ; les concentrations en CFC-113a et HCFC-133a continuent d’augmenter », explique Patricia Martinerie.
Puisque ces composés ont une durée de vie assez élevée dans l’atmosphère, ils contribueront à détruire l’ozone stratosphérique pendant encore quelques années. « Une estimation de la durée de vie est faite dans l’étude, avec des fourchettes d’incertitude assez grandes : la meilleure estimation est de 51 ans pour le CFC-112 et le CFC-113a, 44 ans pour le CFC-112a. Une estimation de 4,3 ans existe par ailleurs déjà pour le HCFC-133 », fait savoir Patricia Martinerie.
Les auteurs estiment que la concentration dans l’atmosphère atteignait 0,48 ppt pour le CFC-113a, 0,44 pt pour le CFC-12, 0,37 ppt pour le HCFC-133a et 0,07 ppt pour le CFC-112a, fin 2012. Pour voir que ces concentrations sont encore relativement faibles, il suffit de les comparer à celles des substances suivies depuis quelques décennies. Ainsi, en 2013, la concentration atmosphérique du CFC-12, par exemple, était d’environ 525 pt, celle du CFC-11 tournait aux alentours de 235 ppt et celle du CFC-113 était proche de 72 ppt selon la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA).
Les concentrations relevées étant faibles, ces nouvelles émissions ne peuvent-pas, pour le moment, annuler les efforts qui ont été faits en interdisant les anciens CFC utilisés. « Les CFC-112 et CFC-112a ne sont pas très inquiétants car ils suivent la décroissance des autres CFC encadrés par le Protocole de Montréal. Mais les CFC-113a, et particulièrement le HCFC-133a sont les seuls gaz destructeurs d’ozone dont la concentration continue d’augmenter et il faut donc les surveiller leur évolution», précise Patricia Martinerie. Les auteurs suggèrent donc de lancer de nouvelles études pour identifier les sources d’émissions de ces destructeurs d’ozone, afin de pouvoir les réglementer.
Ils préconisent également de reconsidérer la façon dont les industriels déclarent les gaz chlorés. Pour le moment, les industriels déclarent leurs productions, sans pour autant différencier les isomères (molécules de même formule brute mais d’agencement atomique différent), les intermédiaires de synthèses, les fuites et les émissions traces.
Où en est la réglementation ?
Les CFC étaient largement utilisés dans les années 1980 comme fluides réfrigérants, solvants et dans les aérosols. Mais après la découverte des fameux « trous » dans la couche d’ozone au-dessus des pôles en 1985, leur usage a été progressivement réduit par le protocole de Montréal, entré en vigueur en 1989, et ratifié par 196 pays. Il fallait stopper la destruction de l’ozone stratosphérique (situé entre 20 et 50 kilomètres d’altitude), sans qui, le rayonnement solaire ultra-violet ne serait plus plus absorbé. Depuis 2010, ils sont totalement interdits, à l’exception de quelques applications bien définies.
Depuis, ces substances ont été temporairement remplacées par les HCFC, moins stables dans l’atmosphère et se décomposant donc plus rapidement. S’ils détruisent un peu moins la couche d’ozone, leur pouvoir de réchauffement très élevé en fait des gaz à effet de serre redoutables. Ils sont à leur tour progressivement éliminés au profit des hydrofluorocarbures (HFC), où le chlore est remplacé par du fluor.
Les HCFC et HFC détruisent beaucoup moins la couche d’ozone que les CFC, car ils sont en très grande partie détruits dans l’atmosphère avant d’atteindre l’ozone stratosphérique. Ils ont généralement des pouvoirs de réchauffement par molécule importants. Leurs concentrations dans l’atmosphère sont encore relativement faibles, mais en augmentation.
Depuis 1990, les émissions de gaz destructeurs d’ozone ont diminué et plusieurs signes montrent que la couche d’ozone commence à se reconstituer. Toutefois, en raison de la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère (variant de 1 an à 100 ans pour les principaux CFC), les experts ne prévoient pas une reconstitution notable de la couche d’ozone avant le milieu du siècle.
Par Matthieu Combe, journaliste scientifique
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